| TANNER, verbe trans. A. − 1. TANN. Traiter les peaux brutes de certains animaux en pratiquant sur elles un certain nombre d'opérations de tannage pour les transformer en cuirs souples et imputrescibles. Tanner le cuir; tanner au foulon, en cuve; tanner au chrome. Dans l'antiquité classique, on tannait avec du tanin de chêne ou d'autres écorces. Aux Indes, de même, la peau qui a été préparée mécaniquement est roulée en forme de sac et remplie de fragments d'écorce (Lowie, Anthropol. cult., trad. par E. Métraux, 1936, p. 138): Quand vous lisez dans la Genèse qu'au moment où nos premiers parens s'aperçurent de leur nudité, Dieu leur fit des habits de peau, entendez-vous cela au pied de la lettre? Croyez-vous que la Toute-Puissance se soit employée à tuer des animaux, à les écorcher, à taner [sic] leurs peaux, à créer enfin du fil et des aiguilles pour terminer ces nouvelles tuniques?
J. de Maistre, Soirées St-Pétersb., t. 2, 1821, p. 306. 2. MAR., PÊCHE. Tremper un filet, une voile dans une décoction de tan pour la teindre et l'imperméabiliser (d'apr. Baudr. Pêches 1827 et Bonn.-Paris 1859). 3. PHOT. ,,Traiter une surface sensible dans un bain tannant`` (GDEL). Après l'insolation qui a la propriété de tanner les parties de gélatine qui ont reçu la lumière (...) on développe à l'eau pure (Civilis. écr., 1939, p. 10-4). B. − P. métaph. ou au fig., fam. 1. [P. réf. au cuir que l'on bat pour l'assouplir] Rosser, battre (une personne, un animal). Tanner le cul, les fesses, le cuir de qqn. On lui avait infligé huit jours (...) pour s'être fait tanner le cuir par un gars qu'il ne voulait pas nommer (France1907).Le cheval maintenant hennissait à la tremblade: on le tannait à coups de pied dans le ventre (Giono, Gd troupeau, 1931, p. 94).V. fesse A 1 b ex. de Giono. − P. anal. [Le suj. désigne une cloche, un tambour] Dehors, le bourdon sonne et sonne, A grand battant tannant Les longs regrets (Verhaeren, Villes tentac., 1895, p. 124).Un tambour, mais si lointain qu'on n'entendait pas le roulement; les baguettes tannaient du vide (D'Esparbès, Demi-solde, 1899, p. 252). 2. a) Tanner pour (que).Harceler, talonner quelqu'un par des invectives répétées, une insistance opiniâtre, pour en obtenir quelque chose. Il tanne son père pour avoir de l'argent. Tu oublies maman, qui veillait au grain! Elle me tannait assez pour que j'épouse une femme riche! (Bourdet, Sexe faible, 1931, ii, p. 388).Cela faisait des mois que Fernand, ce gros garçon lambin si sympathique, me tannait pour que je le mène voir les gitanes (Cendrars, Homme foudr., 1945, p. 171). b) Tanner les oreilles de qqn. Ressasser sans cesse les mêmes choses, lui rebattre les oreilles de propos inlassablement rabâchés. Ça fait, dit Linaire, quinze ans que Baponot me tanne les oreilles avec cette histoire-là (Queneau, Loin Rueil, 1944, p. 123). 3. Importuner, agacer, énerver par un comportement particulièrement irritant. − Et vous, mon enfant, pourquoi êtes-vous ainsi décoiffée et les cheveux pendants, au lieu de les porter tordus sur la tête, et retenus par des épingles? − Monsieur l'inspecteur, ça me donne des migraines. − Mais vous pourriez au moins les tresser, je crois? − Oui, je le pourrais, mais papa s'y oppose. Il me tanne, je vous dis! (Colette, Cl. école, 1900, p. 149).Il me tanne avec ses grands mots pis toutes ses idées de fou (Roy, Bonheur occas., 1945, p. 101). − [Le suj. désigne une chose] Fatiguer, lasser. Les épreuves de l'Éducation me tannent aujourd'hui (Flaub., Corresp., 1879, p. 297). − Empl. pronom., région. (Québec). Se tanner vite. Se fatiguer, se lasser. On est jamais sûr de recevoir une subvention des Affaires culturelles, même si la coutume confirme la subvention. On vit de cette façon pendant quelques années mais on finit par se tanner! (Richesses Québec1982, p. 2250). C. − P. anal. 1. [Le suj. désigne un agent extérieur propre à donner à la peau humaine la couleur du tan] Rendre hâlé, brun. Être tanné par le grand air, le sel de mer, les intempéries, les embruns, les vents durs et salés. Faites-moi, dans un vrai paysage, des nymphes telles qu'elles auraient pu être, des filles de ferme, cuites et tannées par tous les soleils et par toutes les pluies. On n'a pas le teint pâle et doucement carminé (...) quand on se promène, sans voiles, dans les clairières et dans les bois (Huysmans, Art mod., 1883, p. 25).Ah! cette vie du pêcheur, l'âpreté du flot qui tanne le visage (...) le sauvage amour de la mer qui ne lâche plus les hommes qu'elle a conquis! (Zola, Ouragan, 1901, iii, 1, p. 480). − Empl. pronom. Sa figure, autrefois si fraîche et si sanguine, se desséchait et se tannait comme un parchemin (Cladel, Ompdrailles, 1879, p. 143).On ne peut plus le sortir de dessus les cargos. Il se rase lui-même (...) se bronze (la mode était aux teints de crème), se tanne, prend l'œil clair (Giono, Chron., Noé, 1947, p. 210). 2. [P. réf. à l'aspect du cuir tanné] a) Durcir, donner de la résistance à. Bouville approche sa grosse main tannée par les rênes de chevaux et les pommeaux d'armes (Druon, Loi mâles, 1957, p. 229). b) Au fig. Durcir le caractère, l'aguerrir par une série d'épreuves ou de situations difficiles. Ce professorat a fait de moi une vieille bête qui a besoin d'avoir l'air méchant, et qui le devient, à force de faire le croquemitaine et les yeux creux... Ça vous tanne le cœur (Vallès, J. Vingtras, Enf., 1879, p. 393).Toutes les épreuves, qui avaient tanné et durci Léopold, avaient délabré l'organisme, jadis si puissant, de François (Barrès, Colline insp., 1913, p. 271). − Empl. pronom., fam. Se tanner à.Se fatiguer, s'épuiser à. Au Quinze-cents, on sert le monde. On vient fatigué de servir le monde. On se tanne donc de servir le monde (Roy, Bonheur occas., 1945, p. 153). Prononc. et Orth.: [tane], (il) tanne [tan]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1200 tenner « fatiguer, lasser » (Robert de Boron, Graal, éd. W. A. Nitze, 2174); ca 1223 taner« lasser, fatiguer, ennuyer » (Gautier de Coincy, Miracles N.D., II Mir 25, éd. V. F. Koenig, t. 4, p. 252, 197); b) 1262 taner « tourmenter » (Rutebeuf,
Œuvres, éd. E. Faral et J. Bastin, AM 86 ici jeu de mots avec tanner le cuir); fin xives. taner « opprimer (une ville) » (Froissart, Chroniques, éd. S. Luce et G. Raynaud, t. 6, p. 1); c) 1833 tanner le cuir à qqn « battre, rosser » (Vidal, Delmart, Caserne, p. 309); 1852 tanner « id. » (Humbert); 2. a) ca 1200 taner « rendre hâlé, brun » (Paien de Maisières, Mule sans frein, éd. R. Thompson Hill, 517); ca 1223 tané « qui est de couleur à peu près semblable à celle du tan, brun roux » (Gautier de Coincy, op. cit., II Ch. 9, t. 3, p. 330, 689); b) subst. 1316 tenné « drap brun roux » (Comptes de l'Argenterie, éd. Douët d'Arcq, p. 37); 3. 1230 tenner « préparer les cuirs avec du tan pour les rendre imputrescibles » (Gaydon, 196 ds T.-L.). Dér. de tan*; dés. -er, cf. tanare dans un gloss. lat. du viiies. (FEW t. 13, 1, p. 84b). Fréq. abs. littér.: 42. Bbg. Alessio (G.). Saggio di etimologie francesi. R. Ling. rom. 1950, t. 17, p. 206. − Gohin 1903, p. 350. − Høybye (P.). Notes lexicol. et étymol. Fr. mod. 1968, t. 36, p. 64. |