| TALENT, subst. masc. I. − ANTIQUITÉ A. − Unité de poids de 20 à 27 kg. Chez les Athéniens, le talent pesait environ vingt-sept kilos (Ac.1935). B. − Monnaie de compte équivalent à un talent d'or ou d'argent. [Pilate] est procurateur, lieutenant consulaire. Le port de Tyr lui paie un talent par galère (Hugo, Fin Satan, 1885, p. 869).Autrefois il a prêté , sur reçu (...) une somme de dix talents d'argent à un parent pauvre (A. France, Vie littér., 1891, p. 219). − Vieilli. [P. allus. à la Parabole des talents dans Matth., XXV, 14 et sqq.] Enfouir son talent. Ne pas faire valoir ses dons, ses capacités. Songez au serviteur qui enfouit le talent que son maître lui a confié (Martin du G., Thib., Cah. gr., 1922, p. 738). II. A. − 1. Vieilli. Disposition donnée, aptitude, capacité physique ou intellectuelle pour réussir en quelque chose. Synon. don, faculté.Les talents du corps et de l'esprit; exercer son talent, un talent; avoir le talent de se ruiner, d'ennuyer qqn, de se faire moquer de soi. Madame Paturot (...) avait un talent inouï pour détourner la conversation (Reybaud, J. Paturot, 1842, p. 412).Il possédait, entre autres talents, celui de violer un cachet, le plus doucement du monde (Bourges, Crépusc. dieux, 1884, p. 66). 2. Aptitude, capacité particulière, habileté, naturelle ou acquise, pour réussir en société et dans une activité donnée. Avoir des talents; se faire connaître par quelque talent; un talent d'imitation; un beau, grand talent; un joli talent d'amateur; talent dramatique, littéraire; talent militaire, politique; talents de ménagère. Jamais il n'avait eu le talent des affaires, et quatorze années passées à la campagne, entre ses valets, son notaire et son médecin, jointes à la mauvaise humeur de la vieillesse qui était survenue, en avaient fait un homme tout à fait incapable (Stendhal, Chartreuse, 1839, p. 19).On avait vanté devant lui le talent de conteur du premier lieutenant (Peisson, Parti Liverpool, 1932, p. 106). ♦ Talent de société. Talent qui divertit, intéresse en société. Ses talents de société éclipsaient les miens; il devenait le héros de la fête (Reybaud, J. Paturot, 1842, p. 332).C'est vrai qu'il a des talents de société, dit-elle; il chante des chansons tellement drôles! (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 215). B. − Absol., dans le domaine intellectuel ou artist. Aptitude, capacité remarquable. Avoir du talent. Le génie est l'instinct de tout voir et de tout comprendre, et le talent est le don de tout rendre et de tout exprimer (Chênedollé, Journal, 1833, p. 162).Le génie, même le grand talent, vient moins d'éléments intellectuels et d'affinement social supérieurs à ceux d'autrui, que de la faculté de les transformer, de les transposer (Proust, J. filles en fleurs, 1918, p. 554). ♦ De talent. Un homme de talent, quoi qu'il fasse, ne rassure jamais l'autorité (Goncourt, Journal, 1865, p. 120). − [P. méton.] Ensemble de qualités d'une œuvre dénotant les capacités remarquables de son auteur. Mon noble ami, mais c'est plein de talent, ça! (Villiers de L'I.-A., Contes cruels, 1883, p. 53). C. − P. méton. Personne qui a du talent. [M. Pradier] est un talent froid et académique. Il a passé sa vie à engraisser quelques torses antiques, et à ajuster sur leurs cous des coiffures de filles entretenues (Baudel., Salon, 1846, p. 190).Les grands talents ont derrière eux des imitateurs qui les caricaturent, comme ces ombres grimaçantes, sur un mur, à la chandelle (Goncourt, Journal, 1860, p. 739). Prononc. et Orth.: [talɑ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. A. 1. Fin xes. « sentiment, pensée, disposition d'esprit » [G. Mombello, Les Avatars de « talentum », Turin, 1976, p. 154, note 2 précise pour ce texte « courroux »] (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 73: Los sos talant ta fort monstred [Le Christ chassant les marchands du Temple] Que grant pavors pres als Judeus); 2. id. « désir, souhait, volonté » (ibid., 84: Vostres talenz ademplirai); ca 1050 (St Alexis, éd. Chr. Storey, 25: Amfant nus done ki seit a tun talent), cf. l'analyse sém. de G. S. Burgess ds Romania t. 95, 1974, pp. 443-466 et G. Mombello, op. cit., pp. 153-161; 3. id. « esprit » (ibid., 139: À tel tristur aturnat sun talent [la mère d'Alexis]. Unc puis cel di nes contint ledement). B. « Dons, capacités, aptitudes accordés par Dieu » 1. xives. [ms.] « faculté, aptitude (domaine des sens) » (ds Rec. gén. des jeux-partis, éd. A. Långfors et L. Brandin, XV, 20, t. 1, p. 59: S'il ne parole [le muet], s'a par veoir talent, Par quoi il doit les biens d'amours sentir); déb. xves. « capacités physiques » (Christine de Pisan, Epistre Othea, LXXII, ms. Harley 4431, fol. 128 rods G. Mombello, op. cit., p. 178); 2. mil. xvies. « dons du Saint-Esprit » (Calvin, Serm. Pentecoste, 4 [XLVIII, 648] ds Hug.: chacun n'en pourra pas avoir en egal mesure [de la grâce du St Esprit], mais cela n'empesche pas que nous ne facions profiter nostre petit talent); 3. 1560 « capacités intellectuelles » (Ronsard, Élégie, 37 ds
Œuvres, éd. P. Laumonier, t. 10, p. 364: Si Ronsard ne cachoit son talent dedans terre, Or parlant de l'amour, or parlant de la guerre [...] Il seroit tout parfaict), v. G. Mombello, op. cit., pp. 192 et 201-202; 4. p. ext. av. 1734 « personne qui a une aptitude spéciale » (Fontenelle, Éloge de Lagny ds Littré). II. 1. Ca 1170 « unité de poids (dans le monde antique) » (Rois, III, V, 12, éd. E. R. Curtius, p. 121); 2. 1530 « monnaie de compte équivalant au poids d'un talent » (Palsgr., p. 279a); 1551 spéc. Récit de la Parabole des talents enfouyr [le talent] (Bible, trad. Calvin, s.l., Jehan Crespin, Matth. XXV, N.T., fol. 10b); 3. « richesses » [XIIIes. talente fém. (Vies des Pères, St Paulin, 67, cité par G. Mombello, op. cit., p. 349)] 1575 (Brantôme, Discours sur les couronnels [VI, 101], ibid., p. 192). Empr. au lat.talentum, sens II 1, 2; empl. fig. à basse époque « richesse, richesse morale » (fin ive-ves. ds G. Mombello, op. cit., p. 193) [3]. L'explication de I se trouve dans l'interprétation de la parabole évangélique par l'exégèse médiév.; celle-ci s'exprime par différents aut.: dès le ives., les talenta sont considérés par St Jérôme comme « don de Dieu, grâce » (Comment. in Évang. Matth., ibid., p. 45: In quinque, et duobus, et uno talento, vel diversas gratias intelligamus, quae unicuique traditae sunt; cf. xes., Flodoard, Hist. Rem., lib. 2 c, 19 ds Nierm.). D'apr. le même aut., ibid., les 5 talents distribués par le maître au 1erserviteur représentent omnes sensus « les 5 sens corporels »; les 2 talents signifient l'intelligentia « les capacités intellectuelles, les facultés de l'esprit » et l'opera [operatio] (mot pour lequel G. Mombello relève la var. voluntas, op. cit., pp. 110-111); le talent unique signifie la ratio « faculté intellectuelle ». De talenta « les 5 sens corporels », est dér. le sens « capacités physiques ». Du sens « faculté de l'esprit » (relevé dès les vii-viiies. sous la forme tallan dans des gl. a. irl., G. Ascoli ds Romania t. 27, 1898, p. 525), est issu, par synecdoque, celui de « esprit », att. dès le xies. (a. cat. venir en talent 1067 ds Alc.-Moll; ca 1063 lat. médiév. venire in talentum + inf. ds Du Cange, s.v. talentum, v. aussi, G. Mombello, op. cit., pp. 222-223). Fréq. abs. littér.: 6 493. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 15 174, b) 10 177; xxes.: a) 8 870, b) 3 875. Bbg. Darm. Vie 1932, p. 131. − Mombello (G.). Note sur deux accept. curieuses et rares de talent au Moy. Âge. In: [Mél. Lecoy (F.)]. Paris, 1973, pp. 433-441. |