| SUFFOQUER, verbe I. − Empl. trans. A. − Qqc. suffoque qqn ou qqc. 1. Causer la mort par étouffement. Vous avez vu à Rome la salle de bain qu'on chauffa à l'excès pour faire périr cette jolie sainte [Cécile] ; on espérait qu'elle serait suffoquée par la vapeur de l'eau bouillante (Stendhal, Mém. touriste, t. 3, 1838, p. 187). − P. anal., littér. Une intensité croissante d'obscurité a suffoqué les lampes, les torches, les lumières; on se heurte dans des vagues de brouillard (Villiers de L'I.-A., Contes cruels, 1883, p. 393). − P. métaph. C'est le temps où s'établit (...) une vie dont la régularité suffoquerait l'amour normal (Colette, Ces plais., 1932, p. 156). 2. Empêcher de respirer, provoquer une sensation d'étouffement. Les larmes, les sanglots, la colère, la chaleur, l'émotion suffoquent qqn. La tiédeur moisie du sous-sol suffoque mes poumons nettoyés (Colette, Vagab., 1910, p. 257): Ô délices de se sentir un petit matin de haine, délices de se sentir griffes et mâchoires, avec du feu dans les veines. La haine m'inonde et me suffoque, elle monte dans mes seins comme du lait.
Sartre, Mouches, 1943, iii, 1, p. 87. − Empl. abs. Quand on entrait dans la bergerie, une odeur forte suffoquait, l'exhalaison ammoniacale de la litière, de l'ancienne paille sur laquelle on remettait de la paille fraîche pendant trois mois (Zola, Terre, 1887, p. 100).L'odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme (Camus, Noces, 1938, p. 14). − Au fig. Étonner fortement. Synon. couper* le souffle de, estomaquer (fam.), sidérer, stupéfier.Sa mise de dandy [à Baudelaire] suffoquait les disciples du Réalisme (Carco, Nostalgie Paris, 1941, p. 67).Part. passé en empl. adj. Synon. pantois, soufflé (fam.).− Comment!... − dit Grand-père suffoqué − ça t'est égal de ne pas avoir de prix... Mais c'est inoui!... (Gyp, Souv. pte fille, 1928, p. 151). B. − Qqn suffoque qqn 1. Vx. Tuer ou tenter de tuer en empêchant de respirer. Synon. asphyxier, étouffer.Lorsque l'enfant se présente mal et qu'elles ne le peuvent retourner, elles [les matrones] suffoquent la mère, qui, se débattant contre la mort, délivre son fruit par l'effort d'une dernière convulsion (Chateaubr., Voy. Amér., t. 1, 1827, p. 197).Bien que sept fois mariée, Sara était vierge (...) les servantes de la maison (...) l'accusaient de suffoquer (...) ses maris (A. France, Vie littér., 1891, p. 220). − Empl. adj., RELIG. JUIVE. [En parlant d'animaux] Viande suffoquée. ,,La chair des bêtes dont on n'a point fait sortir le sang`` (Ac.). Par le premier concile de Jérusalem, il est ordonné de s'abstenir des viandes suffoquées (Ac.). 2. Au fig. Étonner vivement. Synon. estomaquer, sidérer, souffler, stupéfier.On s'anime, on se fâche, on réclame des explications; on vous suffoque par le moyen des histoires les plus extravagantes (Boylesve, Leçon d'amour, 1902, p. 119). II. − Empl. intrans. A. − Respirer avec difficulté; avoir la respiration coupée. Synon. étouffer.Comme on suffoquait dans l'étroite salle, chauffée par le bec de gaz, la bonne dut rouvrir la fenêtre (Zola, Bonh. dames, 1883, p. 592).La nuit on suffoquait sous la moustiquaire, trempé de sueur (Gide, Voy. Congo, 1927, p. 705). − P. métaph. Vous ne croyez pas que toute arme soit bonne et légitime pour délivrer un peuple qui râle, qui suffoque? (A. Daudet, Tartarin Alpes, 1885, p. 115). − PATHOL. Éprouver la suffocation. Quelquefois même les crachats se présentent si abondamment, que quelques malades en ont été suffoqués (Geoffroy, Méd. prat., 1800, p. 272).Puis la crise s'apaisa. Elle put souffler un peu, mais elle continua à suffoquer à demi, les yeux blancs, la tête renversée, luttant toujours, mais incapable, fût-ce un instant pour me regarder et me parler, de sortir du gouffre où elle était déjà plongée (Alain-Fournier, Meaulnes, 1913, p. 320). B. − Suffoquer de + subst. désignant un sentiment.Respirer difficilement sous l'effet d'une vive émotion. Suffoquer de colère. Cette impuissance le faisait suffoquer de douleur et de dépit (Martin du G., Thib., Sorell., 1928, p. 1202).Je suffoquais d'indignation et de honte (Billy, Introïbo, 1939, p. 190). REM. Suffoquement, subst. masc.Étouffement. « J'ai parfois des suffoquements d'amour vague, dit Renan, et des pléthores de sympathie... J'aime tout le monde en ces moments » - et cela suffit à le rassurer sur la bonté de sa nature (Massis, Jugements, 1923, p. 107). Prononc. et Orth.: [syfɔke], (il) suffoque [-fɔk]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Verbe trans. 1. fin xiiies. « tuer par suffocation » (Mahieu le Vilain, Les Metheores d'Aristote, éd. R. Edgren, 133, 33); 1601 fig. (P. Charron, De la sagesse, 633: elle estouffe les vices au berceau, les suffoque en la semence); 2. 1370 « faire perdre la respiration ou la rendre difficile » (Oresme, Ethiques, 135a, éd. A. D. Menut, p. 369); 1532 fig. « causer un sentiment pénible comparé à la gêne de la respiration » (Rabelais, Pantagruel, III, éd. V.-L. Saulnier, p. 21: D'ung costé et d'aultre il avoit d'argumens sophisticques qui le suffocquoient); 3. 1672, 15 janv. « étonner vivement » (Mmede Sévigné, Corresp., éd. R. Duchêne, t. 1, p. 417); 4. 1857 suffoquer un ruisseau (Blanche). B. Verbe intrans. 1. 1718 « perdre le souffle » (Ac.); 2. 1750 fig. suffoquer de « être oppressé par une émotion » (Fougeret de Monbron, Margot la Ravaudeuse, p. 50). Empr. au lat.suffocare « serrer la gorge; étouffer », dér. de fauces « gosier, gorge », préf. sub- « de bas en haut ». Fréq. abs. littér.: 713. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 422, b) 1 110; xxes.: a) 2 296, b) 691. |