| SPIRITUALITÉ, subst. fém. A. − Qualité de ce qui est esprit ou âme, concerne sa vie, ses manifestations ou qui est du domaine des valeurs morales. 1. [Corresp. à esprit en tant que principe immatériel] PHILOS., RELIG. Synon. immatérialité, incorporalité, incorporéité; anton. corporalité, corporéité, matérialité. a) Qualité d'un être qui est esprit, qui n'a pas de corps. La spiritualité des anges, de Dieu, du Verbe. La spiritualité est le caractère et la qualité qui affectent les êtres immatériels: Dieu, les anges, l'âme qui est par nature séparable du corps et qui est immortelle (Religions1984). b) Qualité de ce qui est de l'ordre de l'esprit (considéré comme un principe indépendant), de ce qui concerne l'esprit ou dont l'origine n'est pas matérielle. [La philosophie spiritualiste] enseigne la spiritualité de l'âme, la liberté et la responsabilité des actions humaines, l'obligation morale, la vertu désintéressée, la dignité de la justice, la beauté de la charité (Cousin, Vrai,1836, p. VII).Les Pères de l'Église ont pu trouver dans le Phédon la doctrine de la spiritualité de l'âme qui leur était nécessaire, ils y ont encore trouvé plusieurs démonstrations de l'immortalité de l'âme et la conception d'une vie future, avec un ciel et un enfer, des récompenses et des châtiments (Gilson, Espr. philos. médiév.,1931, p. 174). 2. [Corresp. à esprit en tant que principe de la pensée, de l'âme; avec idée d'élévation au-dessus de la matière, du réel ou des sens] a) Domaine artist. (beaux-arts, mus.).Manière symbolique, idéaliste de représenter les choses. Anton. matérialité, réalisme.Spiritualité d'une peinture, d'une toile. Le dessin de Delacroix, intensité, spiritualité, aspiration vers l'infini (Barrès, Cahiers,t. 8, 1910, p. 214).Nous insisterons surtout sur cette spiritualité juvénile qui enveloppe toutes ses œuvres [de Mozart], même Cosi fan tutte (Ghéon, Prom. Mozart,1932, p. 75). b) Parfois péj. et le plus souvent avec une connotation relig.
α) Vie de l'esprit; qualité d'une personne attachée aux choses de l'esprit, de l'âme, aux valeurs morales et religieuses. Synon. mysticisme, mysticité, religiosité; anton. matérialité.Elle est frappée (...) par l'absence de spiritualité chez la plupart des gens, de leur profonde indifférence aux choses de l'âme; elle voudrait faire un voyage au Tibet, le « toit du monde », dont la vie spirituelle l'attire (Green, Journal,1942, p. 231).Si la danse est parfois la griserie des mouvements elle est surtout: l'effort du corps vers la beauté, l'élan de l'esprit vers l'ordre et la vérité, la montée de l'âme vers la spiritualité (Bourgat, Techn. danse,1959, p. 127). − [Avec une idée d'effort, de dépassement, d'ascension] Telle est d'abord la signification du doute cartésien: il apparaît avant tout comme un parti pris héroïque de la volonté pour l'élever du monde corporel au monde spirituel et atteindre la pleine spiritualité de l'esprit (Lacroix, Marxisme, existent., personn.,1949, p. 79). − [P. oppos. à la chair, au corps, aux sens] Anton. sensualité.Seulement l'Anglais, sous son masque de froideur et de spiritualité, étant de sa nature très libertin (...) quand il lui passe par la cervelle quelque fantaisie lubrique, l'homme va voir les filles (E. de Goncourt, Faustin,1882, p. 245).Et la spiritualité de cet homme, cette spiritualité dont faisaient foi la coupe si noble de son front (...) était si entière, qu'à vingt-six ans il était aussi chaste qu'une vierge (Bourget, Irrépar.,1884, p. 100).
β) Rare. [À propos d'une chose, d'une production hum.] Qualité de ce qui traduit la vie de l'esprit, le mysticisme; caractère religieux de quelque chose. L'idée est essentiellement sensuelle et l'animalité du poème est fonction fatale et agissante de sa spiritualité (Faure, Espr. formes,1927, p. 130).A Toulouse, l'église mère de l'Ordre [des dominicains] cet admirable monument d'une spiritualité si haute, a perdu ses vitraux, ses fresques et même le célèbre tombeau de saint Thomas d'Aquin (Mâle, Art relig.,1932, p. 465).
γ) En partic. Qualité de ce qui éveille à l'esprit, de ce qui peut être porteur de vie spirituelle. Une spiritualité du dégagement est un complément indispensable de la spiritualité de l'engagement. Si ambiguë soit la voix multiple de Gide, on ne saurait oublier qu'elle balbutie avec ferveur cet Évangile du dégagement, si proche de l'Évangile de la Montagne (Mounier, Traité caract.,1946, p. 303).Parfois, il [le tuteur déterminatif] n'était que l'émissaire des hommes d'action ou de fonctionnaires se refusant à devenir des mécaniques. D'où la spiritualité du travail, de la route, des malades et des médecins, de l'Action catholique et même des anormaux qui devaient se sanctifier, comme les autres, par et malgré leur anormalité (Religions1984). B. − THÉOLOGIE 1. Théologie mystique qui a pour objet la vie de l'âme, la vie religieuse; ensemble des croyances, des principes ou des règles qui inspirent la vie de l'âme, le mysticisme religieux d'une personne, d'un groupe, d'une époque. Tandis que la magie évoluait de plus en plus vers une « philosophie de la nature » (...), la religion s'acheminait progressivement sinon vers une philosophie de l'esprit, du moins vers une doctrine et une pratique de la spiritualité pure (J. Vuillemin, Essai signif. mort,1949, p. 225). − Le plus souvent loc. adj. inv. De spiritualité. Qui concerne la vie de l'âme, le mysticisme religieux. École, livre de spiritualité. Les Études franciscaines, publiées par les Capucins de Paris, publient à la fois des études de spiritualité, de science, d'histoire franciscaine et des articles d'intérêt général (Civilis. écr., 1939, p. 34-7).Ce livre [du Père de Caussade] est un des plus beaux que je connaisse de tous les ouvrages de spiritualité (Green, Journal,1955, p. 73). − Parfois au plur. [Les mystiques] trouvent par là [les martyres chimériques] ce merveilleux qu'ils cherchent, comme une des choses les plus capables d'attirer les âmes à ces nouvelles spiritualités (Bremond, Hist. sent. relig.,t. 4, 1920, p. 579). 2. [Avec une détermination explicite] Forme particulière que prennent ces principes et ces règles selon les écoles théologiques, les institutions religieuses, les peuples. La spiritualité chrétienne, ignatienne; la spiritualité de saint François, de Port-Royal. Y aurait-il eu incompatibilité manifeste entre la spiritualité de la Compagnie de Jésus et celle des oratoriens? L'abbé Houssaye paraît le croire (Bremond, Hist. sent. relig.,t. 3, 1921, p. 198).Les différences entre la spiritualité bénédictine et la spiritualité franciscaine (Maritain, Primauté spirit.,1927, p. 268). − Parfois au plur. Les spiritualités à voie étroite comme celle de Saint-Cyran et du puritanisme, et les spiritualités profuses qui, de François d'Assise à François de Sales, à Claudel ou à Péguy, appellent à soi toutes les voies de la terre (Mounier, Traité caract.,1946, p. 692). 3. HIST. DE LA RELIG. CATH. La nouvelle spiritualité. Doctrine des mystiques quiétistes. Bossuet, qui le considérait fort [M. de Tillemont], lui avait envoyé son instruction de 1695 contre la nouvelle spiritualité des quiétistes (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 3, 1848, p. 602).La nouvelle spiritualité de MmeGuyon, de Fénelon (Rob.1985). Prononc. et Orth.: [spiʀitɥalite]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1350 « vie spirituelle » (Gilles le Muisit, Poésies, I, 127 ds T.-L.: li maisons avoit estet en grant prosperitet de religion, de spiritüalitet); b) 1690 livre de spiritualité (Fur.); 2. ca 1590 « qualité de ce qui est esprit » (Montaigne, Essais, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 544). Empr. au lat. chrét.spirit(u)alitas « immatérialité, caractère de ce qui est surnaturel » (v. Blaise Lat. chrét.), qui a pris à l'époque médiév. le sens de « qui concerne la vocation religieuse, le clergé » (xiies., v. Nierm.), d'où espiritualité « biens de l'Église » (Charte de 1247 ds Du Cange, s.v. spiritualia) et plus gén. « ce qui est du domaine de la puissance séculière de l'Église » (1283, Philippe de Beaumanoir, Coutumes Beauvaisis, éd. A. Salmon, t. 1, p. 153), sens vivant jusqu'au xvies. (v. Gdf., s.v. esperituauté). Aux plans sém. et morphol. le développement de spiritualité est en liaison étroite avec celui de spirituel*. Fréq. abs. littér.: 346. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 313, b) 158; xxes.: a) 233, b) 978. Bbg. Gorcy (G.). Les Dér. d'esprit en fr. moderne... Spiritus: IVeColloquio internazionale. Roma, 7-9 gennaio 1983, Roma, 1985, pp. 449-492. − Gordon (W. T.). A History of semantics. Amsterdam; Philadelphia, 1982, pp. 473-477. |