| SIGNIFIER, verbe trans. I. − [Le signe désigne une chose, instituée ou non comme signe] A. − [Le suj. désigne une chose, un fait matériel] 1. Manifester, indiquer, vouloir dire quelque chose; avoir pour sens (v. ce mot II A 1). Geste qui signifie un refus. La Marquise: (...) qu'est-ce que signifie cette chose-là: faire la cour à une femme? Le Comte: Cela signifie que cette femme vous plaît, et qu'on est bien aise de le lui dire (Musset,Il faut qu'une porte, 1845, p. 241): 1. ... j'étais embarrassé devant certains de ses regards, de ses sourires. Ils pouvaient signifier mœurs faciles, mais aussi gaîté un peu bête d'une jeune fille sémillante mais ayant un fond d'honnêteté. Une même expression, de figure comme de langage, pouvant comporter diverses acceptions, j'étais hésitant comme un élève devant les difficultés d'une version grecque.
Proust,J. filles en fleurs, 1918, p. 882. Signifier qqc. à/pour qqn.Tuer son cochon signifie pour le paysan s'approvisionner de charcuterie, de morceaux fins et de graisse pour toute l'année (Pesquidoux,Chez nous, 1921, p. 79).La répétition répond à l'incompréhension. Elle nous signifie que l'acte du langage n'a pu s'accomplir (Valéry,Variété III, 1936, p. 75).♦ Loc. [Exprime le mécontentement, l'impatience ou l'étonnement du locuteur] Que signifie (qqc.)? qu'est-ce que cela signifie? Que signifie cet accoutrement? Qui êtes-vous pour venir parodier sous cette large perruque un homme que j'ai aimé? (Musset,Fantasio, 1834, ii, 1, p. 208).Qu'est-ce que tout cela signifie? gronda Joseph, le poil soudainement hérissé, l'œil rouge, le nez de travers. Qu'est-ce que cette plaisanterie? (Duhamel,Passion J. Pasquier, 1945, p. 78). − En partic. [Constr. avec une nég. ou empl. dans un cont. nég.] Ne rien signifier, ne pas signifier grand-chose. Ne pas être une preuve, un signe de quelque chose; avoir peu ou pas de sens, de valeur; ne pas porter à conséquence. Sois tranquille (...). On en fera un gaillard... Ça ne signifie rien, qu'il soit si petit (Zola,Joie de vivre, 1884, p. 1104).Aujourd'hui c'est mardi gras, mais, à Bouville, ça ne signifie pas grand'chose; c'est à peine s'il y a dans toute la ville, une centaine de personnes pour se déguiser (Sartre,Nausée, 1938, p. 83). − P. anal. Avoir pour équivalence, contenu ou implication. La guerre signifie (...) danger de mort et sacrifice de la vie pour tout le monde, pour tout le monde: personne n'est sacré (Barbusse,Feu, 1916, p. 140).La socialisation des moyens de production ne signifie pas la disparition des classes (Camus,Homme rév., 1951, p. 284). 2. [Le suj. désigne un phénomène naturel] Être le signe de quelque chose (v. signe I A 1). Synon. annoncer.Toute la nuit des averses et des coups de vent se succéderaient sur l'île − et demain, quand le ciel déteint signifierait le jour, l'on ne verrait plus la terre (Queffélec,Recteur, 1944, p. 66).− Je pense que nous aurons encore beau temps demain, dit Mmede La Monnerie. − Oui, quoique je ne sache pas ce que signifient ces petits nuages, répondit Olivier Meignerais (Druon,Gdes fam., t. 1, 1948, p. 123). B. − [Le suj. désigne un signe (v. ce mot II)] 1. [Le suj. désigne un ensemble de signes, un propos ou un texte] Avoir pour sens, pour signification (v. ce mot I B 1). « Mais je t'aimais! » m'a répondu Robert, beaucoup plus tard. Dans sa bouche, que signifient au juste ces mots? (Beauvoir,Mandarins, 1954, p. 46): 2. J'aimerais tout de même que Massis m'expliquât, une bonne fois, ce que signifie cette parole de Claudel qu'il admire et cite et recite à propos de moi: « Le mal, ça ne compose pas. » J'ai beau retourner la phrase dans tous les sens, je ne parviens à la faire coller à rien. J'en reste à ne savoir dans quelle acception prendre le mot « composer ». Peut-être bien que cela ne veut rien dire...
Gide,Journal, 1937, p. 1264. − Absol. Avoir du sens, être porteur de signification. La parole signifie non seulement par les mots, mais encore par l'accent, le ton, les gestes et la physionomie (Merleau-Ponty,Phénoménol. perception, 1945, p. 176).Il n'a pas suffi que le texte rétrocédât de son importance [face à l'image]; il lui a fallu changer d'aspect, de nature, non plus seulement « signifier », mais « paraître » (Huyghe,Dialog. avec visible, 1955, p. 17). 2. [Le suj. désigne un signal, un symbole ou un signe intégré dans un système donné] Avoir pour sens déterminé et spécifique. Toute forme, enfin, porte aisément un infini de pensées sans paroles. C'est pourquoi la convention s'y met aussi. La chouette signifie Pallas et le paon signifie Junon (Alain,Beaux-arts, 1920, p. 297).Un ancien pictogramme, consistant en trois vagues, signifiant « l'eau » (Huyghe,Dialog. avec visible, 1955, p. 33). − [Le suj. désigne un mot] J'éprouvais devant ce qui restait de Marie, tout ce que signifie le mot « dépouille ». J'avais le sentiment irrésistible d'un départ, d'une absence. Elle n'était plus là; ce n'était plus elle (Mauriac,Nœud vip., 1932, p. 140).Pendant la leçon de géographie, je l'entendis qui grondait: « Je répète, qu'est-ce qu'un havre? Que signifie le mot havre? Vous, là-bas, Pasquier, le dormeur! » (Duhamel,Notaire Havre, 1933, p. 108). ♦ [Dans un cont. nég.] Avoir un sens assignable. Laissé causer M. de Grimaldi plutôt que je n'ai causé avec lui. Parlé de MmeAncelot qu'il dit ravissante. Le mot ne signifie rien du tout ; c'est un mot de Paris, ce n'est pas un jugement. On n'a pas l'air le moins du monde ravi quand on dit qu'une chose ou une personne est ravissante (Barb. d'Aurev.,Memor. 2, 1838, p. 257).Il y a eu d'autres lettres (...); Lewis en envoyait une par semaine, comme autrefois; et comme autrefois elles s'achevaient toutes par ce mot: love, qui veut tout dire et ne signifie rien. Était-ce encore un mot d'amour, ou la plus banale des formules? (Beauvoir,Mandarins, 1954, p. 500). ♦ En partic. Avoir pour sens étymologique. Abbé signifie père. Si l'on remonte à l'étymologie, le mot synthèse ne signifie autre chose que composition ou construction, tandis que le mot d'analyse signifie décomposition, ou mieux encore résolution (Cournot,Fond. connaiss., 1851, p. 382): 3. Pour en revenir au pays que nous avons le plaisir de traverser en ce moment avec vous, Bricquebosc signifierait le bois de la hauteur, Bricqueville l'habitation de la hauteur, Bricquebec, où nous nous arrêterons dans un instant avant d'arriver à Maineville, la hauteur près du ruisseau. Or ce n'est pas du tout cela, pour la raison que bricq est le vieux mot norois qui signifie tout simplement: un pont.
Proust,Sodome, 1922, p. 888. ♦ Absol. Être porteur de sens, avoir un sens spécifique, déterminé. Un mot, si peu qu'il signifie, n'en a pas moins son quant-à-soi (Musset,Lettres Dupuis Cotonet, 1836, p. 597).Outre que les mots signifient, ils jouissent d'une vertu magique, d'un pouvoir de charmes, d'une faculté d'hypnose, d'un fluide qui opère en dehors du sens qu'ils possèdent. Mais il n'opère que lorsqu'on les groupe et cesse d'opérer si le groupe qu'ils forment n'est que verbal (Cocteau,Diff. d'être, 1947, p. 181). II. − [Le suj. désigne une pers.] A. − Exprimer quelque chose, manifester sa pensée (par un mot, une expression, un procédé linguistique quelconque ou par un geste, une attitude). Employer un mot pour signifier qqc. L'abbé haussa les épaules pour signifier l'incertitude. Du même mouvement, ses sourcils, ses yeux, ses lèvres, et tous ses traits parurent tirés vers le haut (Malègue,Augustin, t. 1, 1933, p. 268).En littérature, où l'on use de signes, il ne faut user que de signes; et si la réalité que l'on veut signifier est un mot, il faut la livrer au lecteur par d'autres mots (Sartre,Sit. I, 1947, p. 201, note 11).Empl. pronom. réfl. Chacun se signifie par son costume (Goncourt,Journal, 1863, p. 1235).Empl. pronom. réciproque. Pouvait-il exister accord plus parfait? La moindre pensée de l'un était perceptible à l'autre, et il leur suffisait d'un mot, du plus humble des gestes, pour se signifier mutuellement cet accord (Daniel-Rops,Mort, 1934, p. 469). ♦ [P. méton.] Madame M. R. (...) s'attarde à nous dire adieu. Quand enfin, il lui faut repartir, elle m'embrasse brusquement devant tout le monde d'un air qui signifie beaucoup de choses (Loti,Journal, 1878-81, p. 110).Mariolles reste muet, abruptement. Toute sa loyale figure s'efforce de signifier: Comment voulez-vous que je sache ça, au moins pour les jarretelles? (Toulet,Tendres mén., 1904, p. 41). − Absol. Manifester, produire de la signification. Nos mythes à nous sont tout abstraits. Ils n'en sont pas moins mythes. Nos idées n'ont pas de corps. Nous pensons par squelettes. Nous avons perdu le grand art de signifier par la beauté (Valéry,Variété III, 1936, p. 84).Vous le savez comme moi, il s'agit beaucoup moins de signifier que de créer chez le lecteur une émotion ou une sensation poétique (Aymé,Confort, 1949, p. 165). − P. anal. Exprimer, symboliser quelque chose (par quelque chose). Cette déchirure jaune du ciel au-dessus du Golgotha, le Tintoret ne l'a pas choisie pour signifier l'angoisse, ni non plus pour la provoquer, elle est angoisse et ciel jaune en même temps (Sartre,Sit. II, 1948, p. 61). B. − Faire connaître d'une façon ferme et définitive (une intention, une décision, une volonté, un sentiment). − Signifier qqc. à qqn.Elle était arrivée toute froide dans le cabinet, avec la certitude qu'on l'appelait pour lui signifier son renvoi (Zola,Bonh. dames, 1883, p. 503).Il faut que Monsieur le juge, en rentrant, trouve sur son bureau la belle lettre où je m'en vais lui signifier mon départ (Gide,Faux-monn., 1925, p. 934). − Signifier à qqn de + inf.Il faut que je signifie à MmePaulin de ne plus me mêler à ses commérages (Frapié,Maternelle, 1904, p. 143).Son mari allait-il signifier à François de ne plus remettre les pieds chez eux? (Radiguet,Bal, 1923, p. 114). − Signifier à qqn que + ind., subj. ou cond.Je viens donc te dire, t'ordonner et te signifier que tu aies à produire et exhiber promptement ta finance, sinon tu seras massacré (Jarry,Ubu, 1895, iii, 4, p. 61).Le père montra Gaspard, et il poussait le doigt sur lui, plusieurs coups, pour signifier à Pauline qu'elle aurait à le faire avancer (Pourrat,Gaspard, 1931, p. 212). C. − DR. Notifier par voie de justice. Signifier un exploit, une contrainte par corps. L'archevêque (...) [ne] gagna pour toute réponse qu'un acte capitulaire dressé par elles [les religieuses de Port-Royal], et qu'elles firent signifier à M. Pollet par un huissier de Chevreuse (Sainte-Beuve,Port-Royal, t. 5, 1859, p. 549): 4. ... M. Laurens m'a fait signifier en temps utile et dans une forme légale un acte de transport de sa créance sur moi au profit de la dame veuve Cuisinier, sa sœur, et c'est à elle que doit être payé le terme réclamé. Cet acte a eu pour but de sauver cet avoir des mains des créanciers qui le poursuivent relativement à une garantie.
Balzac,Corresp., 1829, p. 408. Prononc. et Orth.: [siɳifje], (il) signifie [-fi]. ,,Il y a une tendance à prononcer si(g)nifier, si(g)nification, ma(g)nifique, etc.`` (Rouss.-Lacl. 1927, p. 163). ,,La prononciation de gni mouillé est assez difficile, étant à peu près nyi; il faut éviter cependant de faire entendre compa(g)nie (quoique les poètes fassent très bien rimer ce mot avec les mots en nie), si(g)nifier, et surtout ma(g)nifique`` (Mart. Comment prononce 1913, p. 282). Martinet-Walter 1973 [-ɳi-, -nji-] (8, 9). Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1100 senefier « indiquer, marquer, être le signe de » (Roland, éd. J. Bédier, 73); 1119 signefier (Philippe de Thaon, Comput, 1700, 1774, 1800 ds T.-L.); 1160-1174 signifier (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, III, 60); b) 1759 qu'est-ce que cela signifie « interrogation qui indique le mécontentement » (Caraccioli, Le Livre à la Mode, p. 35 ds Fr. mod. t. 37, p. 123); 2. a) ca 1145 segnefier « faire connaître (quelque chose à quelqu'un) » (Wace, Conception ND, éd. W. R. Ashford, 1093); ca 1175 senefier « notifier, faire connaître quelque chose par des paroles expresses » (Chronique Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 3209); b) 1569 « informer (quelqu'un), avertir (quelqu'un de quelque chose) » (Coutume de Mortaigne ds Gdf. Compl.); 1636 « notifier par voie de justice » (Monet); 3. a) ca 1175 segnefier « avoir un sens déterminé, en parlant d'un symbole » (Chronique Ducs Normandie, 42886); b) 1546 « avoir tel sens (en parlant d'un mot) » (Rabelais, Tiers Livre, chap. 19, éd. M. A. Screech, p. 140); c) 1671 ne signifier rien « n'avoir pas de sens » (Pomey). Empr. au lat.significare « indiquer (par signe), faire comprendre, donner le signal de, annoncer, vouloir dire, avoir tel ou tel sens », formé de signum « marque, signe » et de facere « faire ». Fréq. abs. littér.: 3 317. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 3 104, b) 3 207; xxes.: a) 3 689, b) 7 521. Bbg. Rey-Debove (J.). Le Métalangage. Paris, 1978, p. 174, 189, 191; Les Relations entre le signe et la chose ds le discours métalinguistique. Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1969, t. 7, n o1, pp. 113-129. |