| RÉGNER, verbe intrans. A. − [Le suj. désigne une pers., parfois un ensemble de pers.] 1. Domaine pol. a) [Le suj. désigne un monarque] Exercer le pouvoir souverain, généralement par droit héréditaire, parfois par élection ou par désignation. Régner seul(e); régner en paix, sans conteste; régner par le glaive, par la loi, par la terreur; être appelé à régner. Louis XVIII a régné aussi longtemps que Napoléon (Delécluze, Journal, 1827, p. 416). − [Le suj. désigne une famille, une dynastie] Avoir un de ses membres qui règne, généralement par voie héréditaire. La papauté seule fait encore régner la maison de Savoie (Goncourt, Journal, 1882, p. 159). − Régner en, sur (un État), sur (les habitants d'un État).Régner en France, sur un peuple. Je n'ai désiré d'être reine Que pour régner (Béranger, Chans., t. 1, 1829, p. 164).Le duc Hermann régnait en Thuringe, et le roi André en Hongrie (Montalembert, Ste Élisabeth, 1836, p. 1).Les aînés des familles ayant régné sur la France avaient été exilés (Bainville, Hist. Fr., t. 2, 1924, p. 241). − Le roi règne et ne gouverne pas. [Formule attribuée à Thiers en 1830 pour définir les fondements de la monarchie constitutionnelle] V. gouverner ex. 17. b) P. anal. − [Le suj. désigne une pers. autre qu'un monarque, parfois un ensemble de pers.] Avec la suprématie des Médicis, la paix s'est établie à Florence; des bourgeois règnent et règnent tranquillement (Taine, Philos. art, t. 1, 1865, p. 128).N'oublions pas que nous étions alliés il y a seulement vingt ans, alors que Staline régnait (Beaufre, Dissuasion et strat., 1964, p. 180). − [Le suj. désigne Dieu ou une divinité] Dieu, Celui qui règne dans les cieux. Ô rapide Artémis, qui règnes sur les monts (Moréas, Iphigénie, 1900, v, 4, p. 162). 2. Exercer une influence prédominante, avoir un pouvoir absolu dans différents domaines, sur une ou plusieurs personnes. Régner dans le cœur de qqn; régner en despote, en tyran; régner sur qqn, sur la vie de qqn, sur les esprits. Là règne ouvertement cette classe privilégiée que je trouve, ici, à demi engourdie (Stendhal, L. Leuwen, t. 2, 1835, p. 160).David règne en maître sur les arts (Nolhac, Fragonard, 1931, p. 183). 3. Expr. Diviser pour régner. Opposer des personnes pour mieux les dominer. M. de Charlus aimait aussi à (...) brouiller, diviser pour régner (Proust, Prisonn., 1922, p. 277). B. − [Le suj. désigne une chose] 1. Occuper une place prépondérante, exclusive; exercer une influence importante; avoir un rôle prépondérant, exclusif. a) [Le suj. désigne une chose concr.] Des organes physiques différents règnent dans le sommeil et dans la veille (Béguin, Âme romant., 1939, p. 116): 1. Dans certaines rues désertes et en province, les jardins sur les fenêtres ont encore plus d'importance; c'est là que règnent la capucine, le haricot d'Espagne à fleurs rouges et surtout le cobaea.
Karr, Sous tilleuls, 1832, p. 191. b) [Le suj. désigne une chose abstr.] Régner dans l'âme, sur le visage de qqn; régner sur le monde, sur la terre. Passion fougueuse et qui règne en souveraine (Balzac, Corresp., 1822, p. 156).Encore si le désir eût seul régné sur leurs caprices! (Maurras, Chemin Paradis, 1894, p. 193). c) En partic. − [Le suj. désigne un vent déterminé] Être le plus fréquent (en un lieu donné, à une époque donnée). Le vent d'est, qui règne ici à cette époque, soufflait par bouffées fraîches (Pesquidoux, Livre raison, 1932, p. 2). − [Le suj. désigne un fléau, une maladie] Sévir. Régner dans la ville. J'observe en ce moment une maladie perdue (...). Une maladie qui règnait au moyen âge (Balzac, Cous. Bette, 1846, p. 394).Un pays pauvre, il est vrai, mais (...) où la disette n'avait pas régné cette année-là (Sand, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 415). 2. a) [Le suj. désigne une chose abstr. ou un inanimé rel. à l'environnement] Exister, s'établir, durer. La période tertiaire aurait régné pendant cinq cent mille ans auparavant (Flammarion, Astron. pop., 1880, p. 100).Sans doute, l'harmonie avait-elle d'abord régné entre Patch et d'Argenlieu (De Gaulle, Mém. guerre, 1954, p. 191). SYNT. La nuit, la paix règne; le calme, le silence règne dans l'assemblée, dans la maison, dans la pièce; l'esprit, le bon goût règne chez une personne; la confusion, le désordre, l'incertitude règne; faire régner la justice, l'ordre. − P. antiphr. La confiance règne(!): 2. constant: (...) Tout de même, dites-moi ce qui se passe. Le coupable est entré dans la voie des aveux? henriette: Rien du tout! Filez! Peut-être vous donnera-t-on des nouvelles, ce soir. constant: La confiance règne. Eh bien! je vais admirer les tableaux de Vuillard.
Bernstein, Secret, 1913, i, 4, p. 7. b) Vieilli, littér. [Le suj. désigne une ou plusieurs choses concr.; avec des compl. de lieu, de manière] Être établi, occuper une place, une superficie déterminée. Régner alentour, au fond d'un lieu, jusqu'à un endroit. Plage déserte et inculte qui règne le long de la mer (Stendhal, Abbesse Castro, 1839, p. 187).Le salon, vaste pièce autour de laquelle régnaient des armoires pleines de fossiles (A. France, Vie fleur, 1922, p. 490). − ARCHIT. [Le suj. désigne un élément, un ornement d'édifice] S'étendre en longueur, de façon continue sur une façade, sur le pourtour extérieur ou intérieur d'un édifice. À l'intérieur de la salle et à une médiocre hauteur, règne une galerie circulaire qui sert au service (Mérimée, Ét. anglo-amér., 1870, p. 148). 3. [Le suj. désigne une chose abstr., un système] Avoir cours, être en vogue, en crédit. Régner aujourd'hui, encore, partout; régner à Paris, à la cour, dans le monde, dans les écoles, en ces lieux. Le cannibalisme a longtemps régné chez les ancêtres des peuples les plus civilisés (Verne, Enf. cap. Grant, t. 3, 1868, p. 62).Le plan Baruch (...) avait été conçu à une époque où régnait la conception erronée que l'uranium était peu répandu à la surface du globe (Goldschmidt, Avent. atom., 1962, p. 67). 4. À la forme impers. Il règne un air pur, une chaleur accablante, une odeur délicieuse. Il y régnait encore une sorte d'étiquette qui en excluait la liberté (Jouy, Hermite, t. 4, 1813, p. 274).Il régnait un grand silence dans la campagne (Bosco, Mas Théot., 1945, p. 187). Prononc. et Orth.: [ʀeɳe], [ʀ
ε-], (il) règne [ʀ
ε
ɳ]. Ac. 1694, 1718; re-; dep. 1740: ré-. Conjug. v. abréger. Étymol. et Hist. A. 1. 2emoit. xes. « exercer le pouvoir monarchique » (St Léger, éd. Linskill, 15); ca 1145 p. anal. en parlant de Dieu (Wace, Conception N.-D., éd. W.-R. Ashford, 817); 2. fin xes. « exercer une domination spirituelle » en parlant du Christ (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 372). B. 1. 1174-75 « exercer une influence prépondérante » en parlant de choses abstraites (Étienne de Fougères, Manières, éd. R. A. Lodge, 5a); 2. xiiies.: « exercer une autorité souveraine » (Isopet de Lyon, 130 ds T.-L.); 1650 régner sur (Corneille, Don Sanche, I, 2); 3. 1681 « avoir cours, être en crédit » (Bossuet, Hist., II, 8 ds Littré); d'où 1731 « sévir » en parlant d'une maladie (Voltaire, Charles XII, 7, ibid.). C. 1532 « exister; se manifester » (Rabelais, Pantagrueline Prognostication, VIII, éd. M. A. Screech, p. 25). Empr. au lat.regnare « être roi », « exercer le pouvoir absolu », dér. de regnum (v. règne). Fréq. abs. littér.: 4 278. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 9 188, b) 4 897; xxes.: a) 4 715, b) 4 887. |