| PICOTER, verbe trans. I. − [Fréquentatif de piquer] A. − Marquer de petits trous, de taches, de points. [Les portraits] restent là, muets, immobiles dans leurs cadres de bois, nous passons. Les mites picotent leur toile, on les revernit, ils sourient encore, que nous sommes pourris et oubliés (Flaub., Champs et grèves, 1848, p.181). − Au part. passé en empl. adj. Visage picoté de petite vérole, de sueur. L'hiver venait, la terre brune picotée un beau matin de points blancs, comme un oeuf de vanneau (Giraudoux, Suzanne, 1921, p.24). B. − 1. Piquer légèrement à petits coups répétés. Martinet (...) prit la plume qu'on lui offrait (...); mais la plume picotait le papier et sautillait entre ses doigts crispés par la frayeur (Nerval, Fayolle, 1855, p.174): 1. ... les quelques pauvres diables qu'on aperçoit et qu'on entend dans ces baraques picoter des morceaux de pierre n'avanceront pas en trois siècles la besogne au dixième [la construction de la cathédrale de Cologne]...
Delacroix, Journal, 1850, p.398. 2. En partic. a) [Le suj. désigne un oiseau] Piquer avec le bec à plusieurs reprises. Synon. becqueter, picorer.Oiseaux qui picotent les fruits. De petits poussins qui, à quelques pas d'une poule et d'un coq, picotaient l'herbe des pavés (Champfl., Bourgeois Molinch., 1855, p.117).Une poule sur un mur Qui picotait du pain dur, Picoti, picota, Lève la queue et saute en bas (Les Comptines de lang. fr., Paris, Seghers, 1962, p.249). − Empl. abs. Chercher çà et là sa nourriture. Synon. picorer.Dans les tas de fumier, au bord des étables, les poules et leurs poussins picotaient tous ensemble (Cladel, Ompdrailles, 1879, p.135). b) P. anal. [Le suj. désigne une pers.] Prendre un peu de nourriture par-ci, par-là; grappiller. Synon. picorer.Picoter du raisin, des raisins. Moi, ce que je voudrais, c'est picoter une fois des pommes frites, dans le plat, avec mes doigts (Renard, Poil Carotte, 1894, p.305): 2. Çà et là, elles choisirent, picotèrent petits fours et tartes pour emporter. Au moment de payer elles s'éparpillaient encore en politesses et puis prétendirent s'offrir mutuellement des petits feuilletés à croquer «tout de suite».
Céline, Voyage, 1932, p.472. − Au fig. Recueillir par-ci, par-là de petites choses dont on peut tirer parti. Synon. glaner.Ainsi j'ai glané sur un individu toutes les notes, picoté tous les renseignements désirables sauf un −j'ignore son numéro de téléphone (Jankél., Je-ne-sais-quoi, 1957, p.35). 3. MAN. Picoter un cheval, une monture. Éperonner un cheval, une monture légèrement à diverses reprises. La nièce de Vauxderé, tout en picotant sa monture, était arrivée dans le bois; elle venait de rencontrer le cheval de Virginie, qui retournait à son écurie (Kock, Pucelle, 1834, p.121). C. − Irriter comme par de petites piqûres nombreuses et renouvelées; causer des picotements. Fumée qui picote les yeux; vêtement rugueux qui picote la peau. Ces larmes brûlaient les yeux de la petite qui se les frottait avec un coin de son mouchoir (...) faisait la grimace dans le petit miroir de son sac à main, se trémoussait car le kohol la picotait (Cendrars, Lotiss. ciel, 1949, p.41). ♦ P. ell. du compl. d'obj. dir. Elle se dit que sans doute ces cheveux, qui portaient encore la marque des ciseaux, devaient picoter un peu (Montherl., Songe, 1922, p.64). − Empl. intrans. Les yeux me picotent. Je ne sais pas ce que j'ai aujourd'hui, dit Virginie (...) ça me picote dans les jambes (...) j'ai des cousins, bien sûr! (Kock, Pucelle, 1834, p.32).C'est si bon, une prise (...) surtout quand le nez vous picote (Labiche, Isménie, 1853, 8, p.293). − P. métaph. Sabot se sentait gêné là-dedans [l'église], comme s'il fût entré chez son plus grand ennemi, mais le désir du gain lui picotait le coeur (Maupass., Contes et nouv., t.2, Confess. Th. Sabot, 1883, p.36). D. − Au fig. Agacer, taquiner par des insinuations, des allusions piquantes et répétées. Croyait-on qu'il fût homme à se laisser picoter par des farces ou pousser par des menaces? (Pourrat, Gaspard, 1930, p.193).Sa «bienfaisance le tuera», avait dit de lui, sans sympathie, le père de Léon (qui picotait les Coëtquidan autant que les Coëtquidan picotaient les Coantré), mais avant d'avoir, il est vrai, dû subir cette bienfaisance (Montherl., Célibataires, 1934, p.804). − Empl. pronom. réciproque. Jamais [en Italie] deux femmes ne sont ensemble qu'en cérémonie (...) jamais deux femmes ne se picotent (Stendhal, Corresp., 1820, p.203): 3. L'homme épouse une dot et une bonne tenue, la femme épouse une calèche et une frisure. De là un bonheur conjugal vraiment unique, chacun tirant à soi, tous deux trompés dans leurs espérances, usant de leur esprit pour se picoter en secret et s'aimer en public.
Taine, Nouv. Essais crit. et hist., 1865, p.59. II. − [Corresp. à picot1] TECHNOL. A. − Picoter une dentelle. Garnir d'un picot le bord d'une dentelle. (Dict. xixes.). B. − Picoter un puits de mine. Enfoncer des picots entre les lambourdes et le cadre de boisage. Voir Haton de La Goupillière, Exploitation mines, 1905, p.804. Prononc. et Orth.: [pikɔte], (il) picote [pikɔt]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Fin xives. piquoter «donner des coups de pic» (Froissart, Chron., livre III, § 50, éd. L. Mirot, t.12, p.186); b) 1414 «piquer légèrement et à plusieurs reprises» (L. de Premierf., Decam., B.N. 129, fo159 vods Gdf. Compl.); c) 1541 [date de l'éd.] «faire des incisions (dans la peau du mouton malade pour faire pénétrer l'onguent») (Jean de Brie, Bon Berger, éd. P. Lacroix, p.72); d) 1569 «tacheter, marquer de diverses couleurs» (Est.); 2. ca 1500 fig. «harceler» (Jean d'Auton, Chron., éd. P. L. Jacob, t.3, p.66); 3. 1622 «causer une irritation, démanger» (Paré, OEuvres, livre 20, chapitre 14, éd. J.-Fr. Malgaigne, t.3, p.196); 4. a) 1667 «butiner les fleurs (en parlant d'abeilles)» (Scarron, Virgile travesty, t.2, p.176); b) 1669 «becqueter les fruits (en parlant d'oiseaux)» (Widerhold Fr.-all.); c) 1850 «picorer (des poules)» (Flaub., Corresp., p.241); d) 1869 d'une pers. (Littré: Picoter des raisins à une treille); 5. 1804-05 «enfoncer des picots entre les lambourdes et le cadre de boisage d'un puits de mine» (Daubuisson, Du picotage et du cuvelage [à Anzin] in Journ. des mines, no105, 164 ds Quem. DDL t. 25). Dér. de piquer* d'apr. picot*; au sens 4 cf. les dér. att. dans les parlers région. picocher, pigocher, pigonner, v. FEW t.8, p.462. Fréq. abs. littér.: 31. DÉR. 1. Picotage, subst. masc.a) [Corresp. à supra I D] Action de taquiner, d'agacer quelqu'un par des traits piquants. À déjeuner (...) il se mettait à dire: «Tiens, si je ne buvais pas?» À quoi MmeZola répondait que ça n'avait pas le sens commun et que, du reste, elle était bien sûre qu'il ne pourrait pas le faire. Là-dessus, contradiction et picotage entre le mari et la femme, et Zola ne buvait pas à ce premier déjeuner et continuait le régime pendant trois mois (Goncourt, Journal, 1888, p.851).b) [Corresp. à supra II B] Technol. [En parlant d'un puits de mine] Action de picoter. Ce revêtement offre les plus sérieuses garanties de sécurité et convient particulièrement dans le cas du picotage, adopté à Anzin et dans les mines du Nord (E. Schneider, Charbon, 1945, p.159).− [pikɔta:ʒ]. − 1resattest. a) 1795 technol. (Blavier, in Saint-Léger, Mines d'Anzin, I, p.386 ds Quem. DDL t.25); b) 1888 «petite querelle» (Goncourt, loc. cit.); de picoter, suff. -age*; picotage est att. ca 1580 au sens de «maraudage» (Nouv. Fabrique des excell. Traits de vérité, p.17, Bibl. elz. ds Gdf.; v. aussi FEW t.8, p.461). 2. Picoterie, subst. fém.[Corresp. à supra I D] Parole ou propos écrit, dont le but est d'agacer, de taquiner. Deux querelles avec Charlotte sur MmeRode et sur Gottingue. Les picoteries femelles m'ennuient (Constant, Journaux, 1812, p.375).Le soir, il [M. Leuwen] dit à son fils: −Ton ministre m'a écrit, comme un amant à sa maîtresse, des picoteries. J'ai été obligé de lui répondre, et cela me pèse (Stendhal, L. Leuwen, t.2, 1835, p.315).− [pikɔtʀi]. Att. ds Ac. dep. 1694. − 1reattest. ca 1590 «agacerie» (Montaigne, Essais, livre 1, chapitre 20, éd. P. Villey, t.1, p.81); de picoter, suff. -erie*; une attest. de picquoterie au xves. au sens de «picorée, maraudage» (L'Abuzé en court, éd. Dubuis, OEuv., IV, 117, Quatrebarbe ds Gdf.; v. aussi FEW t.8, p.461). 3. Picotis, subst. masc.[Corresp. à supra I C] Léger picotement. Le picotis que ressent la main, est, en fait, un petit bombardement dont les éclats (...) s'enfoncent dans l'épiderme (La Varende, Tourmente, 1948, p.107).− [pikɔti]. − 1reattest. 1885 (A. Daudet, Tartarin Alpes, p.172); de picoter, suff. -is*. BBG. −Quem. DDL t.7. (s.v. picotis). |