| OBLIGER, verbe trans. A. − 1. [Correspond à obligation B, obligatoire C; le suj. est un inanimé] Contraindre (quelqu'un) à, (le) mettre dans la nécessité de. a) Obliger (qqn) à
α) Obliger (qqn) à + verbe.C'est une nécessité toute semblable qui nous oblige à scinder la linguistique en deux parties ayant chacune son principe propre (Saussure, Ling. gén., 1916, p.115).La stabilité de la direction et la tenue de route de la voiture ont obligé les ingénieurs à définir la position des roues avant de (...) manière rigoureuse (Chapelain, Techn. automob., 1956, p.234).La configuration du pays, son étendue et sa massiveté obligèrent, avec le plus d'évidence, à donner à la route terrestre la supériorité sur la route fluviale (P. Rousseau, Hist. transp., 1961, p.152). − Au part. passé. V. obligation A 4, ex. du Code civil.
β) Obliger (qqn) à + subst.Les manipulations que le germe subit en pépinière, où il est d'abord enfoui et puis repiqué avant d'être transplanté en station, le fatiguent, en l'obligeant à une triple reprise, à un triple départ (Pesquidoux, Livre raison, 1928, p.29).Les situations concurrentielles obligent la plupart du temps le chef d'entreprise à une certaine discrétion (Univ. écon. et soc., 1960, p.22-8). − Au part. passé. Elle profite de ce qu'il est temporairement obligé à de longues absences pour se mal conduire (Vercel, Cap. Conan, 1934, p.103). b) Obliger (qqn) de + verbe
α) Vieilli ou littér. La dette américaine, dont le ministre du Congrès demandait chaque année l'acquittement, m'obligea d'étudier le travail de mes prédécesseurs (Chateaubr., Mém., t.3, 1848, p.205).Ce fut à Paris, après que des intrigues de théâtre l'eurent obligé de quitter Riga en 1839 que Wagner put achever Rienzi (Dumesnil, Hist. théâtre lyr., 1953, p.137): 1. Voilà l'idiot que j'étais et que je fusse demeuré peut-être sans l'hémoptysie qui terrifia ma mère et qui, deux mois avant le concours de normale, m'obligea de tout abandonner.
Mauriac, Noeud vip., 1932, p.27.
β) Au part. passé. À Oran comme ailleurs, faute de temps et de réflexion, on est bien obligé de s'aimer sans le savoir (Camus, Peste, 1947, p.1218). 2. [Correspond à obligation A, obligatoire A] Assujettir, lier (quelqu'un) par une prescription juridique, administrative (loi, contrat, acte donnant recours en justice). Je ne veux défendre le concordat et rester fidèle à cette politique, que tout autant que le concordat sera interprété comme un contrat bilatéral qui vous oblige et vous tient, comme il m'oblige et comme il me tient! (Gambettads Doc. hist. contemp., 1877, p.43).Le concordat passé entre le souverain pontife et le gouvernement français, comme du reste tous les traités du même genre que les états concluent entre eux, était un contrat bilatéral qui obligeait les deux côtés (Pie Xds Recueils textes hist., 1906, p.99). − Au part. passé. Les Banques sont obligées: De signaler (...) les ouvertures et les fermetures de comptes (...). De déclarer, en cas de décès d'un client, (...) le solde du compte à la date du décès (Banque1963). − Emploi pronom. réfl. S'obliger par-devant notaire (Ac.). − Emploi abs. Les lois de majorité sont lois de l'état: sans cela, elles n'obligeraient pas (Proudhon, Créat. ordre, 1843, p.45). 3. [Correspond à obligation B, obligatoire B] Lier (quelqu'un) par une prescription morale ou sociale. Comme il [l'homme] est libre, la raison ne le contraint pas, mais elle l'oblige (Cousin, Kant, 1857, p.343).Il n'aimait pas qu'on lui rendît service, parce cela l'obligeait à retourner la politesse, ce qui posait des problèmes qui le mettaient à la torture (Montherl., Célibataires, 1934, p.803).La conscience nous oblige à... (Foulq.-St-Jean1962). − Emploi pronom. réfl. Elle s'obligeait à un effort quotidien pour détourner Jean de ses projets de voyage (Mauriac, Baiser Lépreux, 1922, p.180).Plus que tout autre orateur, il [l'avocat] s'oblige à la bienséance (Wicart, Orateur, t.2, 1936, p.307): 2. Alors, elle se taisait, elle s'obligeait à ne plus écrire, dans quelque temps. Christophe ne comprenait pas les raisons de ces silences.
Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p.1551. − Au part. passé ♦ Se croire obligé de. Il se croit toujours obligé de m'attaquer; je suis forcé de lui répondre, ça ennuie tout le monde et moi le premier (Beauvoir, Mandarins, 1954, p.212). ♦ Rare, vieilli. Se croire obligé à. Coffe, en sachant résister à Leuwen, s'était fait aimer et, par reconnaissance, se croyait obligé à lui répondre (Stendhal, L. Leuwen, t.3, 1836, p.195).Je l'environnerai, elle, de tant de soins et d'amour, qu'elle se croira obligée à faire mon bonheur et à assurer un protecteur à son fils (Ponson du Terr., Rocambole, t.3, 1859, p.498). − Loc. proverbiale. Noblesse* oblige. ♦ P. anal. et p. plaisant. On n'a pas eu impunément quelques ancêtres [corbeaux] à Montfaucon, noblesse de gibet oblige (Lorrain, Contes chandelle, 1897, p.33): 3. Il incline à la philanthropie. Il fonde des dispensaires. Des crèches. Noblesse obligeait. Bourgeoisie oblige. Il doit faire ce qu'il peut pour les hommes placés au-dessous de lui...
Nizan, Chiens garde, 1932, p.95. ♦ [Constr. sur le même modèle] Discrétion, fonction oblige. Et pour vous y conduire, nous vous offrons le sérieux et la gentillesse qui ont fait notre réputation. Tradition hollandaise oblige (Le Monde, 9 déc. 1977, p.5). Rem. 1. Obliger un apprenti (vx). Engager un apprenti chez un maître, pour lui faire apprendre pendant un certain temps le métier de ce maître (d'apr. Ac. 1798-1878). 2. À l'actif on emploie de préférence obliger à + inf., obliger de + inf. étant plus usuel au passif. B. − Littér., vieilli. [Correspond à obligation C] Obliger qqn.Rendre service à quelqu'un, lui être utile ou agréable, avoir droit à sa reconnaissance. Je lui demandai (...) quel sentiment l'avait poussé à me faire payer de si énormes intérêts, et par quelle raison, voulant m'obliger, moi son ami, il ne s'était pas permis un bienfait complet (Balzac, Gobseck, 1830, p.420).J'ai cédé, avec le désir de vous obliger personnellement, et pressé également par le consentement de M. Ch. Blanc, votre ami (Delacroix, Journal, 1849, p.252).Si vous pouviez me montrer ça tout de suite [ce que vous emporterez], ça m'obligerait (Maupass., Une Vie, 1883, p.23). − + compl. prép. de.Monsieur le Chevalier de Saint Louis, obligez-moi de déguster ce vin; ça ne coûte rien (Fongeray, Soir. Neuilly, t.1, 1827, p.165).Puis, pour tout dire, le comte est généreux. Si vous l'obligez de ça, dit le valet en montrant l'ongle d'un de ses doigts, il vous le rend grand comme ça, reprit-il en allongeant le bras (Balzac, Début vie, 1842, p.317). − [Pour assurer qqn à l'avance qu'on lui sera reconnaissant d'un bienfait] En me rendant ce service vous n'obligerez pas un ingrat (Ac.1838-1935). − [Dans des formules de politesse] Vous m'obligerez extrêmement, infiniment (Ac.). À Georges Sand. Paris, mi-février 1872. Chère bon maître, Pouvez-vous, pour le Temps, écrire un article sur Dernières chansons? Cela m'obligerait beaucoup. Voilà (Flaub., Corresp., 1872, p.350). Prononc. et Orth.: [ɔbliʒe], (il) oblige [ɔbli:ʒ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. 1243 pronom. et trans. dr. «(s')engager, (se) donner comme caution» (Chartes et doc. poit. du XIIIes. en lang. vulg., éd. M. S. La Du, t.2, p.309: en avom obligé nos e totes les noz chou[s]es moubles et non moubles); 1459 part. passé subst. le principal obligé (Coutumes de Bourgogne, chap.V ds Nouv. Coutumier gén., t.2, p.1174); 1468 part. passé subst. obligé «personne liée par une obligation juridique» (Ordonnances des Rois de France, t.17, p.143: tels debteurs et obligez); 1690 obligé «acte passé entre un apprenti et un patron» (Fur.); 2. ca 1245 part. passé adj. ablégie «fortement liée, constante» (Philippe Mousket, Chron., éd. de Reiffenberg, 4976); ca 1265 obligier «lier par une obligation morale» (Brunet Latin, Trésor, éd. F. J. Carmody, III, 78, p.398); 1260-1311 pronom. «s'engager» (Auberon, éd. J. Subrenat, 1543: A vous servir voel mon cors obligier); 3. a) ca 1485 «contraindre, forcer» (Mistere Viel Testament, éd. J. de Rothschild, 3670: Tous obligez sont a cecy [à mourir]); 1530 (Palsgr., p.424a: je suis obligé de le faire); 1540 (N.de Herberay des Essars, Le Premier Livre de Amadis de Gaule, éd. H.Vaganay, t.1, p.87: la raison vous oblige à dire ce que vous dictes); b)1703 mus. (Brossard, Dict. de mus., s.v. obligato: a deux violons obligez [...] Basson obligé); 1705 (ibid., s.v. fugue: fugue [...] obligée); 1757 récitatif obligé (Diderot, Entretiens sur le Fils naturel, p.165); 1768 partie obligée (Rousseau); c) 1797 part. passé adj. «imposé par l'usage, les circonstances; nécessaire, inévitable» (Chateaubr., Essai Révol., t.2, p.402: décrire [...] leur courbe obligée); 1825 en parlant de qqn (Brillat-Sav., Physiol. goût, p.390: l'intermédiaire obligé). II.a)1370-72 passif «être lié (à quelqu'un) par un lien de reconnaissance» (Oresme, Éthiques, éd. A. D. Menut, p.460: il est plus tenu et plus obligié a son bienfaicteur); 1540 part. passé adj. et subst. «(personne) redevable à quelqu'un d'un service, d'un bienfait» (N.de Herberay des Essars, op. cit., t.1, p.7 et p.66); b)av. 1378 part. prés. adj. obligant «empreint de reconnaissance» (Jehan d'Arkel [et non Jehan Le Bel], Li ars d'amour, éd. J. Petit, t.1, p.389: paroles humles et obligans); 1601 obligeant «qui a le caractère de l'obligeance» (Charron, Sagesse, l. III, chap.XI, p.616 ds Gdf.: bienfaicts [...)] plus ou moins obligeans); 1636 en parlant de qqn «qui aime à rendre service, à faire plaisir» (Monet); 1828-29 part. prés. subst. «personne qui aime à rendre service» (Raban, Marco Saint-Hilaire, Mém. forçat, t.1, p.105: le métier d'obligeant). Empr. au lat. obligare «attacher à, contre; fig.: lier, engager, obliger (par un contrat; un voeu; un bienfait, un service)», dér. de ligare «attacher, lier» au moyen du préf. ob- «devant; à cause de, pour; en échange de». Fréq. abs. littér.: 2799. Fréq. rel. littér.: xixes.: a)4195, b)2516; xxes.: a) 3343, b) 4964. |