| NEUTRALITÉ, subst. fém. A. − [En parlant d'une pers. phys. ou morale] 1. Caractère, attitude d'une personne, d'une organisation, qui s'abstient de prendre parti dans un débat, une discussion, un conflit opposant des personnes, des thèses ou des positions divergentes. Neutralité absolue; rigoureuse, stricte neutralité; neutralité bienveillante; observer, respecter, conserver, garder, abandonner, perdre, violer la neutralité; se départir de sa neutralité. Bossuet, d'abord attaché aux jésuites ou à leurs adhérents, puis lié avec les messieurs de Port-Royal, puis se tenant à distance et observant la neutralité, était assurément un politique (Sainte-Beuve,Nouv. lundis, t.12, 1868, p.396): 1. Mes frères (...) attendent la dernière grande scène, qui ne saurait tarder. Ils s'y préparent, chacun selon leur tempérament. Cropette s'isole, s'enferme dans sa chambre et dans sa neutralité, n'en sort que pour des randonnées solitaires sur sa fidèle Wonder.
H. Bazin,Vipère, 1948, p.257. ♦ Neutralité + entre... et...Je vous préviendrai lorsque je jugerai, critiquerai, discuterai les doctrines, afin de constater ma neutralité intelligentielle entre la raison et lui [Swedenborg] (Balzac,Séraphita, 1835, p.224). ♦ Neutralité + à l'égard/vis-à-vis de...La neutralité et l'objectivité de la science juridique à l'égard de toutes les valeurs impliquées dans les attitudes politiques (J. Vuillemin,Être et trav., 1949, p.106). − En partic. Objectivité. Neutralité d'une revue, d'un journal. V. indifférence ex. 14. 2. a) Attitude d'un État qui s'abstient de prendre position dans les domaines de la politique, de la religion, de l'idéologie, de la morale. Synon. laïcité.Partout, l'État devient laïc, et il affirme sa neutralité entre les croyances dont il tolère les cultes (Martin du G.,J. Barois, 1913, p.442): 2. Le principe de neutralité signifie que les services publics de l'État ne doivent faire aucune distinction de traitement entre les usagers selon leurs opinions, leur race ou leur sexe.
Debb.-DaudetPol.1978. b) [À partir de 1882, promulgation de la loi sur la neutralité de l'École publique] Neutralité scolaire, de l'enseignement. Principe selon lequel l'enseignement doit être neutre, ne doit favoriser aucune confession religieuse, aucune opinion philosophique, politique dans les établissements publics. Partie du problème religieux, la neutralité scolaire (...) s'étend aux problèmes politiques également controversés, qu'il s'agisse de problèmes généraux, ou de problèmes particuliers liés aux gouvernants (Cahiers pédag., no50, p.52 ds Foulq. 1971): 3. ... la neutralité scolaire véritable a pour condition essentielle le respect de la liberté de conscience et de toutes les croyances religieuses; le maître peut montrer sa personnalité, mais en s'efforçant de ne pas troubler l'esprit de ses élèves en ce qui touche à leur vie confessionnelle, au respect qu'ils doivent à leurs parents, à leur patrie, aux lois.
Encyclop. éduc., 1960, p.25. 3. PSYCHANAL. Attitude «neutre» du psychanalyste dans la cure type, qui s'abstient d'influencer le patient, par une écoute non directive et indépendante de son propre idéal. La notion de neutralité analytique (...) ne consiste ni en une objectivité «scientifique» ou expérimentale ni en une impassibilité ou indifférence; elle pose la question principale de la fonction analytique par rapport à la personne de l'analyste (Fedida1974). 4. Condition, position intermédiaire entre deux états. La cessation de la douleur, qui n'est un plaisir que par contraste, un plaisir de relâche, qui se résorbe peu à peu dans la neutralité affective (Ricoeur,Philos. volonté,1949, p.102): 4. ... j'étais content que des rangements, des soins ménagers, le thé et la paisible conversation avec L. m'occupassent; je ne me sentais nullement en état spirituel, pas davantage d'ailleurs dans son contraire, mais dans cet état de neutralité dont s'accompagne chez moi la détente engourdie d'un bien-être physique quel qu'il soit.
Du Bos,Journal,1927, p.335. B. − DR. INTERNAT. PUBL. 1. Attitude, situation d'un État qui reste volontairement en dehors d'un conflit armé déterminé. Synon. non-belligérance.Neutralité occasionnelle, ordinaire, temporaire; garantir, respecter, violer la neutralité d'un État; demeurer dans la neutralité. Aucune de ces tractations ne réussit pendant l'année 1916; le gouvernement américain se retranchait derrière sa neutralité; le gouvernement russe se heurtait à des difficultés de transport (Joffre,Mém.,t.2, 1931, p.297): 5. L'Allemagne s'engageait à ne pas entrer en guerre contre la France, si, pour gage de sa neutralité, le gouvernement français consentait à lui laisser occuper les forts de Toul et de Verdun, pendant toute la durée de la campagne allemande contre les Russes.
Martin du G.,Thib.,Été 14, 1936, p.563. 2. Neutralité (conventionnelle). Statut juridique d'un État qui s'est engagé par traité à ne jamais faire de guerre offensive, à rester en dehors de tout système d'alliances. Neutralité extraordinaire, permanente, perpétuelle; traité de neutralité. L'armée alliée violait la neutralité des cantons, et entrait en Suisse (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène,t.2, 1823, p.73): 6. La neutralité de la Belgique, garantie par les grandes puissances de l'Europe, était passée à l'état de dogme qui écartait de son armée toutes les menaces de la grande guerre...
Foch,Mém.,t.1, 1929, p.184. − Neutralité armée. Situation d'un État neutre qui mobilise des forces en vue de faire respecter ses droits de neutre. Ils voulaient la neutralité, mais la neutralité armée (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène,t.1, 1823, p.687).La demande d'adhésion sera accompagnée d'une déclaration sur le maintien de la neutralité permanente et armée (L. Spezialids La Croix,26 mars 1982, p.7, col. 2). ♦ Ligue de neutralité armée. ,,Confédération des puissances maritimes pour garantir sur les vaisseaux neutres les marchandises des nations ennemies`` (Lar. encyclop.). − Neutralité bienveillante. Attitude d'un État neutre qui favorise l'un des belligérants. S'assurer de la neutralité bienveillante d'un État. Nelson à Copenhague (...). L'Allemagne laissant faire, en échange d'une promesse de neutralité bienveillante de l'Angleterre dans la succession d'Autriche (Barrès,Cahiers,t.2, 1900, p.171).Si la France n'était pas en guerre et ne souhaitait pas le concours ou la neutralité bienveillante de la Grèce, aurait-elle l'idée d'intervenir en tant que puissance protectrice (...)? (Proust,Temps retr.,1922, p.785). C. − [En parlant de choses] Caractère de ce qui est neutre. 1. Dans le domaine littér.Caractère neutre, impersonnel, impartial, sans relief du ton, du style, d'un récit, d'un discours, d'un rapport, etc. Le ton, au moins autant que dans Les Faux Monnayeurs, de grand ordre, par delà toute recherche, tout pittoresque, tout lustre: une neutralité négligente de maître austère (Du Bos,Journal,1928, p.62): 7. ... je pensais avoir fait oeuvre d'observateur scrupuleux, de simple historien. Je m'étais borné à tracer une courbe des événements, ou du moins à le tenter. Et je n'avais pas honte de l'apparente neutralité dans laquelle je m'étais tenu pour mieux regarder et mieux décrire.
J.-R. Bloch, Dest. du S.,1931, p.17. 2. Dans le domaine des Beaux-Arts.Absence apparente d'expressivité émotive, style neutre, impersonnel. Seule la Hollande, brimée par les conventions réalistes de sa bourgeoisie, reste, au XVIIesiècle encore, fidèle à la neutralité picturale des Primitifs (Huyghe,Dialog. avec visible,1955, p.261). 3. Caractère neutre, sans éclat a) de la couleur, de la luminosité. Le mimétisme du burnous de laine blanche qui se confond de loin avec la neutralité des sables (Faure,Espr. formes,1927, p.90). b) du timbre. Sa neutralité de couleur dans le médium, neutralité qui lui permet [à la clarinette] de se fondre avec à peu près tous les groupes de la symphonie (Widor,Techn. orch. mod.,1904, p.27). D. − Spécialement 1. CHIM. Caractère neutre d'un corps, d'une substance, d'un milieu, d'une solution. Anton. acidité, alcalinité, basicité.Neutralité d'un sel. Dans l'organisme, il existe une série de dispositifs spécialement adaptés pour empêcher les changements de la teneur en ions H libres, par conséquent pour le maintien de la neutralité ou de l'alcalinité faible des colloïdes cellulaires (Policard,Histol. physiol.,1922, p.56): 8. Le plasma sanguin (...) est (...) la solution de bases, d'acides, de sels, et de protéines dont Van Slyke et Henderson ont découvert les lois de l'équilibre physico-chimique. C'est grâce à cette composition particulière qu'il peut maintenir constante, et tout près de la neutralité, son alcalinité ionique, malgré les acides qui sont sans cesse libérés par les tissus.
Carrel,L'Homme,1935, p.90. 2. PHYS. Caractère neutre d'un corps, absence de phénomène magnétique ou électrique. La neutralité électrique de la maille doit être respectée, ce qui suppose que l'on peut toujours exprimer les résultats de l'analyse en oxydes (Caillère, Hénin,Minér. argiles,1963, p.40).V. aussi neutraliser C 3 a ex. de Hist. gén. sc. 3. LÉGISL. FINANCIÈRE. Neutralité fiscale. Principe suivant lequel l'impôt doit être une répartition des charges publiques proportionnée aux revenus de chacun. La taxe locale, intéressante par son rendement, présentait l'inconvénient (...) de nuire à la neutralité fiscale vis-à-vis des circuits de distribution (Belorgey,Gouvern. et admin. Fr.,1967, p.277). Prononc. et Orth.: [nøtʀalite]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Fin xives. «état d'une personne qui ne se prononce pour aucun parti» (Jean Froissart, Chroniques, III, 123, éd. L. et A. Mirot, t.13, p.108); 2. ca 1500 «état d'une puissance qui ne participe pas aux hostilités engagées entre d'autres puissances» (Philippe de Commynes, Mémoires, II, 176 ds IGLF: il tenoit Cambray et le Quesnoy et Vausain en Haynault. Il rendit ce de Haynault et remist Cambray en neutralité); 1812 neutralité armée (Mozin-Biber); 3. 1789 chim. (Lavoisier, Traité de chim., Paris, Cuchet, t.1, p.193); 4. 1869 «caractère de ce qui manque d'éclat» (Mallarmé, Igitur, p.434); 5. spéc. 1910 neutralité scolaire «conception suivant laquelle aucune religion positive n'est enseignée dans les écoles de l'État» (Barrès, Cahiers, t.8, p.36). Dér. sav. du lat. neutralis «neutre» (cf. lat. médiév. neutralitas, 1408 ds Du Cange). Fréq. abs. littér.: 313. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 274, b) 190; xxes.: a) 360, b) 778. Bbg. Quem. DDL t.20. |