| MÉRITER, verbe trans. I. − Emploi trans. dir. A. − [Le suj. désigne une pers., un groupe de pers.; p. méton., son action, son oeuvre, ses idées] Être considéré comme devant faire l'objet d'(une sanction positive ou négative). Synon. être digne* de.La croyance monothéique, soit chrétienne, soit musulmane, mérite de plus en plus la réprobation que son avènement inspira, pendant trois siècles (Comte,Catéch. posit.,1852, préf., p.8).Ne me tue pas! (...) en quoi ai-je mérité ce supplice atroce, de mourir ainsi lentement, clouée par les deux mains? (Claudel,Tête d'Or,1901, 3epart., p.263): 1. Quand j'eus fini de causer, je lui demandai de me juger et de me choisir les points où j'étais coupable, afin que, m'agenouillant devant lui, j'eusse à les rappeler en confession et à m'en repentir pour mériter une absolution générale.
Sand,Hist. vie,t.3, 1855, p.194. SYNT. Acte, comportement, conduite, geste qui mérite une sanction; femme, homme qui mérite un châtiment, une récompense; coupable, crime, criminel, faute, forfait qui mérite un châtiment; bonnes actions, bonnes oeuvres, efforts qui méritent une récompense; mériter une décoration, la gloire, les honneurs, une médaille, une prime, un prix, le premier prix, des remerciements, son salaire; mériter le bagne, des claques, une condamnation, la corde, les fers, une fessée, les galères, une gifle, la guillotine, la maison de correction, la mort, mille morts, l'opprobre, un outrage, une peine, la peine capitale, la pendaison, la prison, une punition; mériter le ciel, le paradis, la réussite; mériter la damnation, l'échec, l'enfer; mériter une leçon; mériter l'admiration, l'amour, l'approbation, la bienveillance, les bonnes grâces, les compliments, les éloges, l'estime, les faveurs, l'indulgence, les louanges, le pardon, la reconnaissance, le respect, la sympathie de qqn; mériter le blâme, la disgrâce, la haine, le mépris, les outrages, les reproches de qqn; traiter qqn avec les égards, le respect qu'il mérite. ♦ Expr. Il l'a bien mérité! Il n'a pas mérité ça (cela). Voilà tout ce que tu mérites, ce que vous méritez. Non! ce pauvre Boucherot ne méritait pas ça (...). Avoir mangé cinq cent mille francs pour une bécasse semblable (...)! (Flaub.,1reÉduc. sent.,1845, p.89). ♦ Emploi pronom. passif. Cette grâce des grâces se mérite comme une autre, et je ne la méritais plus, sans doute (Bernanos,Journal curé camp.,1936, p.1140). ♦ Emploi part. passé ou adj. Hommage mérité; honneurs, reproches mérités; condamnation, gloire, peine, punition, récompense, sanction méritée; une paire de gifles bien méritée; accusations, louanges méritées. Les vieilles monarchies sont condamnées et nous assistons à leur supplice, trop mérité par des siècles de crimes (Lamennais,Lettres Cottu,1833, p.246).Cette vieillesse anormale, excessive, honteuse et méritée des célibataires, de tous ceux pour qui il semble que le grand jour qui n'a pas de lendemain soit plus long que pour les autres (Proust,Swann,1913, p.34).M. Noyer inscrivait les notes méritées par ce mauvais élève (Green,Journal,1933, p.156). ♦ Mériter de + inf.Mériter de mourir, de réussir. Étienne Pascal, maître des requêtes, avait mérité pour ses services d'être anobli par Louis XI (Sainte-Beuve,Port-Royal,t.2, 1842, p.454).Il aurait mérité d'être pendu! (Erckm.-Chatr.,Ami Fritz,1864, p.5).Le bourgeois mérite d'être tout ce qu'il est, de faire tout ce qu'il fait, parce qu'il entraîne l'humanité vers son plus haut, son plus noble destin (Nizan,Chiens garde,1932, p.118). ♦ Mériter que + subj.Je n'ai pas mérité que vous exerciez ce droit de vie et de mort qui repose entre vos mains (Staël,Lettres L. de Narbonne,1793, p.122).Vous mériteriez que je vous brisasse le front avec le pied! (Dumas père, Teresa,1832, v, 4, p.229).Ah! qu'un roi de ta sorte (...) Mérite qu'on le blâme (Moréas,Iphigénie à Aulis,1903, p.159). ♦ Mériter qqc. à qqn.Faire obtenir une sanction, une faveur à quelqu'un. La mort de Notre-Seigneur nous a mérité le ciel (Ac.1798-1935).Quel traitement mérite à son auteur un poème comme l'Iliade? (Proudhon,Propriété,1840, p.230).Le châtiment que lui ont mérité ses crimes (DG): 2. Hélas! L'homme si peu médite
Sur la Passion de Jésus-Christ
Et sur ce qu'elle nous mérite:
Les liens du larron détruits,
Au Paradis elle l'invite.
Jammes,De tout temps,1935, p.161. − Proverbe. Toute peine mérite salaire. Chaque métier mérite salaire (Dumas père, Intrigue et amour,1847, ii, tabl. 4, 3, p.237).Mais tu n'es pas raisonnable, Michel, toute peine mérite son salaire; et puis, le charbon de maître Jean a son prix, et tu lui dois aussi ta journée (Erckm.-Chatr.,Hist. paysan,t.1, 1870, p.165). − [P. ext.; le compl. désigne qqc. qui n'est pas par nature une sanction positive ou négative mais qui est présenté comme tel] Mériter sa réputation; mériter son surnom. Vous avez bien tort de m'appeler consolateur, chère demoiselle. Je voudrais mériter ce titre, mais que puis-je pour vous, sinon vous envoyer l'assurance d'une sympathie très profonde! (Flaub.,Corresp.,1866, p.196).Justin, mon ami, tu ne mérites pas ton nom, tu n'es pas juste (Duhamel,Maîtres,1937, p.117): 3. Il [le docteur] mérite son visage, d'ailleurs, car il ne s'est pas un instant mépris sur la façon de retenir et d'utiliser son passé; il l'a empaillé, tout simplement...
Sartre,Nausée,1938, p.92. ♦ Expr. (N')avoir (que) ce qu'on mérite. Toute nation a le gouvernement qu'elle mérite. De longues réflexions, et une longue expérience, payée bien cher, m'ont convaincu de cette vérité comme d'une proposition de mathématiques (J. de Maistre,Corresp.,1811, p.57).Chaque homme n'a que le Dieu qu'il mérite. Tous les malheurs que votre Dieu vous envoie, c'est vous qui les avez pensés (Maeterl.,Sablier,1936, p.167). ♦ En partic. Mériter qqn.Mériter ses amis, sa femme, un meilleur professeur. Cette offre lui semblait dictée par une indulgente paternité qui lui disait: Mérite Césarine en devenant riche et considéré (Balzac,C. Birotteau,1837, p.92).Le parti orléaniste méritait ce serviteur, comme il a mérité Dupin (Goncourt,Journal,1859, p.652).«Eh bien! méritez-moi...» dit-elle avec un joli sourire remontant sur les fines dents blanches (A. Daudet,Tartarin Alpes,1885, p.156). − [Suivi d'un adv. à valeur de nominal neutre] ♦ Mériter beaucoup. ,,Être digne de récompense par ses talents, par ses services. Il a beaucoup mérité et peu reçu`` (Ac.). ♦ Mériter mieux. Être digne de quelque chose, d'une situation plus satisfaisante. Votre attitude est celle d'une jeune fille vaniteuse. Vous méritez mieux. J'aimerais faire apparaître la femme (Cocteau,Bacchus,1952, ii, 8, p.142). − Emploi abs., rare. [S'oppose à démériter] Être digne de récompense, de tel ou tel caractère; avoir du mérite. Le philosophe dit: ,,La Vie est un combat! Souffrir, c'est mériter; jouir, c'est être lâche!`` (Rollinat,Névroses,1883, 348).Il n'y a pas à chercher à mériter avec vous; il y a, sans plus, à chercher à profiter de la courte période où l'on tient une petite place dans votre vie (Montherl.,J. filles,1936, p.1000). ♦ THÉOL. [Correspond à mérite A 2] Être digne de la miséricorde divine. V. démériter ex. 2: 4. Émilie Brontë, dans son presbytère anglican, ne croyait pas qu'elle pût mériter pour son frère; elle ne se mouvait pas comme Eugénie de Guérin dans cet univers catholique de la réversibilité où le dernier d'entre les fidèles coopère à la passion du Christ.
Mauriac,Gds hommes,1949, p.129. B. − [Le suj. désigne un inanimé] Synon. être digne* de. 1. [Le compl. désigne une dénomination, un qualificatif, un titre (v. aussi supra A p. ext.)] Être dans un rapport de convenance plus ou moins nécessaire, légitime ou motivé avec. Un cabaret à côté qui s'appelait Au bon coin et méritait cette dénomination (Verlaine,
Œuvres compl.,t.4, Prisons, 1893, p.417).Cette musique concrète, qui a pour équivalent la peinture abstraite, mérite comme elle le qualificatif d'abstrait plus encore que de concret (Schaeffer,Rech. mus. concr.,1952, p.192): 5. Une philosophie ouverte au surnaturel serait assurément une philosophie compatible avec le christianisme, ce ne serait pas nécessairement une philosophie chrétienne. Pour qu'une philosophie mérite vraiment ce titre, il faut que le surnaturel descende, à titre d'élément constitutif, non dans sa texture, (...) mais dans l'oeuvre de sa constitution.
Gilson,Espr. philos. médiév.,1931, p.39. ♦ Mériter de + inf.; mériter que + subj.Une chose qui mérite qu'on la dénomme de telle ou telle manière. Deux [sépales], opposés l'un à l'autre et portant à leur base une sorte de bosse, méritent d'être appelés externes (Plantefol,Bot. et biol. végét.,t.1, 1931, p.445). 2. [Le compl. désigne une action; p. méton., le résultat d'une action] Être considéré comme devant faire l'objet de (telle ou telle opération). Mériter des précautions, des précisions; mériter un commentaire, un développement, une réponse. Utopie trop extravagante pour mériter la moindre discussion (Comte,Philos. posit.,t.4, 1839-42, p.139).La propriété de Brisson est à vingt minutes de chez vous en voiture... Ce vieux château mérite une visite (Chardonne,Épithal.,1921, p.42). ♦ [Avec un compl. au sing. et sans article dans des tournures figées] Mériter attention, confirmation, considération, discussion, examen, réflexion. Le seul voyage important qui mérite mention est celui du Chinois Fa-Hien au début du Vesiècle, qui dura dix-huit ans (399-417) (Hist. sc.,1957, p.1441). ♦ Mériter de + inf.; mériter que + subj.Mériter d'être confirmé, examiné, signalé; mériter qu'on en parle, qu'on y pense, qu'on y réfléchisse, qu'on y songe. Nous voilà arrivés à une époque de nos recherches qui mérite que vous vous y arrêtiez un moment (Destutt de Tr.,Idéol. 1,1801, p.79).Voilà à peu près tout ce qui mérite d'être vu à Burgos (Gautier,Tra los montes,1843, p.52).Larsan assassin était une exception qui méritait que l'on s'entourât de quelque garantie (G. Leroux,Myst. ch. jaune,1907, p.140). II. − Emploi trans. indir., vieilli. (Bien) mériter de + subst.Avoir droit à la reconnaissance de. Il a bien mérité de la patrie. Ainsi on ne fera éprouver aucune humiliation aux personnes qui peuvent, ainsi que M. de Puzy, avoir bien mérité de nous (Le Moniteur,t.2, 1789, p.400).Ô vous, nés avec moi, mes compagnons de travail, vous avez bien mérité des lettres, et vos livres (...) comptent (A. France,Vie littér.,t.2, 1890, p.205): 6. Nos religieuses eussent mieux mérité de Dieu, de nos parents et de nous, si elles eussent sacrifié à notre bonheur, et, pour parler leur style, à notre salut, une partie du temps qu'elles consacraient avec égoïsme à travailler au leur.
Sand, Hist. vie,t.3, 1855, p.94. Prononc. et Orth.: [meʀite], (il) mérite [-ʀit]. Ac. 1694, 1718: meriter, dep. 1740: mé-. Étymol. et Hist. 1. Début xives. abs. «récompenser» (Aimé de Mont Cassin, Hist. de li Normant, éd. V. de Bartholomaeis, I, XXX, p.40) seulement au Moyen Âge, v. Gdf.; 2. a) ca 1480 «encourir (un châtiment)» (Mystère du Viel Testament, 5436, éd. J. de Rothschild, t.1, p.208: Merité ont dampnacion Eternelle...); b) 1495 «être digne de» (J. de Vignay, Mir. histor., 3evol., fo165d ds Gdf. Compl.); 3. 1549 (Du Bellay, Deffence et illustration, éd. H.Chamard, p.90: et penseray avoir beaucoup merité des miens, si...). Dér. de mérite*: dés. -er; mériter a évincé l'a. fr. merir att. du xiies. au xvies. (v. Gdf., T.-L., FEW t.6, 2, p.29), issu du lat. merere «gagner, mériter» et dans la loc. male merere/bene merere «être mal/bien méritant» c'est-à-dire «se comporter mal/bien vis-à-vis de...», constr. calquée dans le fr. bien mériter de, v. supra. Fréq. abs. littér.: 4983. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 10918, b) 6183; xxes.: a) 4749, b) 5704. Bbg. Quem. DDL t.11. |