| LÈPRE, subst. fém. A. − 1. MÉD. Maladie endémique infectieuse et contagieuse pouvant entraîner la mort, due au bacille de Hansen, caractérisée à un premier stade par la formation d'écailles, de tubercules et de pustules à la surface de la peau s'accompagnant d'une anesthésie locale, qui se transforment ensuite en lésions nécrosantes et mutilantes qui rongent les tissus et les organes du malade. Macules de lèpre; soigner la lèpre. Très commune en Europe au moyen-âge, la lèpre en a presque entièrement disparu aujourd'hui (Ac.1935).Costals pince un de ses doigts, ne sent rien. La sueur humecte son front. L'anesthésie de la lèpre (Montherl., Lépreuses,1939, p. 1488).Malheureusement l'état de Baudouin IV s'aggravait. La lèpre se manifestait dans toute sa hideur (Grousset, Croisades,1939, p. 219): 1. Elle passait les nuits entières à le veiller et à lui rendre les services les plus humilians (...). Il mourut, et elle le remplaça aussitôt par une jeune fille que la lèpre avait atteinte et défigurée de la manière la plus horrible, au point que dans l'hôpital personne n'osait l'approcher, ni même la regarder de loin.
Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. 216. − P. anal., vx. Affections de la peau propres ou semblables à celles que provoque la lèpre. L'infortuné voit une lèpre épaisse couvrir tout son corps (Chateaubr., Martyrs, t. 3, 1810, p. 177): 2. Elle vit, au moment de revenir de vêpres,
Tant de pauvres couverts de loques et de lèpres,
Aux marches du parvis assis et l'attendant
Que le cœur lui manqua rien qu'en les regardant.
Coppée, Poés., t. 3, 1887, p. 90. ♦ En partic., vx. Éléphantiasis tuberculeux. L'enflure indolente des extrémités (...) n'est autre chose qu'un symptôme d'éléphantiasis (...). Dans cette période de la lèpre, la peau a déjà perdu de la sensibilité (Voy. La Pérouse,t. 4, 1797, p. 16). 2. P. anal., HORTIC. Maladie qui provoque la formation de croûtes blanchâtres et pulvérulentes sur les feuilles et les bourgeons des arbres ou des arbustes et les fait tomber. De longues treilles mal entretenues, et dont toutes les feuilles étaient dévorées de lèpre (Balzac, Curé vill.,1839, p. 91).Le blanc, meunier ou lèpre est une maladie propre au pêcher. On le reconnaît à la poussière d'un blanc grisâtre qui couvre entièrement les feuilles (Du Breuil, Cult. arbres,1876, p. 454). B. − P. anal. et au fig. 1. Altération à la surface de quelque chose, formant des croûtes et des taches rappelant celles de la lèpre. Façade mangée de lèpre. Le parement, écorché, çà et là, dessine sur les parois extérieures une lèpre hideuse (Hugo, Rhin,1842, p. 184).Les façades grises, comme nettoyées de leur lèpre et badigeonnées d'ombre, s'étendaient, montaient (Zola, Assommoir,1877, p. 431).Ils lurent le nom de la rue sur une plaque mangée de lèpre et dont l'émail, éclaté par places, laissait voir la rouille (Vialar, Fins dern.,1953, p. 206). − P. métaph. ♦ [Lèpre + de + subst. désignant ce qui est censé causer ou constituer l'altération]Une lèpre de plantes, de coquillages, de saleté. Les lourds hippopotames, pareils à des blocs de granit rose recouverts d'une lèpre de mousse noire (Gautier, Roman momie,1858, p. 329).Et l'on voyait décroître, en ce silence sombre, Ses ulcères de feu sous une lèpre d'ombre (Hugo, Fin Satan,1885, p. 772): 3. Ses préoccupations (...) se réveillaient devant cette lèpre d'usines, de bicoques et de cabarets, étalée entre la grande ville de luxe et les premiers arbres de Fontainebleau.
Bourget, Actes suivent,1926, p. 81. ♦ Lèpre + adj.Sur le front de mer les terrasses vitrées, mortes, leurs ferronneries mangées de lèpres salines, angoissent comme des bijouteries mises au pillage (Gracq, Beau tén.,1945, p. 9). 2. Au fig., vieilli. Chose, phénomène présenté comme un mal qui s'étend peu à peu et dont les effets pernicieux sont semblables à ceux de la lèpre. Synon. gangrène.Des religions qui ont fait infiniment (...) de mal à l'humanité, et qui forment une lepre honteuse qui s'attache à la raison et la flétrit (Dupuis, Orig. cultes,1796, p. 416).Je suis né ennuyé; c'est là la lèpre qui me ronge. Je m'ennuie de la vie, de moi, des autres, de tout (Flaub., Corresp.,1846, p. 410): 4. Tout ce qui est de la musique est sentiment. De là, que la sentimentalité est la lèpre de la musique : on la rencontre presque partout; elle pourrit cet art...
Suarès, Debussy,1936, p. 169. ♦ P. méton., vx. Personne méchante et très nuisible. Synon. choléra, gale, peste.Dites ce que vous voudrez, j'étouffe dans cette chambre de voir une pareille lèpre se traîner sur nos fauteuils (Musset, Lorenzaccio,1834, p. 157). − [Lèpre + de + subst. désignant ce qui constitue le mal]La lèpre du jeu, du doute. La lèpre du péché (Ac.).Enfin Foedora m'avait communiqué la lèpre de sa vanité (Balzac, Peau chagr.,1831, p. 185).Tu retombes assez souvent, toi et tes pensées, recouvertes de la lèpre noire de l'erreur, dans le lac funèbre des sombres malédictions (Lautréam., Chants Maldoror,1869, p. 202): 5. Le conquérant était mort là-bas, puis ses compagnons, un par un; et une lèpre de médiocrité commençait de s'étendre sur les mœurs et la politique.
Bourget, Essais psychol.,1883, p. 168. REM. Léprosé, -ée, subst.Personne atteinte de la lèpre. Synon. lépreux.Quand Christ a touché la plaie du léprosé avec sa main, ce n'est pas la main du Christ qui est devenue épidémique, mais le léprosé qui a été nettoyé (Martin du G., Thib., Pénitenc., 1922, p. 786). Prononc. et Orth. : [lεpʀ
̥]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1remoitié xiies. liepre (Psautier Cambridge, 90, 10 ds T.-L.); 1598 lepre de l'ame (de la médisance) (Le Miroir fr., 37 ds Quem. DDL t. 21). Empr. au lat.lepra (du gr. λ
ε
́
π
ρ
α) « maladie », empl. par les aut. chrét. à propos du péché ou de l'hérésie et au fig. « ce qui s'attaque aux objets, ce qui détériore ». Fréq. abs. littér. : 333. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 269, b) 428; xxes. : a) 671, b) 553. Bbg. Benveniste (É.). Un nom grec de la lèpre. R. Philol. de Littér. et Hist. anc. 1964, t. 38, pp. 7-11. |