| JEÛNE, subst. masc. A. − Privation partielle ou totale (à l'exception, le plus souvent, d'eau), forcée ou non, de toute alimentation pendant un certain temps. Jeûne complet; jeûne de protestation; abus, étourdissement du jeûne; journée de jeûne; sortir d'un long jeûne. Elle allait alors à vau-l'eau, mangeant à même ses gains de hasard, souffrant le jeûne quand la bise soufflait (Huysmans, Marthe,1876, p. 28).La plupart eurent recours au jeûne prolongé, dont ils espéraient un amaigrissement notable (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 242): 1. ... il faudra emprunter, payer des intérêts, épargner et jeûner. Jeûne pour les neuf centièmes qu'on ne devrait pas payer et qu'on paye; jeûne pour l'amortissement des dettes; jeûne pour leurs intérêts : que la récolte manque, et le jeûne ira jusqu'à l'inanition. On dit : il faut travailler davantage. Mais d'abord l'excès de travail tue aussi bien que le jeûne...
Proudhon, Propriété,1840, p. 266. − En partic. Acte de dévotion consistant à s'abstenir d'aliments dans un esprit de mortification et de pénitence. Jour, temps de jeûne; jeûne rituel; pratiquer, rompre le jeûne. Le jeûne, si l'on y joignait un vêtement composé de lés de cette toile rude qu'on appelait sac, grossièrement cousus ensemble, était tenu pour une façon très efficace d'apaiser Iahvé (Renan, Hist. peuple Isr., t. 3, 1891, p. 198).Elle eut pourtant la grâce d'expirer sans beaucoup souffrir, le jour où s'achevait le jeûne du ramadan, à la tombée du soir, ce soir qu'attendaient avec impatience les indigènes convertis à l'islam (Mille, Barnavaux,1908, p. 20): 2. On jeûne durant quarante jours du lever du soleil jusqu'au soir, jeûne absolu; ni nourriture, ni boisson, ni tabac, ni parfums, ni femmes.
Gide, Journal,1896, p. 73. ♦ RELIG. CATH. Pratique religieuse consistant à ne faire qu'un seul repas important par jour dans lequel on s'abstient le plus souvent de viande, à certaines périodes fixées par le calendrier liturgique. Jeûne sacramentel; jeûne de carême. Les vêpres, avant-midi, c'est-à-dire avant l'heure du repas; et croyez bien que, malgré cet adoucissement, je dispense encore la plupart de mes novices du jeûne jusqu'à midi (Huysmans, Oblat, t. 1, 1903, p. 218).Jeûne et abstinence tous les jours. Juste ce qui convient à des gens comme nous, en temps pascal (Bloy, Journal,1904, p. 232).Jeûne eucharistique. Privation de toute alimentation avant de communier. La pratique quotidienne, pendant trente ans, du jeûne eucharistique, nous est seconde nature (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 263). B. − Au fig. Abstinence ou privation physique, morale ou intellectuelle. Quelque dissimulée que soit une vieille fille, il est un sentiment qui lui fera toujours rompre le jeûne de la parole, c'est la vanité! (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 34).Du moment que je ne saurais faire tous les soirs un enfant à la mienne [ma femme] (...) c'est évidemment la respecter encore que d'aller autre part contenter la bête, quand on a le malheur de souffrir du jeûne, ainsi que j'en souffre (Zola, Fécondité,1899, p. 65).V. ex. 2 supra. Prononc. et Orth. : [ʒø:n]. Accent circonflexe < réduction d'un anc. hiatus. Il distingue jeûne de jeune et protège le timbre fermé de la voyelle. Comparer avec déjeune [deʒ
œn] et avec déjeuner [dejøne] mais aussi [-ʒ
œne] et même familièrement [-ʒne] (cf. Buben 1935, § 33). Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Début xiies. jüine « abstinence volontaire de nourriture pratiquée par les chrétiens, par esprit de mortification » (Benedeit, St Brendan, 132 ds T.-L.); ca 1210 « privation de nourriture » (Dolopathos, 291, ibid.); 1659 fig. (Molière, Précieuses, I, 9 : un jeûne effroyable de divertissements). Déverbal de jeûner*. Fréq. abs. littér. : 390. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 612, b) 674; xxes. : a) 600, b) 412. Bbg. Cohen 1946, p. 71. |