| INACHEVÉ, -ÉE, adj. Qui n'est pas achevé. A. − 1. [En parlant d'une chose faite par qqn] Qui n'a pas été mené jusqu'à son terme. Travail inachevé; qqc. qui reste inachevé. Sa bibliothèque dont le rangement demeurait inachevé, l'agaça (Huysmans, À rebours,1884, p. 235).Passe un long train de marchandises, des wagons de charbon d'abord, puis d'autres, chargés (...) d'automobiles inachevées, carrosseries non peintes (Butor, Modif.,1957, p. 72) : 1. Doux constructeurs las des églises, doux constructeurs aux tempes de briques roses, aux yeux grillés d'espoir, la tâche que vous deviez faire est pour toujours inachevée.
Éluard, Capitale douleur,1926, p. 113. − Emploi subst. masc. à valeur de neutre. La simplicité du toit que la veuve de l'architecte avait fait couvrir à peu de frais, par tous les bonheurs de l'inachevé et de l'involontaire (A. France, Lys rouge,1894, p. 289). 2. En partic. a) [En parlant d'une œuvre] Le dernier mot du christianisme dans l'art, la cathédrale de Cologne est restée inachevée (Michelet, Introd. Hist. univ.,1831, p. 423).Le Capital est resté d'ailleurs inachevé, parce que Marx se penchait à la fin de sa vie sur une nouvelle et prodigieuse masse de faits sociaux et économiques auxquels il fallait de nouveau adapter le système (Camus, Homme rév.,1951, p. 233) : 2. ... saint Thomas conçut une œuvre digne de lui : ce fut une vaste synthèse des sciences morales, où serait dit tout ce qui se peut savoir de Dieu, de l'homme, et de leurs rapports; une philosophie vraiment catholique, summa totius theologiae. Ce monument, plein d'harmonie, malgré l'apparente aspérité de ses formes, colossal dans ses dimensions, magnifique dans son plan, demeura toutefois inachevé, semblable en cela même à toutes les grandes créations politiques, littéraires, architecturales du Moyen Âge, choses que le destin n'a fait que montrer et n'a pas laissé être jusqu'au bout...
Ozanam, Philos. Dante,1838, p. 49. ♦ La Symphonie inachevée. Symphonie en mi et en quatre mouvements de Schubert dont on possède seulement les 110 premières mesures terminées par le compositeur, et, pour le reste, des esquisses avec les parties de violon et de basses in extenso. Il entendait passer des phrases de la Symphonie inachevée de Schubert. Pauvre petit Schubert! Quand il écrivait cela, il était seul, fiévreux et somnolent (...) dans l'état de demi-torpeur qui précède le grand sommeil (Rolland, J. Chr., Foire, 1908, p. 805). − P. méton. du déterminé; [en parlant d'une pers.] Imparfait. Bossuet, sublime dans l'Oraison funèbre, n'a pas atteint la même excellence dans toutes les parties du Sermon; il y est inégal, inachevé (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t. 9, 1851-62, p. 273). − Emploi subst. masc. à valeur de neutre. Des licences pittoresques. Chaque maître leur doit souvent ses effets les plus sublimes : l'inachevé de Rembrandt, l'outré de Rubens (Delacroix, Journal,1850, p. 418).Piron, homme du métier, sentait bien l'incomplet de Voltaire, l'inachevé de ses œuvres d'art et ses à peu près dans l'exécution (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 7, 1864, p. 435).Carrière, dont les paroles ont le gris, l'incertain, l'inachevé de ses tableaux (Renard, Journal,1891, p. 91). Rem. Inachevé peut avoir, dans ces cas, le sens de « imparfait » (cf. Sainte-Beuve, Nouv. lundis, loc. cit.). b) [En parlant d'une parole, d'un son] Qui n'a pas été entièrement prononcé ou entendu. Mot inachevé; phrase inachevée. Deux fois je crus entendre, éteints par la distance, Parmi les cris du vent des cris aigus courir, Mon nom inachevé dans des sanglots mourir (Lamart., Jocelyn,1836, p. 654). − Emploi subst. masc. à valeur de neutre. Il lui arrive assez souvent de ne pas achever ses phrases, ce qui donne à sa pensée une sorte de flou poétique. Elle fait de l'infini avec l'imprécis et l'inachevé (Gide, Faux-monn.,1925, p. 1123). 3. [En parlant d'une pers.] Qui n'est pas ou ne s'est pas parfaitement réalisé. L'homme, créature inachevée, tient encore du singe et du chien (Vigny, Journal poète,1834, p. 1003).C'était ça que son beau mariage avait fait de la chair, c'étaient ces deux êtres inachevés, vacillants, que le moindre souffle du ciel menaçait de tuer comme des mouches (Zola,
Œuvre,1886, p. 345). B. − [En parlant d'une chose utilisée ou consommée par qqn] Qui n'a pas été utilisé ou consommé jusqu'au bout. Plat, repas inachevé. Tout à coup il jette loin de lui son cigare inachevé (Borel, Champavert,1833, p. 42).Présenter parmi les bouteilles pleines, une bouteille payée et inachevée à une autre table, n'intimidait pas Angelo Bozzoni (Hamp, Champagne,1909, p. 234). C. − [En parlant d'une pensée ou d'un rêve] Qui n'est pas arrivé à sa fin. Bossuet, à tout moment, faisant taire son sens littéraire et le dominant par l'intérêt de sa cause, dira non à des pensées inachevées, abruptes et scabreuses (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 3, 1848, p. 318).Celle-ci [une femme], vers nous conduite Comme un ange retrouvé, Semble à tous les cœurs la suite De leur songe inachevé (Hugo, Chans. rues et bois,1865, p. 158) : 3. Mille petits souffles lui passaient sur la chair : songeries inachevées, voluptés innommées, souhaits confus, tout ce qu'un retour du Bois, à l'heure où le ciel pâlit, peut mettre d'exquis et de monstrueux dans le cœur lassé d'une femme.
Zola, Curée,1872, p. 329. REM. Inachever, verbe,hapax. Laisser inachevé. L'agilité des mains, ou plutôt des pattes, de Rodin, était extraordinaire (...). Quelquefois il inachevait, « afin de laisser sa place au rêve » et les plaisantins disaient de lui qu'il avait un mauvais emballeur (L. Daudet, Universaux,1935, p. 271). Prononc. et Orth. : [inaʃve]. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. 1783 (L.-S. Mercier, Tabl. Paris, t. 5, p. 238 : la destinée de ce superbe monument sera de rester inachevé). Dér. de achevé*; préf. in-1*. Fréq. abs. littér. : 389. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 323, b) 325; xxes. : a) 720, b) 770. Bbg. Gohin 1903, p. 282. |