| IMPRÉGNER, verbe trans. I. − Vieilli. Féconder. (Dict. xixeet xxes.). − En partic. [Dans les théories (contestées) de l'hérédité d'influence] Rendre une femelle pleine pour la première fois et, de ce fait, exercer une influence sur les produits de fécondations ultérieures par d'autres mâles. [Dans] l'hérédité d'influence, (...) [le] premier mâle (...) a comme imprégné la femelle pour sa conception future, même lorsqu'il n'en est plus l'auteur (Zola, Dr Pascal,1893, p. 38). II. A. − [En parlant d'une substance, en partic. d'un fluide] (Faire) pénétrer complètement et de manière diffuse à l'intérieur d'un corps. Synon. humecter, imbiber. 1. a) Qqn1imprègne qqc.2(de qqc.3).Cette armoise, convenablement desséchée, fournit une substance très-inflammable, surtout lorsque plus tard l'ingénieur l'eut imprégnée de ce nitrate de potasse dont l'île possédait plusieurs couches (Verne, Île myst.,1874, p. 120).Elle reprit la bouteille, et imprégna de nouveau le petit morceau de ouate (...). Deux fois elle versa du chloroforme dans le coton (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Yvette, 1884, p. 549). − Qqc.2s'imprègne de qqc.3Au moyen des papilles plus ou moins nombreuses dont elle est parsemée, elle [la langue] s'imprègne des particules sapides et solubles des corps avec lesquels elle se trouve en contact (Brillat-Sav., Physiol. goût,1825, p. 38).Le blé (...) s'y imprègne [dans le sol] d'azote et d'autres substances que plus tard la tige, en s'élevant, transformera au contact de l'air (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum.,1921, p. 134). − Au passif ou part. passé. Un charbon dans un creuset, un boulet dans sa forge, sont tout blancs lorsqu'ils sont imprégnés de feu (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 345).Pendant qu'ils sont mastiqués les aliments sont imprégnés de salive : c'est l'insalivation (Camefort, Gama, Sc. nat.,1960, p. 130) : 1. ... les gardiens se chauffent avec des débris de vieilles barques imprégnées de sel et de goudron, dont l'odeur se mêle à celle des ananas fermentés.
Morand, New-York,1930, p. 64. ♦ Emploi adj. Ces dures et tristes pierres d'un gris de deuil, et toutes imprégnées de limaille de fer sont réfractaires au ciseau (Michelet, Chemins Europe,1874, p. 284). b) Qqc.3imprègne qqc.2Le liquide huileux qui imprègne les plumes des oiseaux (...) a sa source (...) dans une glande qui est située sur leur croupion (Cuvier, Anat. comp., t. 5, 1805, p. 260). 2. Rare. Qqn1imprègne qqc.2à, dans qqc.3; qqc.3s'imprègne dans qqc.2La pluie s'imprègne dans le sol (Lar. Lang. fr.). − Au passif ou part. passé. Les uns [des insectes] s'abreuvaient d'un reste de parfum imprégné à ses cheveux mouillés (Sand, Lélia,1833, p. 300). 3. En partic. Qqn1imprègne qqc.2au moyen de, avec, à (rare) qqc.3Procéder à l'imprégnation d'un matériau au moyen d'une substance appropriée. Un premier procédé d'amélioration consiste à imprégner les bois dans la masse au moyen d'une résine synthétique convenablement choisie (Campredon, Bois,1948, p. 92).La fabrication des fruits confits consiste à imprégner la substance des fruits avec suffisamment de sucre pour assurer leur conservation (Brunerie, Industr. alim.,1949, p. 33). − Au passif ou part. passé. Les bois imprégnés aux résines synthétiques se trouvent jouir de propriétés remarquables (Campredon, op.cit.,p. 94). B. − P. anal. (Faire) se répandre de manière diffuse à l'intérieur de quelque chose. 1. Qqn, qqc.1imprègne qqc.2de qqc.3 a) Rare. [Le suj. désigne un agent hum.] Ah! Dieu! vous sentez le tabac à faire horreur! s'écria Julie... Laissez mes cheveux, vous allez les imprégner de cette odeur-là, et je ne pourrai plus m'en débarrasser (Mérimée, Double mépr.,1833, p. 14). − Qqn1s'imprègne de qqc.3(p. plaisant.).On voit ainsi des malheureux − et des malheureuses − qui s'imprègnent de coco, d'héroïne et d'alcool, et deviennent ainsi pareils à ces baquets où les marchands de poisons vident le résidu de leurs assommoirs (L. Daudet, Homme et poison,1925, p. 117).Des parfums variés (...), Pierrot ne retenait que le voluptueux houbigant [un parfum] dont s'imprégnait la mignonne (Queneau, Pierrot,1942, p. 28). b) [Le compl. prép. introd. par de désigne une partie du référent du suj.] Elle s'enveloppa dans une gandourat blanche que sa doublure colorée imprégnait d'une lumière rose insaisissable (Colette, Chéri,1920, p. 204).À cette époque où la résine commence à suinter, imprégnant l'air de son arôme balsamique, toute autre senteur s'avive (Pesquidoux, Chez nous,1921, p. 98). − Qqc.1s'imprègne de qqc.3L'ouest s'imprègne en un clin d'œil de ce rouge très sombre qui semble être le sang veineux du couchant (Farrère, Homme qui assass.,1907, p. 299).Elle [la terre lorraine] s'imprégnait de lumière, se pénétrait de chaleur (Moselly, Terres lorr.,1907, p. 255). c) Au passif ou part. passé. L'air de leur chambre est imprégné de musc, d'ambre, ou d'autres parfums (Cabanis, Rapp. phys. et mor., t. 2, 1808, p. 61).Ces lambris encore tout imprégnés du souvenir des anciens hôtes (Sandeau, Mllede La Seiglière,1848, p. 7). − Emploi adj. Cette petite main douce et imprégnée de parfums (Gautier, Rom. momie,1858, p. 188). 2. Qqc.3imprègne qqc.2L'odeur sauvage des oiseaux imprégnait les murs de torchis, les planches vermoulues (Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1529).Voici la chambre où il dormait. Rien de cette substance idéale qui semble parfois imprégner les cloisons et les meubles des pièces où de grands hommes ont vécu (T'Serstevens, Itinér. esp.,1963, p. 242). C. − Au fig. [Le compl.2désigne une pers. ou, p. méton., une faculté, une production hum.] 1. [Le compl.3désigne un affect] (Faire) ressentir profondément. Synon. pénétrer. a) Qqc.1/qqn1imprègne qqn2de qqc.3Le Léthé de la nuit délicieusement M'imprégnait d'un silence ineffable (Dierx, Lèvres closes,1867, p. 180).La nuit (...) d'une beauté qui vous imprègne de volupté (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 309). − Qqn2s'imprègne de qqc.3Le comte, depuis son entrée dans la maison, s'était déjà imprégné de ce bonheur; aussi restait-il muet et rêveur (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 728). ♦ [Le compl.3désigne p. méton. l'impression causée par qqc.] Je compte rester deux mois là-bas, le temps de m'imprégner du paysage et de mettre de l'ordre dans mes sentiments (L. Daudet, Médée,1935, p. 163). − Au passif et/ou part. passé. Synon. (être) plein de qqc.Ses pensées étaient imprégnées de bonheur, et ses rêves se ressentirent de cette douce inspiration (Ségur, Auberge ange gard.,1863, p. 267).Je suis imprégné d'émotions trop vives (...), trop bien inscrites en moi-même, pour désirer les reproduire (Chardonne, Éva,1930, p. 95). ♦ Rare. [Le compl.3désigne p. méton. l'impression causée par qqn] Madame Baudouin partit tout imprégnée de Madame Gérard, pleine d'admiration et de dévouement (Duranty, Malh. H. Gérard,1860, p. 174). b) Qqc.3imprègne qqn2.Un bien-être fondant imprègne ma chair (Frapié, Maternelle,1904, p. 129).V. alanguir ex. 3. 2. a) Qqn1imprègne qqn2/qqc.2de qqc.3Faire que quelqu'un, quelque chose porte la marque de l'influence de quelque chose dans chacun de ses comportements, dans chacun de ses aspects. La politique socialiste, nuance Guesde, ou plutôt nuance Schleiter, c'est-à-dire (...) un socialisme d'extrême-gauche qu'il imprégnait de syndicalisme (Duhamel, Terre promise,1934, p. 45) : 2. ... c'est encore l'époque où il [Racine] crée lentement sa dernière tragédie profane. L'esprit religieux dont il l'imprègne n'a rien de commun avec celui dont les habiles commencent de faire parade à la cour.
Mauriac, Vie Racine,1928, p. 126. − Qqn2/qqc.2s'imprègne de qqc.3Assimiler insensiblement. Synon. se pénétrer de.Élevés pendant trois générations successives dans notre pays, ils s'imprégnèrent de mœurs et d'opinions jusqu'alors repoussées comme contraires à leur loi (Volney, Ruines,1791, p. 182).La facilité qu'ont les mots de s'imprégner des notions morales (Du Bos, Journal,1923, p. 240).Il s'était fait une culture particulière, − commençant par s'imprégner, tout jeune encore, des œuvres les plus abstraites, les plus audacieuses de la littérature contemporaine (Gracq, Beau tén.,1945, p. 51) : 3. Les paysans y sont mêlés aux châtelains [dans des commissions]. Ils apportent aux assemblées leur sens des réalités, leur passion de l'économie, leur ingéniosité d'investigation. Ils s'y imprègnent d'idées d'organisation et de direction, de prévisions lointaines...
Pesquidoux, Livre raison,1928, p. 231. − Au passif ou part. passé. (Être) imbu, nourri de (quelque chose). Toute la philosophie [de Leibnitz] est imprégnée de l'idée de la perfectibilité (P. Leroux, Humanité, t. 1, 1840, p. 142).L'ensemble de la littérature française de Suisse romande est imprégné de l'esprit protestant (Arts et litt.,1936, p. 38-04). ♦ Emploi adj. Il était aussi bien plus imprégné d'hellénisme que l'on ne s'y fût attendu (P. Rousseau, Hist. transp.,1961, p. 44). b) Qqc.3imprègne qqn2, qqc.2Influencer profondément dans chacun de ses comportements, dans chacun de ses aspects. Le puritanisme originel qui imprègne la politique américaine demeure visible et efficace (Mauriac, Nouv. Bloc-notes,1961, p. 240) : 4. Dans son contenu néo-classique et aussi dans une large part de la critique qu'elle dirige contre le néo-classicisme, la théorie moderne élude la réalité de la contrainte, en suppose arbitrairement le domaine fort restreint, dissimule qu'elle imprègne en fait toute la vie économique concrète.
Perroux, Écon. xxes., 1964, p. 303. − Rare, absol. Rien n'imprègne, rien ne reste comme ces lectures faites au fond d'une cellule (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 286). 3. Rare. Qqc.3s'imprègne à, dans qqn2.Se communiquer à, pénétrer dans. Sa bonne humeur, très communicative, s'imprégnait à tous (Verne, Tour monde,1873, p. 195).Ce soir, ce soir qui meurt, s'imprègne dans nos moelles (Samain, Chariot,1900, p. 36). III. − ÉTHOLOGIE. Imprégner (un animal) à qqc. Exposer un très jeune animal à un leurre (dans un dispositif expérimental) déclenchant et déterminant son comportement social et/ou sexuel. Il semble même que des oiseaux puissent être « imprégnés » à un objet stationnaire pourvu qu'en l'absence de toute autre stimulation plus attrayante, ils restent un temps suffisant en contact avec celui-ci (Encyclop. univ.t. 8, 1970, p. 759). REM. 1. Imprégnant, -ante, adj.Qui a la propriété d'imprégner. Des résines imprégnantes (Campredon, Bois,1948, p. 94).Au fig. L'ombre avait cette mélancolie imprégnante (Romains, Hommes bonne vol.,1939, p. 216). 2. Imprégnable, adj.Qui peut être imprégné. (Dict. xixeet xxes.). La terre est imprégnable (Raymond 1832). Prononc. et Orth. : [ε
̃pʀeɳe] ou [-pʀ
ε-], (il) imprègne [ε
̃pʀ
ε
ɳ]. Att. ds Ac. dep. 1740. V. imprégnation. Étymol. et Hist. I. 1. 1121-34 enpreignier intrans. « devenir enceinte; être fécondée » (Ph. de Thaon, Bestiaire, 3032 ds T.-L.); 2. 1130-40 enpreigner trans. « rendre enceinte; féconder » (Wace, Conception N.D., éd. W. R. Ashford, 855); 1500 imprégner (Therence en français, éd. A. Verard, fo370a ds Gdf.). II. 1. [1620 imprégner « pénétrer (un corps) dans toutes ses parties » ds Bl.-W.2-5]; 1671 « id. (en parlant d'une matière quelconque) » (Pomey); 2. 1762 « id. (en parlant d'un liquide) » (Bonnet, Cons. Corps org., t. 1, p. 68); 3. 1740-55 « pénétrer, influencer profondément » (Saint-Simon, Mémoires, éd. A. de Boislile, t. 22, p. 23). Du b. lat. impraegnare « féconder ». La réfection d'empreignier (encore usité au xviiies.) en imprégner est due au désir d'éviter une confusion avec certaines formes du verbe empreindre* qui présentait des anal. de sens (d'où empreindre « engrosser » 1530, Palsgr.). Le sens 3 qui rappelle les sens fig. de l'a. fr. empreignier « remplir (d'un sentiment) » (xiiies. ds T.-L.) paraît dû à l'infl. d'empreindre*. Fréq. abs. littér. Imprégner : 247. Imprégné : 441. Fréq. rel. littér. Imprégner : xixes. : a) 104, b) 222; xxes. : a) 346, b) 557. Imprégné : xixes. : a) 373, b) 531; xxes. : a) 791, b) 795. |