| IMAGINAIRE, adj. et subst. I. − Emploi adj. A. − Créé par l'imagination, qui n'a d'existence que dans l'imagination. Abîme, danger, péril imaginaire; ciel, dieu, objet imaginaire; fait imaginaire; apparition imaginaire; craintes, soucis imaginaires. J'ai retrouvé mon atlas d'enfant et j'y ai revu les voyages imaginaires que j'avais tracés sur les cartes avec mon crayon rouge, et les noms de villes que j'y avais soulignés (Larbaud, Barnabooth,1913, p. 244). − [Qualifie l'espace ou le temps] L'arabesque ondulant autour d'un centre invisible, dans toutes les dimensions de l'espace imaginaire où l'esprit du peintre se meut (Faure, Espr. formes,1927, p. 40) : 1. ... mon père en disant : « En somme, vous pourriez rester à Venise du 20 avril au 29 et arriver à Florence dès le matin de Pâques », les fit sortir toutes deux non plus seulement de l'espace abstrait, mais de ce temps imaginaire où nous situons non pas un seul voyage à la fois, mais d'autres, simultanés, et sans trop d'émotion puisqu'ils ne sont que possibles − ce temps qui se refabrique si bien qu'on peut encore le passer dans une ville après qu'on l'a passé dans une autre...
Proust, Swann,1913, p. 392. − [Qualifie un subst. désignant une pers.] Auditeur, compagne, créature, ennemi, héros, personnage imaginaire. Cette histoire, toujours la même, de l'assassin imaginaire, du coupable inventé, dont le vrai coupable disait avoir entendu la fuite, au travers de la campagne noire (Zola, Bête hum.,1890, p. 265). − [Qualifie un subst. désignant un affect] Douleur, mal, souffrance, maladie imaginaire. Son cœur était encore gros des chagrins imaginaires de la veillée (Lamart., Confid.,1849, p. 201).La passion imaginaire que j'avais éprouvée pour cette femme que vous appelez la Topaze (Ponson du Terr., Rocambole, t. 2, 1859, p. 249). − En partic. [Qualifie un récit] Qui expose des faits qui n'existent que dans l'imagination. Histoire imaginaire : 2. Maurice, complaisamment, lut les nouvelles intéressantes (...) d'abord, ce fut une grande victoire de Bazaine, qui avait culbuté tout un corps prussien dans les carrières de Jaumont; et ce récit imaginaire était accompagné de circonstances dramatiques, les hommes et les chevaux s'écrasant parmi les roches, un anéantissement complet, pas même des cadavres entiers à mettre en terre.
Zola, Débâcle,1892, p. 82. − MATHÉMATIQUES ♦ ,,Qui ne peut être associé à une figuration concrète. Exemple : droite imaginaire`` (Uv.-Chapman 1956). ♦ Nombre, quantité imaginaire. ,,Expression de la forme a + bi, dans laquelle a et b sont des nombres réels et i l'unité imaginaire définie par l'égalité i2=-1`` (Lar. encyclop.). Rem. Lar encyclop. note qu'on utilise plutôt l'expr. nombre ou quantité complexe. ♦ Emploi subst. fém. ,,Expression algébrique qui comprend un radical du second degré portant sur un nombre négatif`` (Lar. encyclop.). B. − [En parlant de l'état, de la qualité, de la position d'une pers.] Qui s'imagine être tel. Malade, cocu, malheureux imaginaire. La tour abolie du prince d'Aquitaine est tout ce qu'on voudra, une des tours d'argent que Nerval dessine dans ses armoiries d'imaginaire descendant d'un châtelain du Périgord (Durry, Nerval,1956, p. 170). II. − Emploi subst. masc. A. −
Œuvre, domaine, monde de l'imagination. Imaginaire collectif, enfantin. Des colosses de jaspe, sortes de monstres ou d'idoles aux vagues prunelles de perles et d'émeraudes, − aux formes créées par l'imaginaire de théogonies oubliées (Villiers de L'I.-A., Contes cruels,1883, p. 368).Je fuis la société dans la nature ou le monde réel dans un imaginaire qui est fait des débris du réel (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. 413). B. − Spécialement 1. PHILOS. [dans la théorie de J.-P. Sartre] Domaine de l'imagination, posé comme intentionnalité de la conscience : 3. Nous sommes à même, à présent, de comprendre le sens et la valeur de l'imaginaire. Tout imaginaire paraît « sur fond de monde », mais réciproquement toute appréhension du réel comme monde implique un dépassement caché vers l'imaginaire. Toute conscience imageante maintient le monde comme fond néantisé de l'imaginaire et réciproquement toute conscience du monde appelle et motive une conscience imageante comme saisie du sens particulier de la situation.
Sartre, Imaginaire,1940, p. 238. 2. PSYCHANAL. [selon Lacan] Registre essentiel (avec le réel et le symbolique) du champ psychanalytique, caractérisé par la prévalence de la relation à l'image du semblable (d'apr. Lapl.-Pont. 1967) : 4. Freud lie le moi d'une double référence, l'une au corps propre, c'est le narcissisme, l'autre à la complexité des trois ordres d'identification. Le stade du miroir donne la règle de partage entre l'imaginaire et le symbolique à ce moment de capture...
J. Lacan, De nos antécédents, Paris, Éd. du Seuil, 1966, p. 69. REM. Imaginairement, adv.De manière imaginaire. Ils savent, eux, [les nazis] que tout Allemand qui marche en cadence, derrière un étendard (...) se satisfait imaginairement (Arnoux, Contacts all.,1950, p. 81). Prononc. et Orth. : [imaʒinε:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 1496 « qui n'a de réalité qu'en apparence, fictif » (J. de Vignay, Miroir historial, XXXI, 85, éd. 1531 ds Delb. Notes mss : Il veoit en songe comme par vision imaginaire [...] ung arbre de merveilleuse grandeur); 1820 subst. (Maine de Biran, Journal, p. 269 : sans aucun mélange de sensible ou d'imaginaire); b) 1637 math. racines imaginaires (Descartes, Géométrie, livre III ds
Œuvres, éd. Ch. Adam et P. Tannery, t. 6, p. 479); 1902 nombres imaginaires (Nouv. Lar. ill.); 2. 1658 « qui n'est tel que dans sa propre imagination » (Pascal, Pensées [Projet de 1658], éd. Ph. Sellier, no78 [l'imagination] : Tant les sages imaginaires ont de faveur auprès de leurs juges de même nature). Empr. au lat. de l'époque imp.imaginarius « simulé, feint; qui n'existe qu'en imagination », dér. de imago, -inis, v. image. Fréq. abs. littér. : 1 508. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 509, b) 1 214; xxes. : a) 1 547, b) 3 543. Bbg. Jourjon (A.). Rem. lexicogr. R. Philol. fr. 1917-18, t. 30, p. 61. - Laplanche (J.), Pontalis (J.-B.). Imaginary (Imaginaire). Yale fr. St. 1972, no48, pp. 186-191. |