| GUEUX, GUEUSE, subst. A. − Celui, celle qui est réduit(e) par la plus extrême pauvreté à mendier pour subsister. Synon. clochard, indigent, mendiant, miséreux, nécessiteux, va-nu-pieds.Un gueux en guenilles; mener une vie de gueux. Tôt ou tard la banqueroute nous pend au nez, et nous crèverons tous sur la paille comme des gueux (Flaub., Corresp.,1852, p. 159).Roi des poëtes en guenilles, O gueux, maître François Villon (Richepin, Chans. gueux,1876, p. 205).Un monde de gueux et de gueuses hébétés d'oisiveté, et déformés par la satisfaction régulière et naïve de leurs vices pauvres (Larbaud, Barnabooth,1913, p. 131).V. affilé ex. 3: 1. Les gueux, les gueux,
Sont les gens heureux;
Ils s'aiment entre eux.
Vivent les gueux!
Béranger, Chans., t. 1, 1829, p. 57. − P. compar. Fier comme un gueux. Tel guerrier se présentait, fier comme un gueux, mais le maintien sérieux, les traits fins, la draperie annonçaient l'aristocrate (Psichari, Voy. centur.,1914, p. 38).Pauvre comme un gueux. Satan était riche, et saint Michel était pauvre comme un gueux (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Lég. Mt St Michel, 1882, p. 1253). − Expr. vieillies ♦ Gueux fieffé. Mendiant qui se tient toujours à la même place qu'il défend et s'attribue comme un fief (cf. Ac. 1798-1878). P. ext. [avec valeur intensive] Coquin. Ne vous fiez pas à lui c'est un gueux fieffé (Ac.1932).V. infra C. ♦ Gueux revêtu. Gueux enrichi et devenu arrogant (cf. Ac. 1798-1878). ♦ Herbe aux gueux. Clématite des bois. La clématite des haies, vigne blanche. On la nomme encore herbe aux gueux parce que les mendiants s'en servaient pour se créer des plaies et exciter la commisération (Dorvault, Officine,1844, p. 204). ♦ Velours de gueux. Toile de chanvre contenant une trame de coton grossier et imitant le velouté. Veste de velours de gueux (Balzac,
Œuvres div., t. 1, Mém. Samson, 1830, p. 541). − HIST., au plur. ♦ [Moy. Âge] Corporation supposée des gueux de Paris dont le quartier général était la Cour des Miracles. Le roi des gueux. Vive Clopin, roi de Thune! Vivent les gueux de Paris! (Hugo, Esmer.,1836, p. 137). ♦ [Au xvies.] Huguenots des Flandres ligués contre Philippe II et qui, s'honorant d'une qualification injurieuse, portaient comme signes de ralliement l'écuelle et la besace (cf. Littré). L'association des gueux, pour s'opposer à l'établissement de l'inquisition, soulève les Pays-Bas (Chateaubr., Ét. ou Disc. hist., t. 4, 1831, p. 287).Voir Sardou, Patrie! 1869, I, tabl. 1, 3, p. 31. − Emploi adj. Ces gens là sont si gueux qu'ils n'ont pas de pain (Ac. 1798-1878). Ce quartier gueux et noir, mal peuplé, mal pavé, mal bâti, qui dort à l'ombre du Panthéon (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 222). ♦ Proverbial et fam. Être gueux comme un rat (d'église), comme un peintre. Ainsi, tu vas rester gueux comme un rat, père Ubu? (Jarry, Ubu,1895, I, 1, p. 36). B. − Celui, celle que la pauvreté contraint à ne pas maintenir un train de vie correspondant à sa condition sociale, à ses désirs. Ainsi furent donnés l'amour du Beau et la Puissance poétique au fils d'un sombre gueux, carrier de son état (Baudel., Poèmes prose,1867, p. 97). − Emploi adj. C'est un gentilhomme fort gueux. Faites les prix pour moi, en pensant que je suis devenu plus gueux qu'en aucun temps (Balzac, Corresp.,1839, p. 643).T'ai-je jamais caché que, dans ma vieille bicoque à poivrières, je n'étais pas moins gueux qu'un croquant? (Bernanos, Soleil Satan,1926, p. 82).V. bouquer ex. 1. ♦ Au fig. Ne me juge pas d'après mes lettres, cher ami. Les tiennes sont si pleines, si riches, si affectueuses, que je me sens, à côté, tout gueux (Gide, Corresp. [avec Valéry], 1922, p. 492). ♦ [S'appliquant à des inanimés] Avoir un équipage fort gueux (Ac. 1798-1878). ARCHIT. Corniche gueuse. ,,Corniche dépourvue d'ornements`` (Ac. 1798-1932). C. − P. ext. Personne de mauvaise apparence, à la conduite vile, méprisable. Synon. coquin, filou, fripon, misérable.Traiter (qqn) de gueux, de vieille gueuse. Chez les nécessiteux, un garçon qui force les parents à écorner le capital devient un mauvais sujet, un gueux, un drôle! (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Oncle Jules, 1883, p. 414) : 2. ... il s'apostrophait grossièrement, il se traitait de cochon, de triple gueux, de foutue bête et de paillasse.
Rolland, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 380. − Fam. [Avec une nuance amicale] Tu sais bien que non, petite gueuse, que je t'aime bien mieux qu'elle! (Flaub., 1reÉduc. sent.,1845, p. 197). − [En appos., avec un subst. désignant une pers. ou une chose dont on a à se plaindre] Gueux de.Ces gueux de riches. Gueux de fanal, sors donc... sors donc... Ah! enfin le voilà... Est-il rouge ce matin! (Sue, Atar Gull,1831, p. 8).Son mobilier était saisi!... − Rapport aux frais. − Ces gueux d'huissiers! (Balzac, Splend. et mis.,1844, p. 197) : 3. −Eh ben allons-y; un' deuss' troiss'! Pas gymnastique et en avant! ah! gueux de sort, en voilà une partie de plaisir! et ils prirent le pas de course.
Courteline, Train 8 h 47,1888, 2epart., III, p. 124. − Subst. fém. Femme de mauvaise vie. Synon. catin, prostituée, ribaude.S'amouracher d'une gueuse : 4. Après dîner, la princesse nous disait : « Oui, j'aurais voulu avoir un tempérament de gueuse, faire mille coquineries... mais je vous promets que ce n'est pas du tout ma nature! ».
Goncourt, Journal,1872, p. 860. ♦ Courir la gueuse. Fréquenter les prostituées. Avoir une femme à lui, ça lui semble plus mâle que de courir la gueuse; c'est plus commode aussi (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 350).Rarement au plur. Courir les gueuses. Sait-on pourquoi et comment sa brute de mari (...) après avoir été assez rustre pour la rendre sept fois mère, l'a lâchée tout à coup pour courir les gueuses? (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Inutile beauté, 1890, p. 1161). ♦ La Gueuse ou la gueuse (vieilli). La République française pour ses adversaires royalistes. Je ne suis pas tendre pour la gueuse. Mais il faut reconnaître que la République est quelque fois bonne fille (A. France, M. Bergeret,1901, p. 150).Si elle [la République] n'est pas renversée, dans un mouvement de mépris et d'horreur, cette Gueuse, elle fera sans doute mieux une autre fois. (L. Daudet, Police pol.,1934, p. 168). D. − Objets d'apparence pauvre ou de bas prix. 1. Subst. masc. Chaufferette en terre percée de trous et portée sur les genoux pour se réchauffer. La bonne chaufferette classique, le pot, le gueux où brûle un morceau de tourbe et qu'abrite une boîte ouverte d'un côté et percée en dessus à coups de tarière (Du Camp, Hollande,1859, p. 30). Rem. Var. fém. de même sens (infra étymol. B 2 c). 2. Subst. fém. a) Étoffe de laine fabriquée en Flandre (cf. Littré, Lar. 19e-Lar. encyclop., Quillet 1965). Synon. picote. b) Dentelle légère et aérée (cf. Mots rares 1965). REM. 1. Gueusement, adv.,rare. À la façon d'un gueux, très pauvrement. Cette manière de ne rien faire, combien le paie-t-on? − Cent guinées par an (...). C'est de quoi vivre. − Gueusement (Hugo, Homme qui rit, t. 2, 1869, p. 21). 2. Gueusette, subst. fém.Petite gueuse. [La gouvernante du Maire :] je l'aime tout plein la gueusette [la petite Bohémienne de dix ans] (Richepin, Miarka,1883, p. 115). 3. Gueux-gueux, subst. masc. avec valeur hypocoristique.Gros farceur! gros gueux-gueux! (Labiche, Chap. paille Ital.,1851, IV, 8, p. 99). Prononc. et Orth. : [gø], fém. [-ø:z]. Att. ds Ac. 1694-1932. Homon. gueuse (fonte). Étymol. et Hist. A. Subst. masc. 1. mil. xves. « compagnon, coquin » (Myst. du V. Testament, éd. J. de Rothschild, 46098 : un rouge gueux); 2. a) 1458 « personne qui vit d'aumônes, et réduite à mendier pour vivre » (A. Greban, Le Mystère de la Passion, éd. O. Jodogne, 7488); b) 1545 « personne pauvre » (Le Mirouer des enfans ingratz ds Esn.); c) 1654 « personne qui n'a pas de quoi vivre selon son état, ses désirs » (Guez de Balzac, De la Gloire ds Littré); 3. mil. xves. terme de dédain « être vil » (Myst. du V. Testament, éd. J. de Rothschild, 17677); 4. 1830 « pot de terre servant de chaufferette » (Balzac,
Œuvres div., t. 2, p. 187). B. Subst. fém. 1. a) ca 1454 la gueue « femme de mauvaise vie » (Philippe Bouton, Les Gouges, 69 ds Romania t. 47, p. 172); b) 1808 courir la gueuse (Hautel); 2. a) 1669 « sorte de dentelle » (Widerhold Fr.-all.); b) 1723 « petite étoffe qui se fabrique en Flandre » (Savary); c) 1851 « pot de terre servant de chaufferette » (Land.). C. Adj. 1. ca 1615 « vil, ignoble, méprisable » (Hardy, La Belle Égyptienne ds Théâtre, éd. Stengel, t. 5, p. 969 : cette gueuse de vie); 2. a) av. 1648 « qui n'a pas de quoi vivre selon son état » (Voiture ds Trév. 1704); b) 1654 « pauvre » (Cyrano de Bergerac, Lettres Diverses, p. 49 ds
Œuvres diverses, éd. F. Lachèvre, p. 49 : gueux comme des Diogènes). Prob. empr. au m. néerl. guit « coquin, fripon », qui donne régulièrement gueu en fr. (cf. m. fr. gueu, gueue, gueuesse et gueuer ds FEW t. 16, pp. 98a-99a). Le fém. gueuse a été refait sur le masc. gueu(x) d'apr. le modèle des mots en -eux, -euse*. Les sens B 2 viennent de ce que ceux qui gén. font usage de ces objets ou tissus sont des personnes de misérable condition (des gueux). Le nom de gueuse fut donné par les femmes aux misérables garnitures en dentelle, à la suite de l'édit de Richelieu (1644) contre les passements (cf. J. Quicherat, Hist. du cost. en France, Paris, 1875, p. 502). Fréq. abs. littér. : 930. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 812, b) 3 191; xxes. : a) 1 986, b) 357. Bbg. Barb. Misc. 1 1925-28, p. 19. - Quem. DDL t. 3, 11, 18. - Sain. Arg. 1972 [1907], p. 5, 35, 201, 270, 272, 317. - Sain. Sources t. 1 1972 [1925], p. 341, 344, 398; t. 2 1972 [1925], p. 228; t. 3 1972 [1930], p. 105, 201. |