| GRIMACE, subst. fém. A. − 1. Déformation momentanée du visage provoquée par une contraction volontaire ou non de certains muscles de la face. Avoir une grimace (rare), faire une grimace; légère, vilaine grimace. Pierre laissa échapper une grimace que, seul, le président surprit au passage (Duranty, Malh. H. Gérard,1860, p. 275).Par des grimaces on singeait sa laideur, laquelle devenait de plus en plus frappante (Lacretelle, Silbermann,1922, p. 83) : 1. ... dans le cadre rond de sa glace (...) il se renvoyait des grimaces. Il fronçait le nez, tirait la langue, s'arrondissait la bouche en cœur, et par moment, entre ses dents, tandis qu'il donnait de la main un retroussis coquet à sa longue moustache, il fredonnait sur l'air de la Botte à coco...
Courteline, Train 8 h 47,1888, 1repart., 1, p. 12. ♦ Grimace de singe. Grimace particulièrement grotesque. Peu à peu entraînée par les suggestions méphistophéliques de Lorrain, qui fait des grimaces de singe, quand elle va de l'avant, elle arrive à nous conter des choses monstrueuses sur Méténier (Goncourt, Journal,1893, p. 393). ♦ Faire la grimace (rare), une/des grimace(s), à qqn. Regarder (quelqu'un) en faisant une/des grimace(s) pour le provoquer ou le faire rire. Il lui prenait des fantaisies d'aller apparaître à son tour à la lucarne de la chapelle, ne fût-ce que pour avoir le plaisir de faire la grimace à ce peuple ingrat (Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 59).Elle fait une belle grimace avec double pied de nez aux spectateurs et leur jette des balles qu'elle a dans son corsage (Apoll., Tirésias,1918, I, 1, p. 886). − P. anal. [En parlant d'un animal] [J'ai sous les yeux la Chasse aux lions de Rubens] Mais l'animal se retourne avec une grimace horrible vers un autre combattant étendu tout à fait par terre (Delacroix, Journal,1847, p. 168). − Loc. Un vieux singe* se connaît, s'y connaît en grimaces; on n'apprend pas à un vieux singe* à faire la grimace. 2. [Construit avec un compl. prép. de désignant une partie du visage] Déformation momentanée d'(une partie du visage). Grimace de la bouche. Le ministre avait eu un ton courtois, mais ferme; le commandant de Saint-Brix, un froncement du sourcil droit et une grimace des lèvres (Romains, Copains,1913, p. 189).Dans la flamme brève qui jaillit, nous aperçûmes (...) la grimace de ses yeux blessés par la clarté trop vive (Genevoix, Boue,1921, p. 23). 3. [Construit avec un compl. prép. de ou un adj. désignant un affect ou une attitude] Déformation des traits du visage exprimant ou signifiant (quelque chose). Ce geste et l'inspection du costume et du bagage de l'étranger que la Thénardier passa en revue d'un coup d'œil firent évanouir la grimace aimable et reparaître la mine bourrue (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 481).Bébé ne goûta pas le jeu. Une grimace de déplaisir plissa le coin de ses lèvres et la lumière des yeux perdit toute portée métaphysique (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 215) : 2. − Eugène, fait-elle enfin, après un long silence, faut pas regarder aujourd'hui à me dire tout... C'est la phrase la plus hardie qu'elle ait sans doute jamais prononcée, car il ne souffre pas qu'on l'interroge, et même à ce moment il n'a pu réprimer une grimace de colère, une double ride au coin de ses lèvres rusées, qui d'ailleurs s'efface aussitôt.
Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1476. SYNT. Grimace de dégoût, de douleur, de mépris; grimace approbative, admirative, amère, dégoûtée, douloureuse. 4. Dans des loc. [Grimace est employé seul précédé de l'art. déf.] − Faire la grimace (devant, à qqc.). Manifester par l'expression de son visage un sentiment de répugnance pour (quelque chose). Synon. faire la moue.Le choix des armes revenait de droit au bon Ayvaz; mais le notaire et ses témoins firent la grimace en apprenant qu'il choisissait le sabre (About, Nez notaire,1862, p. 47).Le remède n'est pas bon à prendre, et le malade fait la grimace (Alain, Propos,1922, p. 422) : 3. Les cartes se disposaient en croix, une au centre, en paquets. La tireuse faisait la grimace au roi de pique : l'homme de la loi, c'est un flic; ses yeux s'agrandirent avec l'as de trèfle, devinrent rêveurs sur le sept de cœur; le bras de force, mon mignon. « J'appelle ça des patiences... à vrai dire, je me tire plutôt les cartes... »
Aragon, Beaux quart.,1936, p. 355. − Faire la grimace (à qqn). Manifester par son comportement du dépit, de l'hostilité, de la froideur envers (quelqu'un). Synon. faire grise mine.J'entrai donc bravement, et fus surprise de la plus agréable manière du monde, en voyant que ce logis renfrogné qui faisait la grimace aux passants souriait aux hôtes (Gautier, Fracasse,1863, p. 193). ♦ (Faire) la soupe à la grimace (fam.). Faire à table (ou ailleurs) mauvais visage, mauvais accueil à quelqu'un. [René à l'acheteur de livres] (...) ici repas complet (...) de digestion facile. Tarte à la crème, soupe à la grimace (L. de Vilmorin, Migraine,1959, p. 131). 5. Dépréc. Expression du visage, généralement un rire ou un sourire, figée ou forcée. Après quelques minutes, l'air qu'une femme donne à sa figure devient grimace, et, dans un pays méfiant [l'Italie], la grimace doit être le comble du mauvais goût (Stendhal, Rome, Naples et Flor., t. 1, 1817, p. 47).Son rire tournait à la grimace (Mauriac, Désert am.,1925, p. 181). − En partic., dans le domaine de la crit. artistique. Représentation outrée d'une expression. Léonard de Vinci recommande l'imitation des muets dans leur pantomine (...) mais la crainte de n'être pas compris pousse les muets jusqu'à l'excès du geste, et pourrait conduire le peintre aux grimaces (Ch. Blanc, Gramm. arts dessin,1876, p. 526).Toutes ces grimaces du xviiiesiècle, auxquelles aboutit le désir de saisir la vie au passage (Lhote, Peint. d'abord,1942, p. 62). 6. P. anal., COUT. Faux pli. Son amazone était courte, mais elle ne tombait pas assez droit, sans aucun pli. Une petite grimace ridait la fermeture de la jupe (Gyp, Leurs âmes,1895, p. 20).Un bouton bien cousu doit en effet, avoir une attache assez longue, formant queue, afin d'éviter les grimaces qui ne manqueraient pas de se produire avec un bouton cousu plat (Dreyfus, Manuel apiéceur,av. 1953, p. 14). ♦ Faire la grimace. Faire des faux plis. Cet habit, ce collet fait la grimace (Ac.). B. − Au fig., dépréc. 1. Gén. au plur. Comportement feint et ridicule. Chapelle et Bachaumont, s'étaient agréablement moqués, dans leur fameux Voyage, des précieuses de campagne, de celles de Montpellier, et les avaient montrées dans leur cercle en séance et avec toutes leurs grimaces (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 5, 1859, p. 324).C'est là qu'il fallait le voir, le ministre (...) le grand marchand de morale religieuse, le défenseur des saines doctrines, là qu'il se montrait sans masque et sans grimaces, tout son Midi dehors (A. Daudet, N. Roumestan,1881, p. 295).Parlons-en de ces vingt années! Vingt années de vanité et de grimaces! Même les lettres que vous m'adressiez étaient écrites pour la postérité. Vous n'êtes pas un ami, vous êtes un styliste! (Camus, Possédés,1959, 3epart., 15etabl., p. 1079) : 4. Le pauvre monde est bien bon : il admire. Nous jouons un beau drame devant lui et il est dupe de nos grimaces. Nous lui avons dit avec un air de mystère que nous cherchions la vérité, qu'on s'y use les yeux, qu'on s'y mange le sang, qu'on y perd quelquefois son âme, enfin que c'est une terrible affaire. Et il le croit. Il est plein de révérence.
Guéhenno, Journal « Révol. »,1938, p. 149. − En partic., au plur. Politesse(s) exagérée(s), manières affectées. Synon. manières, mines, simagrées, façons (fam.).Vous lui voyez des grimaces, des mines, des comédies de délicatesse, des prétentions à être difficile, dégoûtée (Goncourt, Ch. Demailly,1860, p. 300).Louise, reprit la folle, avec une certaine emphase, je hais les grimaces, je vais droit au but, j'ai toujours été franche en affaire, autant qu'un homme (Bernanos, Joie,1929, p. 609). Rem. Grimace est employé pour désigner de façon dépréc. le comportement conventionnel d'un groupe ou d'un rôle social, les attitudes affectées par une pers. hypocrite ou que l'on soupçonne d'hypocrisie, les conduites manquant de naturel ou de sincérité. 2. En partic. a) Emploi prédicatif, au sing. Synon. comédie, hypocrisie.Son air décent, honnête... (mais elle l'avait démenti, cet air honnête et décent), tout cela n'était que grimace et tromperie? (Restif de La Bret., M. Nicolas,1796, p. 126).Je fréquente ici même de toutes jeunes filles ou jeunes femmes (...) en qui je sens bien que tout n'est que grimace, entraînement ou mode, tout, excepté l'instinct tendre et protégeant de la maternité (A. Daudet, Pte paroisse,1895, p. 248). b) Fam. [Grimace est employé pour désigner de façon insultante le comportement d'un interlocuteur ou d'une tierce pers.] « ... Ah! dit Madame Bineau, c'est tous ces griffonnages qui te mettent la tête en feu! Je ne veux plus en entendre parler. » Et elle mit le feu aux feuilles de papier écrites, étalées sur le bureau. (...) − Tu vas venir te coucher tout de suite, Monsieur Bineau, je ne veux plus que tu recommences tes grimaces, entends-tu? (Champfl., Souffr. profess. Delteil,1855, p. 203).Ça faisait au moins deux bonnes heures complètes qu'on était dehors dans la bise!... − Ça suffit! Il se fout de notre fiole... il nous fait quand même assez chier avec ses grimaces! (Céline, Mort à crédit,1936, p. 553). 3. Rare. [Construit avec un compl. de ou un adj.] Imitation maladroite de (quelque chose). Étrange effet de la routine académique, dès que les artiste actuels ne font plus la grimace antique ou la grimace Renaissance, ils tombent dans la gravure de mode (Péladan, Décad. esthét., Salon de 1883, 1888, p. 190).[Les Juifs] ne nous ont présenté qu'une grimace de l'Occident, comme ils ne sont eux-mêmes qu'une caricature des Hongrois (Tharaud, Qd Israël est roi,1921, p. 266). C. − P. anal. 1. Vx. Boîte de pains à cacheter dont le couvercle servait de pelote à épingles. Des tables à casiers chargés à en rompre d'autres paperasseries en désordre, de lourds encriers, de grimaces hérissées d'épingles (Verlaine,
Œuvres compl., t. 5, Confess., 1895, p. 164). 2. Vieilli. Figure grotesque. Il y a des difformités en plâtre et des grimaces en bronze (Goncourt, Journal,1864, p. 24). − ARCHIT. Figure grotesque sculptée sous les miséricordes des stalles dans les églises médiévales. (Ds Rob. et Lar. Lang. fr.). Prononc. et Orth. : [gʀimas]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 2emoitié du xives. « contorsion du visage involontaire ou faite à dessein » (G. de Saint-André, Bon Jehan, éd. E. Charrière, 2219); fin du xives. faire la grimace (à qqn) « faire un accueil froid, hostile » (E. Deschamps,
Œuvres, éd. Queux de Saint-Hilaire et G. Raynaud, t. 6, p. 170); b) 1632 « mine affectée par feinte » (Corneille, Galerie du palais, III, 4); c) 1690 faire la grimace « faire de mauvais plis (de vêtements) » (Fur.); 2. 1387 « figure grotesque » (Doc. ap. B. et H. Prost, Inventaires mobiliers (...) des ducs de Bourgogne, t. 2, p. 270); 3. 1721 « boîte servant à la toilette, dont le dessus est une pelote à épingles » (Trév.). Le rad. du mot remonte à l'a. b. frq. *grîma « masque » (cf. le m. néerl. grime « id. », a. nord. grima), dont une trace se trouve peut-être déjà dans des gloses lat. du ixes. (CGL t. 5, p. 390, 9; ibid. p. 392, 15, v. encore Archiv für lat. Lexikogr. t. 9, 1896, p. 398). La forme fr. la plus ancienne est grimuche « figure grotesque » (ca 1200, Jean Bodel, Jeu de saint Nicolas, éd. A. Henry, 505, v. la note de l'éd.), tandis que grimace est prob. issu de ce dernier par substitution de suff. Le lat. grimutio, équivalent de grimuche, est attesté comme surnom au xiies. (FEW t. 16, p. 65a). Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 837, b) 2 175; xxes. : a) 1 745, b) 1 944. Bbg. Kidman (J.). Les Emprunts lexicol. du fr. à l'espagnol... Paris, 1969, pp. 115-118. - Nigra (C.). Metatesi. Z. rom. Philol. 1904, t. 28, p. 4. - Quem. DDL t. 1. |