| EXASPÉRER, verbe trans. A.− [Le compl. désigne un inanimé] 1. [Le compl. désigne un mal physique ou moral] Rendre plus pénible. Cette allusion exaspère son chagrin; exaspérer une douleur; la trop grande chaleur exaspérait ses souffrances (Ac.1932).(Quasi-)synon. aggraver; anton. apaiser, calmer.La nécessité où elle était de se contraindre, exaspérait son mal davantage (Zola, Joie de vivre,1884, p. 953).Pour exaspérer les blessures qu'elles [les femmes pratiquant le rite du deuil] se font, elles vont jusqu'à y appliquer des pointes de bâtons rougies au feu (Durkheim, Formes élém. vie relig.,1912, p. 560).Un garçon de café septuagénaire dont le service nocturne exaspérait les rhumatismes vint essuyer la table d'un torchon las (Morand, Homme pressé,1941, p. 9). − Emploi pronom. à valeur passive. Sa souffrance s'exaspère de jour en jour. (Quasi-)synon. s'aggraver.Les douleurs (...) s'exaspèrent à la fin de chaque miction par contraction du sphincter vésical (Hudelo dsNouv. Traité Méd.,fasc. 1, 1926, p. 524). 2. P. ext. [Le compl. désigne un inanimé concr. ou abstr., en partic. un sentiment, un état de conscience] Rendre plus intense. Exaspérer le désir de qqn. (Quasi-) synon. accroître, augmenter, aviver, exacerber; anton. apaiser, calmer, modérer.De mauvais maîtres qui malmenaient mon corps, exaspéraient mon orgueil (Gide, Retour enf. prod.,1907, p. 484).Le soleil avait monté et ses rayons brûlants exaspéraient l'odeur qui sortait de ces caftans, de ces bottes (Tharaud, Ombre de la Croix,1917, p. 16).Ce désir que l'angoisse exaspère au lieu de l'apaiser (Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1428): 1. Et son désespoir n'avait rien d'humain;
Pareil au foyer que l'huile exaspère,
Son courroux croissait, rouge, et l'on aurait
Dit d'une lionne à l'âpre forêt
Communiquant sa terrible colère,
Quand Marco pleurait.
Verlaine, Poèmes saturn.,Caprices Marco, 1866, p. 87. − Emploi pronom. à valeur passive. Devenir plus intense. (Quasi-)synon. s'accroître, augmenter, s'exacerber; anton. se calmer, s'apaiser.C'était comme une fureur qui s'exaspérait (Loti, Mon frère Yves,1883, p. 130).C'est le moment où s'exaspère notre clairvoyance (Rivière, Corresp.[avec Alain-Fournier], 1906, p. 272).Le grondement s'enfle, s'exaspère (Duhamel, Notaire Havre,1933, p. 52): 2. Quand le crescendo de l'ode musicale s'accentue et s'exaspère, quand de tous les coins de l'orchestre les lignes convergent et culminent et que l'exhaussement graduel des soubassements prépare la fusée imminente de la colonne, alors l'agitation commence à la batterie.
Claudel, Poète regarde Croix,1938, p. 188. B.− [Le compl. désigne une pers. ou p. méton. un attribut moral de la pers.] Mettre dans un état d'irritation ou d'impatience extrême. (Quasi-)synon. excéder; anton. apaiser, calmer. 1. [Le suj. désigne une pers.] Ses ennemis ont exaspéré son humeur (Ac.).Il tâcha d'exaspérer les esprits contre les projets qu'avait eus la Cour (Staël, Consid. Révol. fr.,t. 1, 1817, p. 205).Même les libéraux véritables trouvèrent que c'était (...) exaspérer inutilement le cœur du souverain (Stendhal, Chartreuse,1839, p. 381).Vous m'exaspérez avec vos histoires et vos airs de princesse! (Reider, MlleVallatin,1862, p. 67).Quant à cette double influence nerveuse exercée par deux hommes, l'un l'exaspérant et l'autre l'apaisant, voilà qui est une merveille (Flaub., Corresp.,1874, p. 129): 3. ... il assommait Kohn, (...) il l'exaspérait par son insistance à lui prendre la main par-dessus la table et à la presser avec effusion. Et il mit le comble à son irritation, en voulant à la fin trinquer, à la mode allemande...
Rolland, J.-Chr.,Foire, 1908, p. 657. − Emploi pronom. ♦ réfl. Il s'exaspérait au souvenir enfiévrant des caresses passées (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, M. Parent, 1886, p. 609).On s'exaspère contre le gouvernement absent, on s'épouvante du lendemain (Vogüé, Morts,1899, p. 245).La jeune fille, silencieusement, le regardait faire. Il ne se pressait pas. Visiblement, elle s'exaspérait (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 146). ♦ réfl. indir. Je n'en fais rien, aimant mieux me passer d'argent que de m'exaspérer les nerfs (Flaub., Corresp.,1873, p. 11). ♦ réciproque. Et ils le maudissaient [Hamilcar], s'exaspérant les uns les autres par leur propre colère (Flaub., Salammbô,t. 1, 1863, p. 11). 2. [Le suj. désigne un comportement, un fait] Ce nouvel outrage l'a fort exaspéré (Ac.).Le triomphe de Florine exaspéra Lucien au plus haut degré (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 514).Cette tentative désespérée de la victime, loin d'exaspérer Thénardier, l'avait calmé (Hugo, Misér.,t. 1, 1862, p. 947).Le mutisme de Renée acheva de l'exaspérer (Arland, Ordre,1929, p. 381): 4. Il se donnait un mal énorme pour sa comptabilité... Il devait la montrer à sa femme. Ce contrôle l'exaspérait... Ça le foutait en rogne infecte... Il transpirait pendant des heures...
Céline, Mort à crédit,1936, p. 424. − Emploi abs. Ce sont des malheurs humiliants, qui exaspèrent par leur ridicule même (Amiel, Journal,1866, p. 197).Il pleut dans mon oreille gauche, sur mon nez, sur mon livre (...) Cela finit par exaspérer! (Vercel, Cap. Conan,1934, p. 9). Rem. La docum. atteste exaspérateur, trice, adj. Qui exaspère, qui porte à l'exaspération. Il y a eu, sous la première révolution, un fluide exaspérateur qui portait à commettre des cruautés (Sand, Corresp., t. 5, 1867, p. 194). Prononc. et Orth. : [εgzaspeʀe] ou [e-], (il) exaspère [εgzaspε:ʀ] ou [e-]. Cf. é-1. Enq. : /egzaspeʀ/ (il) exaspère. Étymol. et Hist. 1291-95 [ms. xives.] exasperant (Guiart des Moulins, Bible, Ezech., ms. Ste Gen. ds Gdf.); av. 1502 s'exasperer (O. de S. Gel., Eneid., B.N. 861, fol. 82 vods Gdf. Compl.). Empr. au lat. class. exasperare proprement « rendre rugueux », fig. « irriter, exaspérer ». Fréq. abs. littér. : 1 877. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 398, b) 3 214; xxes. : a) 5 272, b) 2 747. Bbg. Gohin 1903, p. 314. − Quem. DDL t. 2. − Rat (M.). Il n'y a pas de synon. Vie Lang. 1966, pp. 165-167. |