| * Dans l'article "ENTRAÎNER,, verbe trans." ENTRAÎNER, verbe trans. I.− [L'idée dominante est celle de mouvement imprimé à qqc. ou à qqn] A.− 1. [Le suj. désigne une entité concr. animée de mouvement] Traîner après soi, déplacer en tirant derrière soi. Quatre remorqueurs décollèrent « l'Étoile-desmers » du quai, deux autres l'entraînèrent (Peisson, Parti Liverpool,1932, p. 29). 2. MÉCAN. Transmettre, communiquer un mouvement à une partie d'un mécanisme : 1. Le mouvement d'horlogerie entraîne le cylindre ainsi préparé avec une vitesse uniforme et régulière que l'on peut régler à volonté.
Baratoux, La Voix,1912, p. 47. − Emploi pronom. réciproque : 2. Quand le mouvement qui anime toutes les parties d'une machine est très rapide, il est ininterrompu parce qu'il passe sans relâche des unes aux autres. Elles s'entraînent mutuellement, pour ainsi dire.
Durkheim, De la Division du travail soc.,1893, p. 386. − P. anal. a) [Le suj. désigne une chose concr.] Attirer vers le bas. Un pavé se détache rarement d'un mur sans entraîner dans sa culbute une certaine quantité de plâtras (Courteline, Ronds-de-cuir,1893, 6etabl., 2, p. 228).Je sens mes genoux fléchir : je sens un poids à mon cou qui m'entraîne (Claudel, Repos 7ejour,1901, II, p. 831). b) [Le suj. désigne une pers. qui tombe] Emporter rapidement avec soi dans sa chute. Puis, battue, renversée, mais acharnée en son étreinte, elle entraîna son mari, qui s'abattit à côté d'elle (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Page hist. inéd., 1880, p. 1212): 3. ... elle prit l'épée par le milieu de la lame et en asséna le lourd pommeau sur la tête du comte qui vacilla, assommé, s'accrochant aux meubles et les entraînant dans sa chute.
Péladan, Le Vice suprême,1884, p. 93. 3. [Le suj. désigne une pers.] Emmener, conduire avec soi, en faisant parfois usage de la force. D'un mouvement imperceptible et léger, le père l'entraîna, et ils commencèrent à marcher côte à côte, ainsi qu'autrefois (Estaunié, Empreinte,1896, p. 197).Daniel les [Jacques et Nicole] entraîna de force dans le salon, où la lumière, disait-il, était meilleure (Martin du G., Thib.,Pénitence, 1922, p. 794): 4. ... de tous les bancs, accouraient les mères, les bonnes, les tantes, qui saisissaient par la main les fillettes confiées à leur garde et les entraînaient brutalement.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, MmeBaptiste, 1882, p. 355. − Entraîner vers.Diriger quelqu'un vers un lieu déterminé. Craignant de succomber lui-même à l'envie d'entrer chez elle, il l'entraînait vers la route (Zola, Germinal,1885, p. 1371). B.− P. ext. 1. [Le suj. désigne gén. un cours d'eau, et parfois un phénomène naturel animé de mouvement] Emporter avec soi. Le ruisseau courait doucement sur les pierres polies, entraînant ces peuplades de poissons microscopiques et de mouches d'eau (Loti, Mariage,1882, p. 58): 5. L'un d'eux [prisonniers] trébucha, lâcha la file, perdit l'équilibre et l'eau le roula comme une solive, sans qu'il pût reprendre pied. Le courant l'entraînait, il était déjà loin.
Mille, Barnavaux et quelques femmes,1908, p. 174. ♦ P. métaph. : 6. Une fois le respect de la religion et de la monarchie sapé à la fois par les propres inconséquences de ces deux pouvoirs et par l'usure naturelle que le temps entraîne, il fallut bien aux hommes chercher un nouveau principe d'autorité.
Bloch, Destin du Siècle,1931, p. 214. − Emploi abs. Et puis enfin, il y a la vie qui entraîne avec tous ses instants (Villiers de L'I.-A., Corresp.,1873, p. 177). 2. [Le suj. désigne une musique, un rythme] Emporter rapidement; exercer un effet stimulant : 7. Les faux allaient toutes ensemble et l'herbe s'inclinait. Il y avait une sorte de musique sourde qui entraînait. Ça n'était pas une musique compliquée comme celle des bals (...) C'était comme une musique de tambour. Pas besoin de réfléchir : le corps s'y accorde de lui-même.
Giono, Que ma joie demeure,1935, p. 299. C.− Au fig. 1. [Le suj. désigne un abstr.] a) Amener, faire venir à la suite. Ce don [le sens du théâtre] en suppose plusieurs autres, et qu'il entraîne avec lui tout un cortège de facultés (Bourget, Nouv. essais psychol.,1885, p. 18): 8. Le déterminisme associationniste se représente le moi comme un assemblage d'états psychiques, dont le plus fort exerce une influence prépondérante et entraîne les autres avec lui.
Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience,1889, p. 127. b) [Le compl. désigne un événement, un phénomène] Produire, provoquer, avoir pour conséquence. Il y a des intérêts individuels qui entraînent des intérêts collectifs (Péladan, Vice supr.,1884, p. 180).La dernière guerre a entraîné des pillages (Hist. et ses méth.,1961, p. 1173): 9. ... une tactique est singulièrement dangereuse quand elle ne peut échouer une fois sans entraîner pour la classe ouvrière des désastres immenses.
Jaurès, Ét. socialistes,1901, p. 104. ♦ Entraîner à + subst.Quelle que soit la haute supériorité intrinsèque de cette méthode sociologique, elle peut, cependant, entraîner à de graves erreurs (Comte, Philos. pos.t. 4, 1839-42, p. 370). − DR. Avoir pour effet : 10. ... ces pièces, il faut le dire, ne sont pas faciles à se procurer, car le patriotisme les défend des deux parts, soutenus des lois draconiennes dont l'application entraîne un châtiment pire que la mort, l'éternel déshonneur.
Clemenceau, Vers la réparation,1899, p. 278. c) [Le suj. désigne une chose abstr.] Emporter, pousser quelqu'un vers quelqu'un ou vers quelque chose sous l'effet d'une influence irrésistible : 11. ... puis les voyages, puis l'ardeur de produire, m'entraînèrent et ne me permirent pas de songer à des années qui étaient déjà loin de moi.
Renan, Souvenirs d'enfance et de jeunesse,1883, p. 58. 12. ... pour le caractère, la première divination de l'orgueil de penser, et aussi un élément un peu morbide, cette difficulté d'agir qui a pour conséquence la difficulté de résister aux passions lorsqu'elles vous entraînent.
Bourget, Le Disciple,1889, p. 73. − Emploi abs. Elle avait tout, tout ce qui charme, tout ce qui entraîne, tout ce qui exalte (Valéry, Variété V,1944, p. 123). − Entraîner à + subst. ou + inf. : 13. J'ai peur que votre inexpérience ne vous entraîne parfois à des opinions imprudentes, et je vous demande seulement de professer en homme conscient et réfléchi...
Estaunié, L'Empreinte,1896, p. 199. 14. « Le Calife fait partie de ces braves gens que leur sensiblerie entraîne à penser beaucoup de sottises sur la guerre... à méconnaître absolument ce qu'elle est en réalité. »
Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 339. 2. [Le suj. désigne une pers.] Amener quelqu'un à agir, à faire quelque chose en exerçant sur lui une contrainte, une pression morale. Comment le supposez-vous en même temps assez amoureux de la guerre pour y entraîner ses chefs, qui ne la veulent pas? (Renan, Drames philos.,Prêtre Némi, 1885, III, 1, p. 569).Il sait comment on entraîne les peuples et comment on les fanatise (Coppée, Bonne souffr.,1898, p. 105): 15. Il n'y a qu'un mot à dire à ces impuissants de la liquidation : « ce qui est fait est fait », et les entraîner de force à de nouveaux destins.
Mounier, Traité du caractère,1946, p. 453. ♦ Emploi abs. Étienne lui-même, le meneur de la grève, est plus entraîné qu'il n'entraîne (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 273). ♦ Entraîner à + subst.Par crainte d'entraîner maman au divorce (Drieu La Roch., Rêve. bourg.,1939, p. 259). ♦ Se laisser entraîner à, dans + subst.Nous avons vu comment le crédule étranger s'est laissé entraîner à ce mariage clandestin, qui devait le perdre (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 197).Le petit s'était laissé entraîner par eux dans un facile cambriolage (Gide, Journal,1910, p. 323).Olivier se laisse facilement entraîner (Gide, Faux-monn.,1925, p. 1187). − Spéc. Susciter l'accord, l'assentiment de quelqu'un, persuader : 16. Naturellement, la ferme avait grand intérêt à cette voie nouvelle, et le maire, pour entraîner le conseil municipal, comptait beaucoup sur son adjoint, intéressé lui aussi à une prompte solution.
Zola, La Terre,1887, p. 62. 17. ... quelques hommes ont le pouvoir d'entraîner, de convaincre leurs semblables à l'aide de paroles banales, de les mener ainsi au combat, au sacrifice, à la mort.
Carrel, L'Homme, cet inconnu,1935, p. 316. ♦ Emploi abs. Je me sentais comme toi le désir d'être au centre, de parler, d'entraîner (Alain-Fournier, Corresp.[avec Rivière], 1907, p. 113). II.− [L'idée dominante est celle de formation progressive] A.− SP. [Le suj. désigne un animé] Préparer méthodiquement un sportif ou un animal à une épreuve, à une activité sportive ou à une compétition, en le soumettant à un régime spécial approprié et à des exercices progressifs et réguliers : 18. À l'extrémité de chacun des secteurs, on mettait une écrevisse affamée. Il était rigoureusement interdit à chacun des parieurs de pousser la sienne ou de la faire changer de chemin (...). Mais on avait le droit de la nourrir à part, de la soigner, de l'entraîner, de lui donner des excitants...
Mille, Barnavaux et quelques femmes,1908, p. 254. 19. ... avant la course on peut, on doit raisonner. On peut entraîner son cheval avec intelligence, on peut lui chercher le meilleur engagement. Dès que le départ est donné, on ne pense plus...
Maurois, Dialogues sur le commandement,1924, p. 94. ♦ Emploi abs. Personne n'entraînait comme lui [Lord David]. Le boxeur dont il consentait à être le « traîner » était sûr de vaincre (Hugo, Homme qui rit,t. 2, 1869, p. 6). ♦ Emploi pronom. réfl. : 20. Il y a partout des courts de tennis, des champs de golf, des patinoires de glace artificielle, des piscines chauffées, et des arènes où les athlètes s'entraînent et luttent à l'abri des intempéries.
Carrel, L'Homme, cet inconnu,1935, p. 15. − [L'obj. désigne un membre, un organe, etc.] :
21. Ni trop grand, ni petit, développé comme un athlète, mais sans rien d'exagéré dans les muscles, parce qu'il avait toujours eu le soin d'entraîner aussi bien son bras gauche que le droit, ...
Aragon, Les Beaux quartiers,1936, p. 40. B.− P. ext. [Le suj. désigne une pers.] Former, soumettre quelqu'un à une activité physique ou intellectuelle de manière à créer une aptitude ou une habitude. Le coût de la seule mobilité du travailleur s'élève dangereusement dans les établissements où il est entraîné au maniement ou au contrôle d'appareils complexes (Univ. écon. et soc.,1960, p. 4412): 22. ... quand il se mettait au piano, on croyait voir un comptable devant sa caisse; sous ses doigts, blanches, noires et croches s'additionnaient; il faisait la vérification du morceau. Assurément il aurait pu m'entraîner pour le mécanisme; mais il ne prenait aucun plaisir à enseigner.
Gide, Si le grain ne meurt,1924, p. 457. − Emploi pronom. réfl. : 23. Parmi les moniteurs des chantiers de jeunesse, qui comptaient nombre d'anciens militaires, beaucoup s'entraînaient et entraînaient les autres en vue de prendre les armes.
De Gaulle, Mémoires de guerre,1954, p. 229. 24. ... toute la journée je m'entraînais à réfléchir, à comprendre, à critiquer, je m'interrogeais; je cherchais avec précision la vérité...
Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 178. Rem. On rencontre ds la docum. le part. passé adj. entraîné. Qui est méthodiquement exercé, qui est bien préparé. Le plus grand empire, une armée nombreuse et entraînée, des généraux instruits par l'expérience de tant de campagnes reculaient devant quelques milliers d'hommes incultes, commandés par des chefs de hasard (Tharaud, Dingley, 1906, p. 14). Philippe, moins entraîné qu'elle, avait de la souplesse, de l'aisance (Maurois, Climats, 1928, p. 204). Prononc. et Orth. : [ɑ
̃tʀ
εne] ou p. harmonis. vocalique [ɑ
̃tʀene], (j')entraîne [ɑ
̃tʀ
εn]. Enq. : /ãtʀ
εn/ (il) entraîne. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. I. 1. [1160-74 en traiiner « traîner, emmener avec soi » (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, 3epart., 1566)]; 2. 1643 « amener quelqu'un à faire quelque chose » (La Rochefoucauld, Mémoires, éd. D. L. Gilbert et J. Gourdault, t. II, p. 88); 3. av. 1654 « avoir pour conséquence inévitable » (J. F. Sarasin ds Trév. 1704). II. 1. 1828 turf (Journal des haras, II, 71 ds Bonn.); 2. 1865 « faire l'apprentissage de quelque chose » (Taine, Philos. art, t. 2, p. 188). Dér. de traîner*; préf. en-*. II formé sous l'infl. de l'angl. to train (1542 au sens de « former, éduquer (quelqu'un) », 1609 au sens de « dresser (un animal) » NED) empr. au fr. traîner*. Fréq. abs. littér. : 6 881. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 11 112, b) 8 056; xxes. : a) 7 611, b) 10 886. DÉR. Entraînable, adj.Qui peut être entraîné facilement, influençable. L'homme est faible et bête, entraînable pour un rien, et lâche toutes les fois que ses sens sont excités ou domptés (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Sœurs R., 1884, p. 1274).Rem. S'emploie le plus souv. au fig.− [ɑ
̃tʀ
εnabl̥]. Ds Ac. 1932. − 1reattest. 1794 (Dubois-Crance, Conv. du 7 janvier ds Brunot, IX, p. 805); du rad. de entraîner, suff. -able*. − Fréq. abs. littér. : 2. BBG. − Darm. 1877, p. 261. |