| DESTINÉE, subst. fém. A.− Puissance (souvent personnifiée) qui selon certaines croyances, réglerait le déroulement inéluctable des événements et les lois régissant l'univers. Destinée cruelle, irrévocable. Synon. destin, fatalité.N'es-tu donc qu'un instrument aveugle de la destinée et ne comprends-tu ni les causes ni les fins de ton œuvre? (Sand, Lélia,1839, p. 430).Il n'était pas le premier des humains que la destinée eût voué au culte de l'impossible (Gobineau, Pléiades,1874, p. 258). ♦ Expr. C'est la destinée. Incorrigible, toi. Mais c'est la destinée. Voilà pourquoi son cœur triste t'a pardonnée (Verlaine,
Œuvres compl.,t. 3, Élégies, 1893, p. 54). Rem. S'emploie fréquemment au plur. et avec une majuscule, dans ce sens, en prenant une valeur allégorique. C'est (...) dans la figuration des lignes du cerveau, que la main toute puissante de la Destinée a écrit les présages (Dumas père, Reine Margot, 1847, III, 1, p. 105). Déesses vénérées (...) terribles ou douces, elles étaient encore les Fatales, elles étaient toujours les destinées (France, J. d'Arc, t. 1, 1908, p. 13) : 1. Depuis le premier jour de la création,
Les pieds lourds et puissants de chaque destinée
(...)
Ces froides déités liaient le joug de plomb
Sur le crâne et les yeux des hommes leurs esclaves...
Vigny, Les Destinées,1863, p. 12. B.− Sort spécial réservé à quelqu'un ou quelque chose et prédéterminé par sa nature propre ou les événements extérieurs, généralement en dehors de toute volonté humaine. Synon. avenir, destination, fortune, mission, sort, vocation. 1. [À propos d'un être humain] L'interminable histoire d'une destinée de femme et de toutes les autres destinées qu'elle entraîne dans son orbite (Du Bos, Journal,1927, p. 284): 2. Nous ne disposons ni de notre naissance, ni de notre mort, et plus des trois quarts de notre destinée sont décidés par ces deux événements. Nul ne peut changer les données primitives de sa naissance, de son pays, de son siècle, etc. Nul ne peut acquérir la figure ou le génie qu'il n'a pas reçus de la nature; et de combien d'autres circonstances impérieuses encore la vie n'est-elle pas composée?
Staël, De l'Allemagne,t. 5, 1810, p. 99. 3. ... dans la destinée de chaque homme, le bien et le mal se compensent : (...) « le ciel en nous formant mélangea notre vie de désirs, de dégoûts, de raison, de folie, de moments de plaisir, et de jours de tourments. De notre être imparfait voilà les éléments. (...) »
P. Leroux, De l'Humanité,t. 1, 1840, p. 28. ♦ Expr. Astre, étoile de la destinée. Astre, étoile qui est censé(e) influencer la destinée de tel individu. C'était apparemment les jours nécessaires pour changer le sort d'un homme pareil. Pendant ce temps-là l'astre de sa destinée s'inclinait (Chateaubr., Mém.,t. 2, 1848, p. 445). − [P. allus. myth.] a) [Aux Parques qui filaient les destinées] Longue quenouille chargée de laine, telle que les poètes en imaginaient entre les mains de la Parque qui filait nos destinées (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 101). b) [Au livre sur lequel est inscrite la destinée de chaque être humain] Ta destinée au ciel même est écrite (Leconte de L'Isle, Poèmes barb.,1878, p. 140).Si les pages de ma destinée se fussent trouvées entre mes mains pour être déroulées ou fermées à jamais, avec quelle indifférence j'eusse abandonné la vaine succession de ces heures si longues et si fugitives, que tant d'amertumes flétrissent (Senancour, Obermann,t. 1, 1840, p. 4). − En partic. Aboutissement, issue fatale. Quant à Pichegru, il fut victime de la plus infâme trahison (...). Sentant approcher sa destinée (...) la nuit venue, l'infidèle ami conduisit les agents de police à la porte de Pichegru (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 1, 1823, p. 661). Rem. L'emploi de destin dans ce sens est plus fréq., destinée exprimant davantage une idée de durée, de prolongation dans le temps. 2. [À propos d'une collectivité humaine] Un homme qui règle la destinée publique, qui médite et fait de grandes choses, peut ne tenir à aucun individu en particulier; les peuples sont ses amis (Senancour, Obermann,t. 1, 1840p. 185): 4. Le retard d'un courrier a rendu l'Angleterre protestante, et changé la face politique de l'Europe. Les destinées du monde ne tiennent pas à des causes plus puissantes...
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 3, 1848, p. 498. 3. [À propos d'une œuvre humaine] Cette lettre qui a eu une destinée si illustre (Tocqueville, Corresp.[avec H. Reeve], 1856, p. 206).[L'école hollandaise] À prendre l'histoire à ce moment [au début du dix-septième siècle], on sait à quoi s'en tenir sur les visées, le caractère et la destinée future de l'école (Fromentin, Maîtres autrefois,1876, p. 161). SYNT. a) Destinée + adj. : destinée accomplie, commune, éternelle, fatale, humaine, individuelle, lamentable, particulière, personnelle, singulière, spirituelle. b) Adj. + destinée : étrange, propre, triste destinée. c) Destinée(s) + de + subst. : destinée d(e) (l') homme, l'humanité, la patrie, du pays, du/des peuple(s). d) Subst. + de (la) destinée : accomplissement, bizarrerie(s), chances, hasards, problème, secret de la destinée. e) Verbe + la/les/sa destinée : accepter, accomplir, fixer, fuir, remplir la/sa destinée. f) Verbe + prép. + destinée : présider aux destinée(s), lutter contre sa destinée. C.− Par affaiblissement. Existence d'un être humain, pouvant être modifiée par sa propre volonté. Influence sur sa destinée; conduire, lier les destinées; décider de, manquer sa destinée. Je devais séparer ma destinée de la sienne (Sand, Hist. vie,t. 4, 1855, p. 379): 5. ... j'osai faire à Jenny le libre aveu de mes sentiments, et lui proposer d'unir nos destinées dès que nous serions rendus à une situation plus fixe et moins précaire (...). Elle me dit avec simplicité : « Je serai votre femme, Monsieur Henri ».
Toepffer, Nouvelles genevoises,1839, p. 436. − En partic. Situation à venir, considérée principalement du point de vue de la réussite. Belle, brillante, magnifique, grande destinée; destinée manquée. Il le regardoit même avec un mélange de respect et d'admiration, comme un confesseur appelé par le ciel aux plus hautes destinées (Chateaubr., Martyrs,t. 2, 1810, p. 138).Je m'imagine que je joue un peu ma destinée (Rivière, Corresp.[avec Alain-Fournier], 1906, p. 155). Rem. 1. Destin impliquerait essentiellement une idée de cause, dont les effets constitueraient la destinée. L'usage a quasiment confondu les 2 mots et en a fait plus ou moins des synon. 2. De façon inattendue, on remarque une certaine fréq. du plur. dans les catégories B et C. Le plur. insiste sans doute sur les particularités du sort de chaque individu. Prononc. et Orth. : [dεstine]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1130 « sort » (Le Couronnement de Louis, éd. E. Langlois, 1087); 2. 1640 « vie, existence » (Corneille, Horace, V, 1). Part. passé fém. subst. de destiner*. Fréq. abs. littér. : 4 401. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 9 822, b) 5 429; xxes. : a) 4 749, b) 4 569. Bbg. Perkins (M.L.). Destiny, sentiment and time in the Confessions of J.-J. Rousseau. Studies on Voltaire. 1969, t. 67. |