| DEÇÀ, adv. I.− Vx. [Employé seul, p. oppos. à delà] De ce côté-ci (par rapport à un lieu, un point de repère exprimé). − [Précédé d'une prép.] Par deçà (inusité). De deçà. Excellents ministres des hautes puissances étrangères, ne vous fiez pas trop à vos amis de deçà (Courier, Pamphlets pol.,Lettres au rédacteur du « Censeur », 1819-20, p. 42).Il [Montaigne] nous parle des montagnes de deçà, ce qui veut dire, selon M. Villey, les Pyrénées françaises (Malègue, Augustin,t. 2, 1933, p. 85). II.− Mod. [En corrélation avec delà] A.− [Les 2 adv. sont disjoints] Deçà..., delà... D'un côté, d'un autre. − Loc. Jambe deçà, jambe delà. À califourchon. Elle était bâtie comme un garçon, montait à cheval jambe deçà, jambe delà, galopant comme un démon (Sand, Hist. vie,t. 2, 1855, p. 302). B.− [Les 2 adv. forment une loc. adv.] 1. Deçà, delà, loc. adv. a) D'un côté et de l'autre. Je ne suis point bousculé, je suis bercé et je pense que, à force de me balancer deçà, delà, ces gens vont m'endormir debout (A. France, Bonnard,1881, p. 302). b) De côté et d'autre, dans diverses directions, sans ordre, sans but. Aller, marcher, se promener deçà, delà. Synon. çà et là.Nous errons deçà, delà, dans les bois, les allées de marronniers superbes (E. de Guérin, Journal,1838, p. 237): 1. Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.
Verlaine, Poèmes saturniens,Chanson d'automne, 1866, p. 73. 2. Deçà delà, loc. adv. Ici et là, de tous côtés (idée d'éparpillement, de dispersion). Synon. çà et là : 2. Le 28. − Encore une mort, encore un disparu de cette association d'amis qui se rattachait à Maurice : pauvres jeunes gens tous pleins de joie et d'avenir, tous réunis naguère à Paris, et maintenant deçà delà dans des tombes! ...
E. de Guérin, Journal,1840, p. 379. − [Temps] De temps à autre. Les petits cris, pointus comme vrille, retentissaient deçà delà (Genevoix, Raboliot,1925, p. 79). Rem. ,,Cette locution semble vieillie à côté de de-ci de-là``. (Dupré 1972). 3. Deçà et delà, loc. adv. De côté et d'autre, de tous côtés, en tous sens. J'errai quelque temps par la ville, marchant deçà et delà comme un fou (Mérimée, Carmen,1847, p. 47). Rem. Les 3 loc. sont (quasi-)synon. III.− Loc. adv. et prép. A.− Au(-)deçà de (vx), loc. prép. De ce côté-ci de. Anton. au(-)delà de.Ce qui est vérité au deçà des Pyrénées est parfaitement bien erreur au delà (Benda, Trahis. clercs,1927, p. 121). B.− En deçà 1. En deçà, loc. adv. a) [Lieu] En arrière, de ce côté-ci (par rapport à un point de repère exprimé que l'on n'atteint pas). À peine fut-il arrivé à Bushyrun, quelques milles en-deçà (Crèvecœur, Voyage,t. 3, 1801, p. 82). b) [Temps] L'imagination de l'homme est ainsi faite : elle trouve des jouissances au-delà du présent ou en deçà (Sand, Lélia,1833, p. 43): 3. Ce n'est pas une petite affaire que de comparer à la fois l'homme, la place et le siècle, et quoique ce siècle fût encore fort reculé, il faut connaître tout ce qui est au delà pour bien marquer la place de ce qui est en deçà.
Staël, Lettres de jeunesse,1784, p. 29. − En partic., vx. [Après une indication de durée] Il y a, depuis. Synon. en çà, cf. çà1A 2.Une fois arrivé là, Gambèr-Aly se voyait aussi en sûreté qu'il l'avait été quelque dix-huit ans en deçà (Gobineau, Nouv. asiat.,Histoire de Gambèr-Aly, 1876, p. 166).Une seconde en deçà, la gouvernante n'avait-elle pas prié qu'on la laissât tranquille (Boylesve, Leçon d'amour,1902, p. 114). c) Au fig. : 4. Pauline nous est bien connue; nous l'avons rencontrée à des tournants de notre vie. À l'extrême bord de la religion, un peu en deçà, sur le point d'y pénétrer, j'ai toujours découvert les plus grandes âmes féminines. Déjà tout à Dieu, elles gardent encore l'allure libre du siècle et des vertus proprement humaines.
Mauriac, Journal 3,1940, p. 253. − Emploi subst. masc. La litote qui, chez lui [Pater], se manifeste moins par un en-deçà de l'expression que par le tour irrésistiblement indirect qu'il se plaît à lui donner (Du Bos, Journal,1922, p. 179).Le bonheur de l'au-delà, dès l'en deçà (Malègue, Augustin,t. 2, 1933, p. 81).Cf. aussi après, ex. 49. 2. En deçà de, loc. prép. a) [Lieu] De ce côté-ci de, en arrière de, avant (par rapport à un point de repère que l'on a devant soi). Il l'a rencontré bien en deçà de Lyon (Cottin, C. d'Albe,1799, p. 94).L'Indoustan, la presqu'île en deçà et au-delà du Cange (Chateaubr., Génie,t. 2, 1803, p. 406). − P. métaph. En deçà de la tombe. Avant la mort, dans la vie d'ici-bas. Je ne veux de rivale ni au-delà ni en deçà de la tombe (Balzac, Lys,1836, p. 332). − Loc. proverbiale [P. allus. littér. (à Pascal, Pensées, 1670, V, 294)] Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà [Pour illustrer la relativité d'une justice, d'un jugement, d'une réalité] − [Emploi ell. du proverbe] :
5. Mensonges, erreurs, en deçà de la réalité profonde que nous n'apercevions pas, vérité au delà, vérité de nos caractères dont les lois essentielles nous échappaient et demandent le Temps pour se révéler, vérité de nos destins aussi.
Proust, La Fugitive,1922, p. 507. b) [Temps] Avant, sans arriver jusqu'à. Événements (...) qui s'étendent, historiquement, en deçà et au delà de cette période (Chateaubr., Natchez,1826, p. 105). c) Au fig. Au-dessous de, sans aller jusqu'à. Les prévisions les plus optimistes restent bien en deçà des chiffres d'hommes que peuvent aligner l'Inde, la Chine ou l'Europe (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum.,1921, p. 54).Le rêve est en deçà de la volonté, et tu n'obtiens rien par volonté dès le seuil du sommeil (Valéry, Variété II,1929, p. 241): 6. Jane Austen reste toujours un peu en deçà de ce qu'elle veut dire, avec une réserve exquise qui n'est qu'à elle, mais son trait n'en est pas moins d'une netteté admirable.
Green, Journal,1932, p. 120. − Loc. verb. Être en deçà de la vérité. Ne pas exagérer, ne pas forcer la réalité. Je croirais être fort en deçà de la vérité en disant qu'il a centuplé (Say, Écon. pol.,1832, p. 328). Prononc. et Orth. : [ḓ(ə)sa]. [ə] muet entre parenthèses ds Warn. 1968. Le reste des dict. comme Passy 1914, Barbeau-Rodhe 1930, Dub., Pt Rob. et Lar. Lang. fr. le transcrivent. Ds Ac. 1694 puis 1835-1932 sous la forme mod.; ds les éd. de 1718 et 1740 en 2 mots sans trait d'union (de çà), ds les éd. de 1762 et 1798 en 2 mots avec trait d'union (de-çà). Pour la graph. avec trait d'union ds la docum. : jambe de-çà, jambe de-là (Arène, J. des Figues, 1870, p. 12). Dans au deça, de deça, en deça, par deça, Ac. 1694-1762 et 1835-1932 ne met pas de trait d'union. Mais Ac. 1798 écrit de-deça, en-de-ça ou en de-ça, par-deça. Étymol. et Hist. A. Ca 1130 adv. de ça (Le Couronnement de Louis, éd. E. Langlois, 2585); 1170 loc. adv. janbe deça, janbe dela (Béroul, Le Roman de Tristan, éd. E. Muret, 3940); 1262 loc. adv. deça et dela (J. Le Marchant, Mir. N. D. de Chartres, 108 ds T.-L.); 1580 loc. adv. [centrées] de deça (Montaigne, Essais, éd. A. Thibaudet, II, XVII, p. 721). B. 1170 prép. deça [mer] (Béroul, op. cit., 2630); 1580 loc. prép. au deçà [des accidents] (Montaigne, op. cit., I, LIV, p. 349). Dér. de de* et ça*. Fréq. abs. littér. : 467. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 463, b) 317; xxes. : a) 247, b) 1 272. |