| DÉGAGER, verbe trans. I.− [Le suj. désigne gén. un animé] A.− Vieilli. Retirer ce qu'on a laissé en gage : 1. ... en revenant de chez son banquier avec cinq cents francs, il [Barral] allait dégager sa montre qui était en gage et jouer les quatre cents francs qui lui restaient.
Stendhal, Souvenirs d'égotisme,1832, p. 62. − P. ext. Retirer d'une douane, d'une consigne, en payant certain droit. Dégager de la consigne où elle reste « en souffrance », certaine machine à coudre (Gide, Retour Tchad,1928, p. 986). − Loc. fig. ♦ Dégager sa parole, sa promesse. Retirer sa parole, sa promesse, lorsqu'elle a été donnée à la légère ou sous des conditions qui n'ont pas été remplies. Vieilli. Se libérer d'un engagement en honorant sa parole, sa promesse; y satisfaire. Dégagez donc votre parole, (...) justifiez-vous sans délai aux yeux de la nation (Marat, Pamphlets,Dénonc. Necker, 1790, p. 116). ♦ Dégager sa (ou toute) responsabilité. Refuser d'endosser la responsabilité d'un acte ou d'une situation pour le cas où cette responsabilité risquerait d'être imputée au sujet. Le paysan dégage toute responsabilité en face du désastre (Malègue, Augustin,t. 2, 1933, p. 268). B.− 1. Usuel. Libérer quelque chose ou quelqu'un de la situation dans laquelle il est engagé et qui le gêne, le retient ou l'encombre. Dégager le navire échoué à mer basse (Verne, Enf. cap. Grant,t. 3, 1868, p. 49). − [L'obj. désigne un lieu] Rendre ou laisser libre (un lieu), débarrasser (un passage) de ce qui en gênerait l'accès. Il s'était avancé si terrible, que Lise dégagea la porte (Zola, Terre,1887, p. 478). Rem. En emploi abs. et à l'impér., le verbe est fréq. en lang. pop. Dégagez, vous autres! Ben quoi, dégagez, que j'vous dis! (...) Allons, oust, la fuite! J'veux plus vous voir dans le passage, hé! (Barbusse, Feu, 1916, p. 49). − Emploi pronom. : 2. ... il [Otto] se jeta si violemment sur Giulia, qu'il la fit trébucher, et roula par terre, avec sa maîtresse. Elle tâchait de se dégager, d'écarter les doigts crispés de haine, dont il lui étreignait le cou.
Bourges, Le Crépuscule des dieux,1884, p. 280. SYNT. Dégager sa main, sa tête; se dégager d'une emprise, d'une étreinte, des liens; se dégager d'un geste (+ adj.), par un mouvement (+ adj.), d'une secousse; se dégager et s'enfuir; se dégager brusquement, brutalement, complètement, doucement, facilement, lentement; chercher à, parvenir à, réussir à se dégager; effort, mouvement pour se dégager. 2. En partic. a) FIN. Dégager un capital, un crédit. Le rendre disponible pour l'investir dans une opération donnée. − Emploi pronom. à sens passif. Le capitaliste dont les capitaux ne peuvent se dégager promptement (Say, Écon. pol.,1832, p. 528). b) MÉD. Débarrasser un organe ou une partie du corps de ce qui l'encombre. Je saigne du nez comme un bœuf. Cela me dégage la tête (Hugo, Corresp.,1866, p. 543). − Emploi abs. Soudain sa toux la secouait et elle crachait (...) « Ça dégage, » répondait Louise (Dabit, Hôtel Nord,1929, p. 189). − Emploi pronom. à sens passif. La tête, la poitrine se dégage. Déjà les bronches se dégageaient, la respiration devenait plus aisée (Martin du G., Thib.,Épil., 1940, p. 783). c) SP. (jeux de ballon). Lancer la balle loin de son camp pour le libérer d'un danger menaçant. Dégager (la balle). Dégager au bon endroit pour lancer immédiatement la contre-attaque (Peiny, Perrier, Basket-ball,p. 7 ds Grubb, Fr. sp. néol, 1937, p. 32). d) VÊT. Découvrir une partie du corps pour la rendre plus mobile, plus libre. Une robe légère qui dégageait les bras et le cou (Benjamin, Gaspard,1915, p. 49).Donner de l'aisance, mettre en valeur une partie du corps. Un boléro très court sous les aisselles, qui dégageait une taille rebondie (Mauriac, Myst. Frontenac,1933, p. 68). e) MÉTÉOR., emploi pronom. [Le suj. désigne le ciel, le temps ou un élément du paysage] S'éclaircir, se débarrasser des brumes ou des nuages. Comme l'aube qui se dégage Des derniers voiles du matin (Lamart.Médit.,1820, p. 114): 3. ... le soleil se levait, les vapeurs de la Meuse s'envolèrent en lambeaux de fine mousseline, le ciel bleu apparut, se dégagea, d'une limpidité sans tache. C'était l'exquise matinée d'une admirable journée d'été.
Zola, La Débâcle,1892, p. 208. f) Région. (Centre et Suisse romande), emploi pronom. Se hâter. Je recommençai de m'ennuyer et Brulitte pareillement, malgré qu'elle se dégageât beaucoup pour achever sa broderie (Maître sonneurs et La Petite Fadette). (Vincent, Lang. et style rust. Sand,1916, p. 203). 3. Emplois spéc. a) ART MILIT. − Vieilli. [L'obj. désigne un soldat] Donner son congé. Synon. licencier.Il [Napoléon] n'oubliait pas qu'il avait dégagé chacun à Fontainebleau (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 2, 1823, p. 365). − [L'obj. désigne une pers., une troupe, un pays] Tirer d'une position critique. Dégager une région. Former une armée, dégager Mantoue, délivrer Wurmser (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 1, 1823, p. 541). b) CONSTR., vieilli. Dégager un appartement. ,,Y pratiquer un ou plusieurs dégagements`` (Ac. 1798-1878). c) DANSE. Libérer une jambe pour exécuter un mouvement, en déplaçant éventuellement sur l'autre jambe le poids du corps. Le danseur [dans Le Lac des Cygnes] enlève dans les airs la princesse-cygne qui « dégage » amplement en imprimant à la rotule le mouvement giratoire du rond-de-jambe (Levinson, Visages danse,1933, p. 58). d) ESCR. Détacher son arme de celle de l'adversaire. Dégager (le fer). Au moment où M. de Tourelle cherchait à dégager en tierce, il reçut un coup de fleuret (Balzac,
Œuvres div.,t. 2, 1850, p. 242). e) SYLVIC. Nettoyer un semis en supprimant toute la végétation qui gêne la croissance des plants que l'on veut retenir. Surfaces ensemencées à dégager (Cochet, Bois,1963, p. 94). 4. Emplois fig. a) Délivrer quelqu'un d'une contrainte morale, le soustraire à une obligation. Dégager qqn de sa parole, d'un serment, d'un vœu. Il [Clisson] avait fait vœu de ne plus lever ni tailles ni subsides; le pape l'en dégagea (Flaub., Champs et grèves,1848, p. 211). − Emploi pronom. : 4. ... il eût été moins difficile à Laocoon de se débarrasser des étreintes de ses deux serpents qu'à M. Levrault de se dégager, au bout de six semaines, des liens dont la marquise avait su l'enlacer.
Sandeau, Sacs et parchemins,1851, p. 32. ♦ Absol. Rompre un engagement : 5. Je crains seulement que tu ne t'exagères la gravité et la solennité des engagements qui t'enchaînent. Raoul et toi, vous êtes fiancés, rien de plus; or, comme on dit dans le pays, fiançailles et mariage font deux. Tant que le sacrement n'a point passé par là, on peut toujours, d'un mutuel accord, se dégager sans faillir à Dieu ni forfaire à l'honneur.
Sandeau, Mllede La Seiglière,1848, p. 270. b) Emploi pronom. Quitter un état d'enfance ou de tutelle, atteindre son épanouissement physique ou intellectuel : 6. Il y a alors, chez toute adolescente, une délicatesse de bouton naissant, une hésitation de formes d'un charme exquis; les lignes pleines et voluptueuses de la puberté s'indiquent dans les innocentes maigreurs de l'enfance; la femme se dégage avec ses premiers embarras pudiques, gardant encore à demi son corps de petite fille, et mettant, à son insu, dans chacun de ses traits, l'aveu de son sexe.
Zola, La Fortune des Rougon,1871, p. 15. C.− Mettre en valeur une chose en la tirant d'un ensemble qui la valorisait mal. Synon. manifester : 7. ... tandis que les activités latentes en la matière brute attendent l'occasion qui les dégage ou l'objet qui les manifeste, comme la fumée dans un rayon de soleil, la plante et la bête sont toujours en acte; elles se fabriquent de l'aliment qu'elles se procurent l'existence : leur vie n'est qu'une adhésion à la source d'où ils la tirent.
Claudel, Art poétique,1907, p. 158. − Emploi pronom. Se dégager progressivement. Cette vérité simple, qui se dégage des choses solides, éternelles (Martin du G., Thib.,Été 1914, 1936, p. 275).L'orientation qui se dégage du parlement (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 652): 8. J'évite la doctrine et sans doute verrez-vous mal ce qui se dégage de mes paroles, puisque je souhaite ne pas le dégager moi-même et que si quelque chose s'en dégage, il se dégage tout seul.
Cocteau, Lettre aux Américains,1949, p. 93. − MATH. Dégager une inconnue. Déterminer en la mettant en relief la quantité inconnue dans une équation algébrique. ♦ Au fig. Son inconnue se dégageait enfin. Il résolvait son problème (Hugo, Travaill. mer,1866, p. 211). SYNT. Dégager l'esprit, les lois, la notion, les principes, la signification, le sens, les traits, la vérité; dégager des éléments, un principe, des types; dégager de sa gangue, du chaos; chercher à, s'efforcer de, essayer de, permettre de, pouvoir, savoir dégager; la conclusion, la leçon se dégage. II.− [Le suj. désigne gén. un inanimé] A.− [Inanimé concr.] Produire une émanation. Dégager de la chaleur, une odeur, un parfum. Synon. littér. exhaler, répandre.Le fumier dégageait sans cesse une petite vapeur miroitante (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Hist. d'une fille de ferme, 1881, p. 24). − Emploi pronom. Synon. littér. émaner.Des aromes enivrants se dégageaient des fleurs et des plantes (Gautier, Rom. momie,1858, p. 251). − CHIM. Libérer une substance. Dégager de l'ammoniaque, du chlore : 9. ... il [l'acide sulfurique] ne doit pas, s'il est bien préparé, dégager des vapeurs nitreuses. À la chaleur rouge, il doit développer du gaz oxygène, ...
Kapeler, Caventou, Manuel des pharmaciens et des droguistes,t. 2, 1821, p. 581. ♦ Emploi pronom. impers. Il se dégage du chlore et du gaz nitreux (Gay-Lussac, Annales de chim. et de phys.,t. 1, 1816, p. 41). B.− [Inanimé abstr.] Emplois fig. et métaph. Tout grand mouvement populaire (...) dégage toujours de son dernier précipité l'esprit de liberté (Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 213).Certaines matinées d'hiver où les pierres partiellement ensoleillées semblent être du granit rose et dégagent de la joie (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 931). − Emploi pronom. Le bonheur (...) se dégage et s'envole Comme un parfum léger (Bouilhet, Melaenis,1857, p. 132). Rem. L'emploi abs. pop. de dégager « faire la fête », quasi-synon. fam. arroser, n'est attesté ni ds les dict. gén. ni ds la docum. Cf. rem. sous dégagement. Prononc. et Orth. : [degaʒe], (je) dégage [dega:ʒ]. Ds Ac. 1694-1932. Conjug. Prend un e devant a et o : nous dégageons, je dégageai(s). Étymol. et Hist. 1. 1174-76 desguagier « retirer ce qui était en gage » (G. de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, éd. E. Walberg, 4455); 2. 1180-1220 fig. « donner congé, libérer » (Conon de Béthune, Chans., éd. A. Wallensköld, VI, 31); 1595 (Montaigne, Essais, éd. A. Thibaudet, livre 3, chap. 2, p. 911); 3. a) 2emoitié xiiies. desgagier « dépouiller; débarrasser de ce qui couvre » (Du prestre et des II ribaus ds Mongaiglon et Raynaud, Rec., t. 3, p. 59); b) 1670 méd. se dégager (Mol., Pourc., I, 6); 1694 dégager (Ac.); c) 1718 « donner de l'aisance (en parlant d'un vêtement) » (Ac.); d) 1669 adj. dégagé « qui a de l'aisance » (Mol., Av. II, 5); 1694 (Ac. : taille dégagée, air dégagé, pour dire, Taille aisée, air aisé); 4. 1585 degager « tirer d'une position embarrassante » (N. du Fail, Contes et discours d'Eutrapel, éd. J. Assézat, t. 2, p. 113 : ... ses gens, ... qui le degagerent et osterent de leurs mains); 5. 1821 chim. dégager, supra ex. 9; 6. 1835 math. dégager l'inconnue (Ac.); 1866 fig. (Hugo, supra). Dér. de gage*; préf. dé-*; dés. -er. Fréq. abs. littér. Dégager : 2 769. Dégageant : 210. Fréq. rel. littér. Dégager : xixes. : a) 1 634, b) 3 318; xxes. : a) 5 258, b) 5 441. Dégageant : xixes. : a) 169, b) 357; xxes. : a) 438, b) 293. Bbg. Gohin 1903, p. 343. − Termes techn. fr. Paris, 1972, p. 13. |