| CYGNE, subst. masc. A.− 1. Oiseau palmipède aquatique de grande taille, caractérisé par un plumage brillant, généralement blanc et par un cou long et flexible. Le cygne (...) immangeable, ménagé de l'homme pour sa beauté, sa grâce, le cygne, si commun jadis en Italie (Michelet, Oiseau,1856, p. 61): 1. Le cygne chasse l'onde avec ses larges palmes,
Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil
À des neiges d'avril qui croulent au soleil;
Mais, ferme et d'un blanc mat, vibrant sous le zéphire,
Sa grande aile l'entraîne ainsi qu'un lent navire.
Sully Prudhomme, Les Solitudes,Le Cygne, 1869, p. 17. SYNT. a) Cygne + adj. : cygne blanc, chanteur, muet, nain, noir, sauvage, tuberculé. b) Adj. + cygne : beau, grand cygne. c) Cygne + subst. : cygne trompette, cygne à bec noir, rouge, à cou noir, . Expr. Duvet de cygne ou p. ell. cygne. Petites plumes du ventre du cygne, utilisées pour bourrer des coussins, des édredons, etc. Duvet de cygne, peau de cygne ou p. ell cygne. Peau tannée du cygne, garnie de son duvet, utilisée comme fourrure pour garnir les vêtements de luxe. Deux casaques, l'une de peau de cygne, l'autre de peau de veau marin (Chateaubr., Natchez, 1826, p. 418). Pantoufles de velours fourrées de cygne (Balzac, Peau chagr., 1831, p. 161). Plume(s) de cygne ou p. ell. cygne. Plumes des ailes et de la queue du cygne, employées pour la confection de pinceaux. Boîtes à poudre avec leurs gros pinceaux de cygne (Erckm.-Chatr., Ami Fritz, 1864, p. 163). 2. MYTHOLOGIE a) [P. allus. aux cygnes, compagnons inséparables d'Apollon] Je ne vis nager aucun cygne sur l'Eurotas (Barrès, Voy. Sparte,1906, p. 187). b) [P. allus. à Jupiter qui se transforma en cygne pour séduire Léda] Je suis jaloux de tout... j'ai peur que ce taureau ne soit Jupiter...; ce cygne...; ce bélier (Chénier, Bucoliques,1794, p. 148). c) [P. allus. à Lohengrin, le chevalier au cygne, voyageant dans une nacelle conduite par un cygne] Lohengrin descendant d'une nacelle conduite par un cygne (Proust, Guermantes 1,1920, p. 234). 3. [Le cygne comme symbole d'éclat et de pureté, p. réf. à sa robe immaculée et brillante] Toutes les blancheurs sont des strophes d'amour; Le cygne dit : Lumière! Et le lys dit : Clémence! (Hugo, Contempl., t. 1, 1856, p. 29). Rem. [P. oppos., le cygne noir devient symbole de tristesse, de mort] Alternant pour le poète gai, le poète mélancolique, des plumes de cygne blanc, des plumes de cygne noir (Giraudoux, Simon, 1926, p. 45). − [Le cygne dans ses représentations figuratives] ♦ HÉRALD. Comme le fit Racine Formant son écu d'un cygne (Verlaine,
Œuvres compl.,t. 3, Épigrammes, 1894, p. 224). ♦ Domaine des arts décoratifs (principalement sous l'Empire).Pour éclairer et orner la table de Napoléon, Biennais fournit entre 1806 et 1812 douze « girandoles » de vermeil, à décor de cornes d'abondance et de cygnes (Grandjean, Orfèvr. XIXes.,1962, p. 55). − Expr. Bec de cygne; cou/col de cygne; tête de cygne. Ces pliants à cols de cygnes bleus dont le bec jaune mord les bâtons du siège (Gautier, Rom. momie,1858, p. 200).Je ne connais rien de plus pompier, de plus bourgeois que cet horrible style, avec ces commodes qui ont des têtes de cygnes comme des baignoires (Proust, Swann,1913, p. 338). B.− [P. anal] 1. [de forme] a) [P. réf. aux formes aérodynamiques du cygne] Léonard de Vinci (...) inventa l'homme volant (...) monté sur son grand cygne (Valéry, Variété III,1936, p. 217). b) [P. réf. au cou long et flexible de l'oiseau] − [En parlant d'une pers., notamment d'une femme] Edith au cou de cygne (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 152). ♦ P. ext. [À propos d'un mouvement sinueux semblable à celui du cygne plongeant la tête dans l'eau] La poignée de main plongeuse, en cou de cygne, de Barrès (Renard, Journal,1891, p. 103). − [En parlant d'animaux] Des chevaux de très-haute taille (...) des encolures de cygne (Lamart., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 222). − [En parlant de choses concr.] ♦ CHIR. Bec de cygne. Pince en forme de bec. Noms vulgaires des instruments de chirurgie : « bec de cygne, bec de cane, bec de grue » (Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899, p. 37). ♦ TECHNOLOGIE Col de cygne (vx). Partie de l'avant-train d'une voiture à quatre roues, qui est courbée afin de laisser passer les roues de devant quand le véhicule tourne. Rem. Attesté ds Ac. 1835-78, Lar. 19e-Lar. encyclop., Littré, Guérin 1892, Quillet 1965. Bec/col de cygne. Tube, robinet évoquant le bec, le col d'un cygne. [Les] vapeurs [d'alcool] gagnent... par un col de cygne le serpentin du chauffe-vin (Ser, Phys. industr., t. 2, 1890, p. 335).2. [de couleur] a) [P. réf. à la blancheur du cygne, en parlant de l'aspect extérieur d'une pers., notamment épiderme, barbe ou cheveux] Blanc comme un cygne. D'un blanc pur. Beau vieillard blanc comme un cygne (Chateaubr., Mém.,t. 3, 1848, p. 65). b) Littér. et poét. − [P. réf. à la blancheur du cygne, symbole de pureté, d'innocence, de virginité] :
2. Ce couple, sieur et dame Clubin, avait réalisé dans Torteval l'idéal de l'épithète anglaise, « respectable ». Dame Clubin était le cygne; sieur Clubin était l'hermine. Il fût mort d'une tache.
Hugo, Les Travailleurs de la mer,1866, p. 137. ♦ Candeur de cygne : 3. Avec cela le charme insigne
D'un frais sourire triomphant
Éclos dans des candeurs de cygne
Et des rougeurs de femme-enfant; ...
Verlaine,
Œuvres complètes,t. 1, La Bonne chanson, 1870, p. 130. − [P. réf. à la blancheur du cygne, symbole de l'amour, de l'âme, de l'ange] N'est-ce pas une forme angélique Qui flotte mollement sous ce rideau léger? S'il est vrai que l'amour, ce cygne passager, N'ait besoin, pour dorer son chant mélancolique, Que des contours divins de la réalité (Musset, Rolla,1833, p. 29). − [P. réf. à la couleur noire de certains cygnes, symbole de tristesse, de mort et p. oppos. au cygne blanc] Les cygnes noirs du désespoir, durs et sauvages (Rodenbach, Règne silence,1891, p. 208). 3. [de comportement ou p. métaph.] a) [P. réf. à la lenteur, la délicatesse des mouvements du cygne] Elle tourna la tête sur son épaule avec la lenteur délicate du cygne (Hugo, Misér.,t. 2, 1862, p. 111). b) [P. réf. à la puissance de ses ailes et à la force de l'oiseau dans le combat] L'embrassement de la bien-aimée, pareil à un combat contre un cygne! (Claudel, Ville,1901, p. 475). c) [P. réf. à la hauteur de son vol] :
4. Il s'échappa, laissant David en proie à l'une de ces émotions que l'on ne sent aussi complètement qu'à cet âge, surtout dans la situation où se trouvaient ces deux jeunes cygnes auxquels la vie de province n'avait pas encore coupé les ailes.
Balzac, Les Illusions perdues,1843, p. 35. − Expr. Faire un cygne d'un oison. Louer une personne qui ne le mérite pas. Bête comme un cygne. Une vierge aux yeux bleus, blanche comme les lys, taillée comme une statue antique, et bête comme un cygne (Sand, Jeanne,1844, p. 87). − En partic. Élévation spirituelle : 5. Le cygne du christianisme planait au ciel et descendait et remontait de la terre au ciel. Il a coupé ses ailes et le beau cygne ne fait plus que marcher et nager sur la terre et l'eau d'une planète à demi « submergée ».
Vigny, Le Journal d'un poète,1853, p. 1309. d) [P. réf. au chant du cygne (notamment à la tristesse et à la beauté légendaires du chant du cygne mourant)] Quel chant d'hirondelle joyeuse, quand elle pouvait rire! Mais quelle voix de cygne appelant ses compagnes, quand elle parlait de ses chagrins! (Balzac, Lys,1836, p. 40). − En partic., littér. et poét. Chant/voix du cygne. Voix du poète, de l'orateur, etc. : 6. Ah! Si la muse sainte soutenoit mon génie, si elle m'accordoit un moment le chant du cygne ou la langue dorée du poëte, qu'il me seroit aisé de redire dans un touchant langage les malheurs de la persécution!
Chateaubriand, Les Martyrs,t. 3, 1810, p. 75. ♦ P. ell. Cygne. Écrivain, compositeur remarquable par la pureté du style, par la grâce de l'expression. Le cygne + nom de lieu. Le cygne de Mantoue (Virgile), de Méonie (Homère), de Thèbes ou de Dircé (Pindare), etc. Bossuet : est l'aigle de Meaux. Fénelon : est le cygne de Cambrai (Flaub., Corresp.,1852, p. 67).Un cygne au plumage éblouissant [Lamartine], pareil à un sentiment pur, nageait dans un beau lac (Barrès, Maîtres,1923, p. 203). ♦ P. méton. Chant du cygne. Dernière œuvre d'un écrivain, d'un artiste, au sommet de sa perfection, avant le déclin ou la mort. [M. de Saint-Cyran] écrivit à la mère Angélique une belle lettre qui nous est comme son rude chant du cygne et son dernier oracle (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 2, 1842, p. 201). Rem. On rencontre ds la docum. les adj. a) Cycnéen, enne. Qui se rapporte au cygne, qui rappelle le cygne. Le fleuve herbeux, cycnéen (Claudel, Ville, 1893, p. 316). b) Cycniforme ou cycnoïde. Qui a les formes d'un cygne, qui évoque un cygne par la grâce de ses lignes. [La comtesse de Greffulhe] (...) cycniforme et ingénieuse (R. de Montesquiou, P. Hellen, 1913, p. 34). Prononc. et Orth. : [siɳ]. C'est la graph. étymol. qui préserve la prononc. avec [ɳ] (cf. Buben 1935, § 169). Une anc. prononc. [sin] existait dans les milieux pop. mais aussi dans Ronsard (cf. Rouss.-Lacl. 1927, p. 165). Le mot est admis ds Ac. 1694-1932. Homon. signe. Étymol. et Hist. 1. Ca 1170 ornith. cisne (M. de France, Lais, éd. J. Rychner, Milun, 172 [:meschine]); mil. xiiies. [ms.] cigne (Id., ibid., p. 174); 1546 chant du cycne (Rabelais, III, 21 ds Hug.); 1640 chanter le chant du cigne (Oudin Curiositez); 2. p. ext. 1831 « duvet de cygne » 3. 1630 poét. « poète » (Malherbe, Fin d'une ode pour le roi, 2 ds
Œuvres, éd. Lalanne, t. 1, p. 317). Cygne, altération de cisne, cine du b. lat. cicinus attesté chez Oribase et ds la loi Salique (TLL s.v., 1585, 13), lat. class. cycnus (gr. κ
υ
́
κ
ν
ο
ς) écrit aussi cygnus, cignus (TLL s.v., 1584, 72); à rapprocher du sens 3, Hor. Carm. 4, 2, 25 (ibid., 1585, 66). Fréq. abs. littér. : 995. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 853, b) 2 040; xxes. : a) 1 222, b) 821. Bbg. Gottsch. Redens. 1930, p. 106. − Rog. 1965, p. 42. |