| CURÉE, subst. fém. A.− VÉN. Bas morceaux du gibier abattu, que l'on donne en pâture aux chiens, à la fin de la chasse. Curée de cerf; donner la curée. Jeter la curée à mes chiens (Quinet, Ahasvérus,1833, 4ejournée, p. 319).Les chiens hurlent à la mort, réclamant leur curée (Pesquidoux, chez nous,1921, p. 40). ♦ Curée chaude. Celle qui est donnée sur le terrain quand la bête est encore chaude. Curée froide. Celle qui est donnée lorsque les chiens sont rentrés à la maison. Fourrant les mains dans le sang tiède et la curée chaude d'un chevreuil (Goncourt, Journal,1866, p. 301). − P. anal. Pitance, pâture que trouve un oiseau, un animal. De la terre par lui fraîchement labourée Sont sortis plusieurs vers, excellente curée Qui seule attire ces oiseaux (Florian, Fables,1792, p. 116).P. métaph. L'Afrique livrée en curée aux loups européens (Rolland, J.-Chr.,Buisson ard., 1911, p. 1260). − Au fig. ou p. métaph. Ce à quoi on considère avoir droit pour en jouir. Ils regardaient Tyr comme une curée qui leur appartenait (Lamart., Voy. Orient,t. 1, 1835, p. 297).Dès que la mer leur jette un pauvre vaisseau, ils courent à la côte, hommes, femmes et enfants; ils tombent sur cette curée (Michelet, Tabl. Fr.,1833-61, p. 11).Que tout ce qui vit de l'État (...) fasse cause commune avec eux, chacun défendant sa part de curée (Clemenceau, Iniquité,1899, p. 391). B.− P. méton. 1. VÉN. Fait de donner aux chiens les bas morceaux et, pour les chiens, de les dévorer (généralement avec avidité) ou moment où l'on donne aux chiens ces morceaux. Chiens ardents à la curée; l'heure de la curée; sonner la curée. Le moment où, à la curée, les chiens se regardent (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 634).Les hurlements des chiens, lâchés pour la curée (Genevoix, Der. harde,1938, p. 128): 1. ... l'animal, aveuglé de fatigue et de fureur, vient s'enferrer sur son épieu, qui le traverse du garrot aux entrailles (...). Alors commence la curée. Le veneur ouvre la bête et en donne les poumons et les viscères aux chiens, fatigués et affamés, qui se repaissent avidement.
Faral, La Vie quotidienne au temps de St Louis,1942, p. 37. ♦ Curée chaude, curée froide (cf. supra A). Après la chasse à courre, il y aura une curée froide aux flambeaux (Zola, E. Rougon,1876, p. 167).Là au milieu des fanfares, on fit la curée chaude (La Hêtraie, Chasse, vén., fauconn.,1945, p. 185). ♦ Mettre les chiens en curée. ,,Leur donner plus d'ardeur à la chasse, par la curée qu'on leur fait`` (Ac. 1798-1878). P. métaph. Donner plus d'ardeur à un groupe humain par l'espoir d'une récompense : 2. Alors, ramassant toutes ces passions, toutes ces ivresses, toutes ces frénésies silencieuses [de ses hommes qu'il haranguait], Legall les mit en curée, il les énerva, les piqua, les aiguillonna.
G. d'Esparbès, La Guerre en sabots,1914, p. 121. ♦ Faire curée. [En parlant d'un chien] Manger la bête qu'il a prise avant qu'on ne lui en donne l'autorisation. L'autre [chien] (...) se lança vers le lièvre (...) et en fit curée devant tous (Vialar, Rendez-vous,1952, p. 255).P. métaph. Ses courtisans, qui font curée de tous les biens (Balzac, Illus. perdues,1843p. 712). 2. Au fig. Fait de se disputer avidement quelque chose que l'on convoite, notamment une situation vacante ou un bien disponible, souvent après la mort ou la chute politique de quelqu'un. Âpre à la curée. Une bourgeoisie dévorante, menant la curée parmi les ruines (Zola, Rome,1896, p. 262).Une fois l'ennemi vaincu, se ruer à la curée, s'emparer du pouvoir, rafler les honneurs et les places (Rolland, J.-Chr.,Maison, 1909, p. 965).Un vieillard près de mourir, au milieu d'une famille aux aguets qui attend le moment de la curée (Mauriac, Nœud vip.,1932, p. 49): 3. L'Allemagne payerait. On pouvait réclamer, ramasser, courir à la curée. Et de splendides usines, des burgs féodaux tout neufs, − qu'on raserait quinze ans plus tard, remplaçaient les antiques fabriques.
Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 465. − [Avec un compl. prép. de] ♦ [Le compl. désigne la chose convoitée] La curée des places. L'avide curée qui se faisait alors des positions et des honneurs (Nerval, Filles feu,Sylvie, 1854, p. 591).L'assaut donné au boulevard, aux grands cercles, au faubourg Saint-Germain, (...) la curée des titres et des blasons (Bernanos, Gde peur,1931, p. 427). ♦ Rare. [Le compl. désigne l'agent] Une mêlée de tous les égoïsmes, une curée de toutes les convoitises (Augier, Effrontés,1861, IV, p. 356). Prononc. et Orth. : [kyʀe]. Fait partie des mots dans lesquels la prononc. hésita longtemps entre [ɥi] et [y] (cuirée de cuir); celle-ci ne se stabilisa qu'apr. la fixation de l'orth. (cf. Buben 1935, § 64). Ds Ac. 1718-1932. Homon. curé, curer. Étymol. et Hist. Ca 1160 vén. curiée « portion de la bête qu'on abandonne aux chiens » (Enéas, éd. J. J. Salverda de Grave, 3641), forme attestée jusqu'à fin xvies. (M. de La Porte, Epithètes ds Hug. : cuirie); ca 1375 curee (Modus et Ratio, éd. G. Tilander, § 29, 4); 1582 fig. donner curée « exciter par l'appât de quelque avantage, donner remède » (M. du Bellay, 367 ds Littré). Dér. avec suff. -ée* de cuir* « peau » parce que ce que l'on donnait à manger aux chiens était étendu sur une peau (FEW t. 2, p. 1187; v. aussi G. Tilander, Nouv. Mél. d'étymol. cynégétique, Lund, 1961, pp. 214-215) plutôt qu'altération sous l'infl. de cuir* de l'a. fr. corée, courée* « viscères, entrailles d'un animal » (J. Brüch ds Arch. rom., t. 144, 1922, p. 101; v. aussi FEW, loc. cit.). Fréq. abs. littér. : 669. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 782, b) 1 159; xxes. : a) 1 456, b) 680. Bbg. Brüch (J.). Frz. curée. Arch. St. n. Spr. 1922, t. 144, pp. 101-103. − Darm. Vie 1932, p. 97. − Gottsch. Redens. 1930, pp. 284-285. − Goug. Mots t. 2 1966, p. 120. − Rog. 1965, p. 97. |