| CONSUMER, verbe trans. A.− [Le suj. désigne un agent, un principe destructeur; le compl. désigne une chose concr.] User, détruire progressivement une chose par altération ou anéantissement de sa substance. 1. Vieilli, littér. [Le suj. désigne un agent destructeur autre que le feu] :
1. Ici on voit des toits affaissés, dont les chevrons vermoulus et les fers consumés par la rouille, annoncent l'antiquité et la décadence;
Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie,t. 1, 1801, p. 216. − Emploi pronom. [Le suj. désigne une chose destructible] :
2. ... le laboureur corse... met le feu à une certaine étendue de bois... les racines qui sont restées en terre sans se consumer poussent, au printemps suivant, des cépées très épaisses...
Mérimée, Mosaïque,1833, p. 3. 2. Spéc., usuel [Le suj. désigne le feu ou p. méton. un appareil ou dispositif qui brûle, ou dans lequel on brûle du combustible] L'imperceptible travail de la flamme consumant la cire odorante des flambeaux (G. Sand, Lélia,1839, p. 453).Ces fours [à plusieurs étages] ... consument moins de combustibles que trois fours séparés (A. Brongniart, Traité des arts céramiques,1844, p. 194). Rem. Dans la docum. ce sens est surtout attesté au passif (avec ou sans auxiliaire) : la victime fut consumée par le feu; ce flambeau sera bientôt entièrement consumé. Sir Arthur jeta son cigare à demi consumé dans le feu (Ponson du Terrail, Rocambole, t. 3, Le Club des Valets de cœur, 1859, p. 119). Une bougie consumée témoignait de sa longue veille (Colette, La Maison de Claudine, 1922, p. 115). ♦ Emploi abs. La chaleur consume, le froid conserve (A. Arnoux, Carnet de route du Juif Errant,1931, p. 265). − Rare. [Le suj. désigne une pers.] Synon. de fumer (du tabac).C. consumait doucereusement un havane et s'enveloppait de flocons de fumée blanche (Villiers de L'Isle-Adam, Contes cruels,Le Convive des dernières fêtes, 1883, p. 132). − Emploi pronom. [Le sujet désigne une chose combustible] Les bûches humides d'un mauvais bois flotté se consumaient sans flamme et sans chaleur (Murger, Scènes de la vie de bohème,1851, p. 285).La cigarette achevait de se consumer dans le cendrier (Dub.1967). ♦ [Avec un compl. prép. introduit par en indiquant la manière ou le résultat de la combustion] . Un flambeau qui se consume en clarté (Zola, La faute de l'abbé Mouret,1875, p. 1480).Le feu achevait de se consumer en braise (Zola, La Bête humaine,1890, p. 171). B.− P. métaph. ou au fig., littér. 1. [Le suj. désigne une pers.] a) Consumer ses biens, sa fortune. Les dépenser, les dissiper sans discernement, inutilement. Il consume tout son bien en débauches; il a consumé tout son patrimoine (Ac.1835-1932).Il [le duc] avait consumé un million dans l'achat de la cité miniature... Il ne le regrettait pas (Morand, Fin de siècle,1957, p. 190).Scandaleux sybarites, les uns font vœu de pauvreté, et ils consument dans le faste et les voluptés mondaines le bien des pauvres (Marat, Les Pamphlets,Offrande à la Patrie, 1789, p. 4). b) Consumer son temps, sa vie. Employer son temps à des choses futiles et sans intérêt. Les rois égyptiens consumaient ainsi leur existence à préparer leur tombeau (Estaunié, L'Empreinte,1896, p. 265).Les innombrables heures infernales que j'ai consumées sur ce canapé (G. Duhamel, Confession de Minuit,1920, p. 49).Il [mon père] trouvait dérisoire qu'on consumât sa vie dans de poussiéreux travaux d'érudition (S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 177). − Emploi pronom. Notre courte existence se consumerait en une suite interminable et illusoire de déplorables essais (Comte, Cours de philos. positive,t. 5, 1839-42, p. 353): 3. ... un nombre incalculable d'heures de présence, qui se consument en oisiveté bovine ou en travail plus abêtissant que l'oisiveté.
Colette, L'Envers du music-hall,1913, p. 216. 2. [Le sujet désigne la cause du dépérissement physique et/ou de l'accablement moral d'une personne : épreuve, maladie, sentiment, etc.] User progressivement une personne, épuiser ses forces ou son énergie, lui faire perdre sa santé. Les ennuis, les chagrins le consument (Ac.1835-1932).Une plaie incurable me consume, un mal implacable me dévore... (Chénier, Bucoliques,1794, p. 127).Ce besoin de bonheur qui consume les mortels (Mmede Staël, Corinne,t. 2, 1807, p. 2).Cette passion qui le consume et finira par le détruire (G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Cécile parmi nous, 1938, p. 269). Rem. 1. Cet emploi apparaît souvent dans le cadre des métaphores du feu : Un feu secret la consume lentement (Ac. 1835-1932). Le rappel de certains souvenirs l'enflamme et le consume, le rappel d'autres souvenirs le glace et il en meurt (L. de Vilmorin, Madame de***, 1951, p. 87). 2. Dans la docum. le passif est plus fréq. que l'actif. Être consumé de regrets (Ac. 1835-1932). Un fils consumé par le chagrin (Fiévée, La Dot de Suzette, 1798, p. 73). Une femme consumée par un amour sans espoir (Balzac, La Duchesse de Langeais, 1834, p. 338). − Emploi pronom. [Le sujet désigne une pers., une de ses facultés, un groupe de pers.] Il [Sylvinet] ne pouvait plus guère travailler, tant il se consumait et s'affaiblissait (G. Sand, La Petite Fadette,1849, p. 263): 4. Tu te consumes, tu es consumée de tristesse, tu es perdue de tristesse, tu as, pauvre grande, tu as une fièvre, une fièvre de tristesse, et tu ne guéris point, tu ne te guéris jamais. Tu as une grande fièvre.
Péguy, Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc,1910, p. 16. ♦ [Accompagné d'un compl. prép. à, dans, de, en, indiquant la cause ou la manière] Se consumer d'amour, de chagrin; se consumer en efforts. Il se consume de tristesse et d'ennui (Ac.1835-1932).Que te sert de te consumer dans les travaux, de t'user avant l'âge? (Lemercier, Pinto,1800, I, 8, p. 27).Et toi, mon élève et ma gloire, tu te consumes au travail (Zola, Sylvanire,1902, I, 2, p. 612).Claude, pendant deux ans, s'était consumé d'amour pour une apprentie chapelière (Zola, L'Œuvre,1886, p. 40).Il fallut encore se consumer une heure en impatiences vaines (Estaunié, Les Choses voient,1913, p. 85): 5. À mesure que l'empire s'affaiblissait, se consumait dans l'anarchie, ces invasions devenaient plus fréquentes et le nombre des barbares qui se pressaient aux portes semblait croître.
Bainville, Histoire de France,t. 1, 1924, p. 17. Rem. gén. 1. Pour la confusion entre consumer et consommer cf. consommer rem. gén. 2. On rencontre ds la docum. des emplois adj. du part. passé consumé. Pays malingre et consumé, tandis que l'Égypte est ardente et fertile, chaude et riante (Fromentin, Voyage en Égypte, 1869, p. 99). Au fig. Son visage [de Germinie] consumé, décharné, funèbre, regardait comme une tête de mort amoureuse (E. et J. de Goncourt, Germinie Lacerteux, 1864, p. 244). Emploi subst. Elle [la femme à tempérament] se présente d'ordinaire sous deux types très différents : la plantureuse et la consumée (Bourget, Physiol. de l'amour mod., 1890, p. 101). 3. Lar. 19e, Lar. Lang. fr., Littré, Guérin 1892, Rob. et Quillet 1965 enregistrent l'adj. consumable « qui peut être consumé ». Prononc. et Orth. : [kɔ
̃syme], (je) consume [kɔ
̃sym]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. A. 1. 1120-50 « détruire » (Vers del Juise, 392 ds T.-L. : Mes cors fut consumeiz); en partic. 1562 (Calvin, Serm. s. le Deuter., p. 1122b : Dieu est appellé un feu consumant); 1690 (Fur. : Il a une fièvre lente qui le consume); 2. p. ext. 1448 consumer son temps (Arch. Nord, B 1684, fol. 45 ds IGLF). B. 1538 « faire disparaître par l'usage » (Est.) − Trév. 1771. Empr. au lat. class. consumere (de sumere « prendre, saisir ») « absorber entièrement, faire disparaître, détruire [sens propre et fig.] » en partic. « détruire en absorbant [de la nourriture] ». Le sens « accomplir » attesté pour consumer aux xvie-xviies. (Rabelais, Pantagruel, VIII, éd. Marty-Laveaux, t. 1, p. 253 − Corneille, Nicomède, V, 4 ds Littré) et le sens B ultérieurement assumé par consommer, traduisent l'hésitation existant à cette époque entre les deux verbes, v. consommer. Fréq. abs. littér. Consumer : 904. Consumé : 476. Fréq. rel. littér. Consumer : xixes. : a) 2 152, b) 968; xxes. : a) 925, b) 931. Consumé : xixes. : a) 906, b) 539; xxes. : a) 572, b) 616. DÉR. Consumation, subst. fém.,rare, littér. Action de consumer quelque chose, de détruire quelque chose (comme) par le feu, progressivement et complètement. La fête ancienne, oubli de tout projet, consumation délirante (G. Bataille, L'Expérience intérieure,1943, p. 80).Cette consumation ardente de l'existence en rapproche [de la mort]. Ce contraste sombre, n'exalte-t-il pas, d'ailleurs, l'éclat et les feux dévorants de la vie? La fuite des êtres, des choses, des instants (Huyghe, Dialogue avec le visible,1955, p. 398).− 1resattest. xves. « destruction » (Jard. de santé, I, 6 ds Gdf. Compl. : Faire les cuire et boullir jusques a la consumation et consumption de la moitié), attest. isolée, à nouv. au xxes. 1943 (G. Bataille, loc. cit.); de consumer, suff. -(a)tion*; pour les interférences entre consommation et consumation cf. consumacion dou mariaige 1415 (Arch. Nord, B 10379, fo36 rods IGLF), xvies. consumation du monde (Tahureau, 2eDial. du Democritie, p. 129 ds Hug.), v. consommer. − Fréq. abs. littér. : 4. BBG. − Ducháček (O.). L'Interdépendance et l'interaction du contenu et de l'expr. Orbis. 1972, t. 21, p. 475. |