| CHÈVRE, subst. fém. I.− A.− Mammifère ruminant domestique, à cornes creuses, persistantes et arquées en arrière, au menton garni d'une barbe; spéc., la femelle. (cf. bique, bouc, chevrette). Chèvre sauvage; troupeau de chèvres : 1. Ah! Gringoire, qu'elle était jolie la petite chèvre de M. Seguin! qu'elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande! C'était presque aussi charmant que le cabri d'Esméralda, tu te rappelles, Gringoire? − et puis, docile, caressante, se laissant traire sans bouger, sans mettre son pied dans l'écuelle. Un amour de petite chèvre...
A. Daudet, Lettres de mon moulin,La Chèvre de M. Seguin, 1869, éd. Fasquelle, 1917, p. 39. SYNT. bêlement de chèvre; fromage, lait, peau, poil de chèvre. 1. P. compar. ou p. métaph. − [P. réf. aux attributs physiques de la chèvre] Une affreuse barbe de chèvre, qu'on eût dit postiche, une frange effilochée qui lui pendait au menton (R. Martin du Gard, Les Thibault,La Consultation, 1928, p. 1065).Le curé (...) psalmodiant les prières de sa voix implorante de chèvre esseulée (P. Vialar, Le Bon Dieu sans confession,1953, p. 5): 2. ... ce fut la tête de Louise qui apparut, une tête de chèvre, aux yeux noirs un peu obliques, au nez mince, au menton aigu, d'une vivacité, d'une gaieté amusantes.
Zola, Travail,t. 2, 1901, p. 4. − [P. réf. à l'agilité de la chèvre] Bondir, grimper, sauter comme une chèvre. Quelqu'un qui montait avec une légèreté de chèvre, les dérangea (Zola, Pot-Bouille,1882, p. 376).Un petit pas de chèvre, nerveux et sec (R. Rolland, Jean-Christophe,La Foire sur la place, 1908, p. 818).Le bossu, en trois sauts de chèvre, traversa le ruisseau (Pourrat, Gaspard des Montagnes,Le Pavillon des amourettes, 1930, p. 206).Une passerelle gracile qui sautait d'un bond de chèvre par-dessus les voies ferrées (G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Notaire du Havre, 1933, p. 92).Sentier, chemin... de chèvre. Escarpé, d'accès difficile. Des sentiers de chèvre qui montaient en serpentant sur la montagne (Loti, Le Mariage de Loti,1882, p. 142).Un pont de chèvre qui franchissait une tranchée devant le musée Guimet (A. France, Le Lys rouge,1894, p. 221). − [P. réf. à l'agitation, à l'humeur capricieuse et fantasque de la chèvre] Fantasque, impatient, rétif comme la chèvre! (Brizeux, Marie,1840, p. 44).Je m'impatiente comme une chèvre liée à son piquet (Balzac, Lettres à l'Étrangère,t. 1, 1850, p. 92).Elle est maigre, de chair nerveuse, criarde, et pas bien belle; mais électrique comme une chèvre (R. Martin du Gard, Vieille France,1933, p. 1069): 3. Jamais plus de caprices que cette fontaine d'observantines. Une chèvre, cette eau. J'allais, le matin, le long des rigoles... Elles étaient vides. Vides, sèches.
Giono, L'Eau vive,1943, p. 24. 2. En partic., le plus souvent péj. [En parlant d'une jeune fille, d'une femme] Une petite fille boudeuse et têtue, une vraie « petite chèvre » (Mauriac, Ce qui était perdu,1930, p. 217).Mathilde, une grande chèvre efflanquée (Vialar, La Chasse aux hommes,Les Fins dernières, 1953, p. 202): 4. Le Secrétaire général. − Le prix Goncourt des sorcières est gagné... Il crie. Je baise respectueusement vos mains de déesse, adorable personne.
Le Syndic. − Nous sommes bien d'accord? Nous n'allons pas accorder à cette vieille chèvre la ristourne habituelle de trente pour cent?
Giraudoux, La Folle de Chaillot,1944, p. 175. 3. Spéc. ASTRON. Étoile de la chèvre et, p. ell., la Chèvre. L'étoile la plus brillante de la constellation du Cocher. L'étoile de la chèvre monta, rouge et brillante (G. Sand, Lélia,1839, p. 496). Rem. 1. On rencontre ds la docum. un ex. où le mot est en emploi adj. Une grande jeunesse toute dansante et toute chèvre (Giono, Que ma joie demeure, 1935, p. 181). Rem. 2. Le mot sert parfois à former des subst. composés. Ces errants, ces hommes-chèvres qui vont, tout nerveux d'une ville à l'autre (Giono, Manosque des plateaux, 1930, p. 16). Grande fille-chèvre (Pourrat, Gaspard des Montagnes, La Tour du Levant, 1931, p. 13); cf. également Hugo, La Légende des siècles, Le Satyre, 1859, p. 587 où homme-chèvre désigne un faune, un chèvre-pied : 5. Il n'y a rien sur le plateau : le vent seul... et comme vent, celui qui s'est annoncé la nuit passée : ce vent-chèvre, le printemps. Le voilà, là-haut. Le voilà là-bas avec sa poussière; le voilà ici maintenant; le voilà là-bas, sur l'herbe; il est partout.
Giono, Regain,1930, 1repart., 2, p. 62. Rem. 3. Le mot sert exceptionnellement à désigner la chevrette, femelle du chevreuil (cf. Quillet 1965; Ac. gastr. 1962). La femelle [du chevreuil] est la chèvre ou chevrette (Vialar, La Chasse aux hommes, Le Rendez-vous, 1952, p. 251). B.− Loc. proverbiales et expr. ♦ Où la chèvre est attachée, il faut qu'elle broute. Il faut se contenter du sort que l'on a. ♦ Ménager la chèvre et le chou. Ménager deux personnes, deux partis opposés. Ménager la chèvre royaliste et le chou républicain (Balzac, Une Ténébreuse affaire,1841, p. 102).Les ménageurs de la chèvre et du chou (E. et J. de Goncourt, Journal,1890, p. 1246). Rem. Cf. aussi d'une main flatter la chèvre au cou Cependant que, de l'autre, on arrose le chou (E. Rostand, Cyrano de Bergerac, 1898, II, 8, p. 93). ♦ Amoureux d'une chèvre coiffée (fam.). Amoureux de n'importe quelle femme. ♦ Prendre la chèvre (vieilli, fam.). Se mettre en colère. Faire devenir chèvre. Faire enrager. Quand on n'a pas d'enfants, on est jaloux de ceux qui en ont et quand on en a, ils vous font devenir chèvre! (Pagnol, Fanny,1932, I, 7, p. 107): 6. Aussi, il n'y a qu'un instant, ai-je failli prendre la chèvre, comme l'on dit, quand M. le curé m'a répondu (...) qu'on n'avait que faire de mes services.
F. Fabre, Les Courbezon,1862, p. 374. ♦ Vin à faire danser les chèvres (fam.). Vin acide, aigre. Du reginglat à faire danser les chèvres (Huysmans, Les Sœurs Vatard,1879, p. 81). Rem. À la chèvre-morte. Sur le dos. Attesté en m. fr. (cf. p. ex. Montaigne, Essais, II, XII, Paris, Gallimard, 1961, p. 592), repris par Larbaud (Enfantines, 1918, p. 43) Je vais vous porter à la chèvre-morte. C.− P. méton. 1. Fourrure de chèvre. Grande robe de carriole en chèvre grise (Hémon, Maria Chapdelaine,1916, p. 24). 2. Viande de chèvre. Les bouchers, qui (...), à la saint-Jean, font passer de la chèvre pour du mouton (Faral, La Vie quotidienne au temps de St Louis,1942, p. 76). 3. Subst. masc. Fromage de chèvre. II.− TECHNOL. [P. anal. avec la forme de la tête de la chèvre, ou de son échine] A.− Appareil de levage constitué de deux montants assemblés en angle aigu, maintenus à l'inclinaison voulue par des haubans ou un troisième montant, au sommet duquel se trouve une poulie. Chèvres roulantes avec verge allant poser la pierre à la place qui lui est destinée (Viollet-Le-Duc, Entretiens sur l'archit.,1872, p. 107).Chèvre pour soulever les voitures (Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 153). B.− Chevalet à trois pieds. C.− Pied* de chèvre. Rem. On rencontre ds la docum. le néol. chevret, subst. masc., créé pour désigner le mâle de la chevrette (Nodier, Trésor des fèves et Fleur des pois, 1833, p. 42). Prononc. et Orth. : [ʃ
ε:vʀ]. Écrit chevre ds Ac. 1694 et 1718; chévre ds Ac. 1740; chèvre ds Ac. 1762-1932. Étymol. et Hist. 1. 1119 chievre (Ph. de Thaon, Comput, 1425 ds T.-L.); ca 1220 tenir por chievre « tenir pour fou » (G. de Coincy, éd. Koenig, I Mir, 18, 614); 1675 devenir chèvre (J.-H. Widerhold, Nouv. dict. fr.-all. et all.-fr., Bâle); 1672 ménager la chèvre et les choux (Mmede Sévigné, Correspondance, éd. R. Duchêne, p. 473); 2. 1611 technol. « appareil de levage » (Texte cité ds Mém. de la Sté de l'hist. de Paris et de l'Ile-de-France, 1916, p. 69). Du lat. class. capra, fém. de caper « bouc ». Fréq. abs. littér. : 1 256. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 993, b) 2 413; xxes. : a) 1 371, b) 1 523. DÉR. 1. Chevreton, subst. masc.Fromage de chèvre fabriqué en Auvergne. J'ai une goutte de vin dans un gros verre, quand on mange le chevreton (J. Vallès, L'Enfant,1879, p. 97).− [ʃ
əvʀ
ətɔ
̃]. Ds la docum. on rencontre avec des accents chèvreton (Pourrat, Gaspard des Montagnes, Le Pavillon des amourettes, 1930, p. 36) et chévreton (Pourrat, Gaspard des Montagnes, La Tour du Levant, 1931, p. 36). Mais les dict. qui enregistrent le mot, Lar. encyclop.-Lar. Lang. fr., ainsi que Quillet 1965 écrivent chevreton sans accent. − 1reattest. 1879 (Vallès, supra); de chevre, suff. -(et)on*. Forme région. d'Auvergne (cf. chevroton à Clermont-Ferrand ds FEW t. 2, p. 297a). − Fréq. abs. littér. : 3. 2. Chevreauter, chevrèt(t)er, chevroter,(chevrèter, chevrètter) verbe intrans.[En parlant de la chèvre] Mettre bas. La belle dame demandait si on ne pourrait pas, le matin, apporter au hameau des Hautes-Feuillées un verre de lait pour Henriquet. − « Pas avant un mois, tout au juste! Faut auparavant que la chèvre chevreaute; mais sitôt le biquet sevré, nous garderons le lait pour vous » (P. Arène, Contes de Paris et de Provence, 1887, p. 55.) − [ʃ
əvʀ
əte], (chevreter) [ʃ
əvʀ
εte] (chevretter); (je) chevrette [ʃ
əvʀ
εt]. Par harmonisation vocalique Pt Rob. transcrit chevretter avec [e] fermé à la 2esyll. [ʃ
əvʀete]. Seule transcr. de chèvreter ds Littré : chè-vre-té. Var. graph. : chevreter ds Ac. Compl. 1842, Lar. 19e-20eet Lar. Lang. fr., Rob. et Quillet 1965. Parmi ces dict. Nouv. Lar. ill., Lar. 20eet Lar. Lang. fr. admettent également chevretter. Cf. aussi Pt Rob. pour les 2 formes. Chèvreter ds Littré, chevroter (homon. de chevroter, crier) ds Lar. 19eet Lar. 20e. Pour cette dernière var. noter l'orth. chevreauter (supra P. Arène, loc. cit.). − 1resattest. a) xives. « jouer de la chevrette » (Ovide moralisé, XV, t. 2, p. 807 ds I GLF); b) 1542 chevroter en parlant de la chèvre « mettre bas » (Du Pinet, VIII, 50 ds Gdf. Compl.); 1573 (date de l'éd.) chevreter (Paré, éd. Malgaigne, t. 3, p. 44) − 1606, Nicot, repris dep. Trév. 1732; de chèvre, suff. -eter*. BBG. − Brinkmann (F.). Metapherstudien. Arch. St. n. Spr. 1876, t. 56, p. 344. − Brücker (F.). Die Blasinstrumente in der altfranzösischen Literatur. Giessen, 1926, p. 55. − Courtine (R.). Vie Lang. 1972, p. 630. − Darm. Vie 1932, p. 47, 109. − Gottsch. Redens. 1930, pp. 69-70. − Perrochon (H.). Cheval et chèvre en Suisse romande. Vie Lang. 1961, pp. 371-373. − Quem. 2es. t. 1, 1970. − Ringenson (K.). Les Noms de la chèvre en fr. St. neophilol. 1957, t. 29, pp. 13-28. − Rog. 1965, p. 40. − Sain. Lang. par. 1920, p. 191, 195, 411; Sources t. 1, 1972 [1925], p. 70, 141. − Wind 1928, p. 40. |