| AJOUTER, verbe trans. A.− Emplois trans. Mettre en plus, apporter un élément nouveau, complémentaire ou supplémentaire. 1. [Avec ou sans obj. second.] Ajouter qqc. (ou qqn) à. a) [Le compl. dir. désigne un obj. concr. quantifiable, ou une quantité] : 1. Ces opérations auxquelles la perfection de nos moyens assurerait la plus grande justesse, leveraient toute incertitude de calcul sur les quantités à ajouter ou à retrancher dans les comparaisons de méridien à méridien; ...
Voyage de La Pérouse autour du monde,t. 1, 1797, p. XXVIII. 2. Parmi les marins, il y (en) a qui découvrent des mondes, qui ajoutent des terres à la terre et des étoiles aux étoiles. Ceux-là ce sont les maîtres, les grands, les éternellement beaux.
G. Flaubert, Correspondance,1846, p. 360. Rem. Syntagmes rencontrés a) Ajouter du rhum à son thé, du sucre à l'oseille, le colombier au moulin, une clef à son trousseau, un couteau de chasse à un fusil, l'Alsace au royaume, les provinces au territoire; b) Ajouter six à sept, un chiffre à un autre, un nombre à un autre, une coudée à sa taille, les kilomètres aux kilomètres, les milles aux milles. b) [L'obj. dir. désigne un mot, une phrase d'expression orale ou écrite] Ajouter un mot : 3. Le dauphin fut satisfait de cette réponse, et ajouta que si le duc voulait ajouter ou retrancher quelque chose aux conditions des derniers traités, il le ferait volontiers.
P. de Barante, Hist. des ducs de Bourgogne,t. 4, 1821-1824, p. 110. 4. − Il porte ton article à l'imprimerie! dit Hector Merlin, c'est un chef-d'œuvre où il n'y a ni un mot à retrancher, ni une ligne à ajouter.
H. de Balzac, Les Illusions perdues,1843, p. 407. 5. Dire que la représentation n'est « autre chose que la conscience sous les espèces de laquelle l'objet et le sujet naissent conjugués », c'est ajouter une phrase vaine à un mot dangereux.
R. Ruyer, Esquisse d'une philosophie de la structure,1930, p. 106. − Ajouter que : 6. Inutile d'ajouter que j'étais un des derniers de la classe. Je le répète : je dormais encore; j'étais pareil à ce qui n'est pas encore né.
A. Gide, Si le grain ne meurt,1924, p. 390. − Emploi abs. [Pour introduire un énoncé suppl. sous forme de prop. sub. implicite ou d'énoncé en style dir.] :
7. Traitez vos malades comme tout le monde, car vous ne pouvez pas faire que la médecine soit aujourd'hui plus avancée qu'elle n'est. Seulement, je diffère en ce que j'ajoute : cet état de la médecine d'aujourd'hui, qui est un mélange de l'état d'empirisme et d'observation, n'est point l'état de perfection, comme le veulent certains médecins; c'est un état transitoire. La médecine doit parvenir, pour être parfaite comme science, à l'état expérimental.
C. Bernard, Principes de médecine expérimentale,1878, p. 108. 8. Et le bon passeur d'ajouter : Cette nuit-là j'ai dû porter toute la douleur du monde.
B. Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 30. ♦ [En incise, comme procédé rhétorique, pour rythmer une progression dans un énoncé] :
9. Nous avons fixé comme but et, j'ajoute, comme terme de notre tâche la victoire de la France sur ses ennemis et la restauration de la souveraineté nationale.
Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre,Le Salut, 1959, p. 346. Rem. 1. Syntagmes rencontrés ajouter un dernier mot, une parole, une anecdote, un argument, une calomnie, un chapitre, une citation, un codicille, une conclusion, un correctif, un fait, cent folies, un griffonnage, un mensonge, un post-scriptum, un remerciement, un supplément. Ajouter deux lignes, des développements, des éclaircissements, des gloses, des notes. Ajouter à l'article, au dossier, à la liste, au texte. 2. Ajouter est très souvent suivi d'un adv. ou d'un compl. de manière. Ajouter fébrilement, finement, gravement, hardiment, intérieurement, mentalement, superbement, verbalement. Ajouter à l'oreille, à mi-voix, avec emphase, avec importance, avec mépris, avec un soupir, d'un ton cavalier, du ton le plus poli, en ami, en anglais, en riant, tout haut. 3. Loc. cour. ajouter de sa main, ajouter de son cru, ajouter du sien, ajouter par post-scriptum, loin d'ajouter, n'avoir pas besoin d'ajouter, n'avoir plus rien à ajouter, sans ajouter un mot, sans rien ajouter : 10. − L'exécution aura lieu demain. Accusé, avez-vous quelque chose à ajouter?
− Excusez-moi, dit-il, je n'ai pas suivi l'affaire. Et il se rendormit.
H. Michaux, Plume,1930, p. 138. 2. Au fig. [L'obj. désigne un élément qualitatif, moral ou intellectuel] Ajouter qqc. à qqc., qqn à qqn. a) [Avec un compl. d'obj. dir. et un compl. d'obj. second.] : 11. C'est que la faiblesse de son caractère anéantit la puissance de sa position. Celui qui ne sait pas ajouter sa volonté à sa force n'a point de force.
Chamfort, Caractères et anecdotes,1794, p. 146. 12. Le poète ajoute à la vie ordinaire un je ne sais quoi qui est le secret des poètes, et tout à coup elle apparaît dans sa prodigieuse grandeur, dans sa soumission aux puissances inconnues, dans ses relations qui ne finissent pas, et dans sa misère solennelle.
M. Maeterlinck, Le Trésor des humbles,1896, p. 172. 13. ... ces manteaux de cheminée de châteaux, sous lesquels on souhaite que se déclarent dehors la pluie, la neige, même quelque catastrophe diluvienne pour ajouter au confort de la réclusion la poésie de l'hivernage; ...
M. Proust, À la recherche du temps perdu,Du côté de chez Swann, 1913, p. 50. b) [Sans compl. d'obj. dir.] Ajouter à qqc.Augmenter quelque chose : 14. Le roulement des carrosses qui veulent s'éloigner, le bruit du tambour qui rappelle les soldats, la voix des officiers qui font prendre les armes, ajoutent au sentiment de terreur, et augmentent le désordre.
F.-R. de Chateaubriand, Les Natchez,1826, p. 367. 15. Nous nous découvrions, nous aussi, emportés vers un avenir ignoré, à travers la pesée des vents, par les battements de nos cœurs. La dissidence ajoutait au désert. Les nuits de Cap Juby, de quart d'heure en quart d'heure, étaient coupées comme par le gong d'une horloge : les sentinelles, de proche en proche, s'alertaient l'une l'autre par un grand cri réglementaire.
A. de Saint-Exupéry, Terre des hommes,1939, p. 187. Rem. 1. Syntagmes rencontrés ajouter le sommeil au sommeil, le temps au temps, le courage physique et moral au courage intellectuel, l'infaillibilité papale à l'infaillibilité militaire, son génie au génie de qqn, les inventions aux découvertes, une peine à ses peines, les tourments à ses douleurs, des malheurs à des malheurs, le ravage au ravage, un crime à ses crimes, l'enchantement de la douceur à celui de l'esprit, de l'innocence à l'innocence, de soi-même à soi-même. 2. Expr. cour. ajouter foi, ne pas ajouter grand'foi à qqc. : 16. ... cette opinion s'accrédita dans tout le camp, et tous les croisés s'en réjouirent : Richard lui-même y ajouta foi, il ne mit point en doute que la main de sa sœur ne fût le prix que vous demanderiez pour unir vos armes aux nôtres; ...
MmeCottin, Mathilde,t. 1, 1805, p. 369. c) [Sans compl. d'obj. ni obj. second.] :
17. Faire un enfant érudit, c'est chose insensée. Lui charger la mémoire d'un chaos de connaissances utiles, inutiles, entasser en lui l'indigeste magasin de mille choses toutes faites, de choses non vivantes, mais mortes et par fragments morts, sans qu'il en ait jamais l'ensemble... c'est assassiner son esprit... Avant d'ajouter, d'accumuler, il faut être. Il faut créer et fortifier le germe vivant du jeune être.
J. Michelet, Le Peuple,1846, p. 344. B.− Emploi pronom. S'ajouter à : 18. ... il faut malheureusement penser que les éléments en étaient sans doute empruntés à ses parents, car nous ne nous faisons pas de toutes pièces nous-mêmes. Mais à une certaine somme d'égoïsme qui existe chez la mère, un égoïsme différent, inhérent à la famille du père, vient s'ajouter, ce qui ne veut pas toujours dire s'additionner, ni même seulement servir de multiple, mais créer un égoïsme nouveau, infiniment plus puissant et redoutable.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,La Fugitive, 1922, p. 585. − [Sans obj. second.] :
19. ... il y a autant d'actions distinctes et indépendantes que de combinaisons binaires entre les particules; les effets des actions ou des forces s'ajoutent, se neutralisent, se composent ou se combinent entre eux selon des lois mathématiques; mais les forces mêmes ne changent ni de sens, ni d'énergie, par suite du conflit ou du concert qui s'établit entre elles.
A. Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances,1851, p. 202. Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [aʒute], j'ajoute [ʒaʒut]. − Rem. Ac. Compl. 1842 réserve encore une entrée à la forme ajouster ,,V. lang.``. Enq. : /aʒut/. Conjug. parler. 2. Dér. et composés : ajout, ajoutable (cf. Quillet 1965), ajoutage, ajoutance, ajoute, ajoutement, ajoutis, ajoutoir, ajouture, rajouter, surajouter. Étymol. ET HIST. − 1119 ajuster « mettre en plus » (Ph. de Thaün, Comput, v. 1941, éd. Mall, Strasbourg, 1873, p. 66 : As sons les ajustat [les jours], A chascun treis dunat); 1262 ajouter « id. » (Livre des miracles de N.-D. de Chartres, 80, éd. Duplessis ds T.-L. : Conterent sanz ajouter fable); p. ext. xiies. ajouter foi (Trad. en dial. lorr. du Dialogus anime conquerentis et rationis consolantis, fo49b, éd. F. Bonnardot ds Romania, t. 5, p. 277 : A cu ajoste tu fai? [cui fidem adhibeas?]).
Dér. de l'a. fr. joster « réunir » (dep. Rol.) jouter*; préf. a-1*. STAT. − Fréq. abs. litt. : 16 146. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 22 912, b) 24 005; xxes. : a) 20 277, b) 24 058. BBG. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Boiss.8. − Bonnaire 1835. − Caput 1969. − Chesn. 1857. − Cohen 1946, p. 14. − Comte-Pern. 1963. − Dup. 1961. − Éd. 1913. − Fromh.-King 1968. − Girard 1756. − Gramm. t. 1 1789. − Guizot 1864. − Laf. 1878. − Noter-Léc. 1912. − Sardou 1877. − Sommer 1882. − Spr. 1967. − Synon. 1818. − Thomas 1956. − Voyenne 1967. |