| AGRESSIVITÉ, subst. fém. A.− Gén. Caractère de (ce) qui est agressif. Comportement agressif; manifestation de ce comportement : 1. Il se dégage de Flaubert tant de nervosité, tant de violence batailleuse, que les milieux dans lesquels il se trouve deviennent bientôt orageux, qu'une certaine agressivité gagne chacun.
E. et J. de Goncourt, Journal,déc. 1873, p. 956. 2. « Je m'affectais péniblement au retentissement de certaines sonorités nouvelles que je distinguais dans sa voix; une sorte d'agressivité, qui me força de penser (peut-être pas à l'instant même, mais en me remémorant notre entretien) que Pauline prenait son parti beaucoup moins facilement qu'elle ne le disait de mes rapports avec Olivier; ... »
A. Gide, Les Faux-monnayeurs,1925, p. 1189. 3. Je me demandai s'ils n'étaient pas tout simplement jaloux de mon sort, les autres, ces petits copains de la Pordurière qui passaient par des alternatives d'anéantissement et d'agressivité. Leur sottise (ils n'avaient que cela) dépendait de la qualité de l'alcool qu'ils venaient d'ingérer, des lettres qu'ils recevaient, de la quantité plus ou moins grande d'espoir qu'ils avaient perdu dans la journée. En règle générale, plus ils dépérissaient, plus ils plastronnaient.
L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit,1932, p. 184. 4. Solange ne souffrait pas d'amour meurtri, elle souffrait d'un échec, et de cette incertitude dont les femmes souffrent beaucoup plus que les hommes. Son dépit avait parfois une flamme d'agressivité un peu sournoise : le taureau de combat est dangereux surtout à la fin de la course, lorsqu'il a été blessé.
H. de Montherlant, Les Lépreuses,1939, p. 1377. − En partic., dans le domaine milit. : 5. Il est 18 heures, la canonnade fait rage sur tout le front de l'armée. La nuit approche, le moment est venu, par plus d'énergie et d'agressivité, de faire pencher la balance de la fortune, en rompant l'équilibre forcément instable de forces aux nerfs tendus à l'extrême depuis plusieurs jours, aussi bien dans le commandement que dans les troupes des deux camps.
F. Foch, Mémoires,t. 1, 1929, pp. 130-131. 6. Lorsque nous avons distingué les moyens de la patience et du courage à souffrir et ceux de l'agressivité, ou du courage à attaquer, et donné le pas aux premiers sur les seconds, ce n'est pas, nous l'avons dès lors expressément marqué, que nous prétendions condamner comme Gandhi tout recours à la force (force charnelle, force de coaction). Il s'agissait pour nous d'établir un ordre entre les moyens, non d'exclure une catégorie de moyens.
J. Maritain, Humanisme intégral,1936, p. 267. 7. ... j'adorais le Cyrano de la pègre, Arsène Lupin, sans savoir qu'il devait sa force herculéenne, son courage narquois, son intelligence bien française à notre déculottée de 1870. L'agressivité nationale et l'esprit de revanche faisaient de tous les enfants des vengeurs. Je devins un vengeur comme tout le monde : séduit par la gouaille, par le panache, ces insupportables défauts des vaincus, je raillais les truands avant de leur casser les reins.
J.-P. Sartre, Les Mots,1964, pp. 95-96. B.− Spéc., PSYCHOL. ,,Tendance ou ensemble de tendances qui s'actualisent dans des conduites réelles ou fantasmatiques, celles-ci visant à nuire à autrui, [à] le détruire, le contraindre, l'humilier, etc.`` (Lapl.-Pont. 1967) : 8. La sublimation érotique est fréquente dans les vocations d'artistes. On a même essayé de relier chaque forme artistique à des tendances plus précises, le goût de la sculpture par exemple à une persistance de l'amour infantile pour la boue et les matières molles. Il est connu qu'une agressivité marquée se satisfait volontiers, selon la classe sociale, dans le métier de boucher ou la fonction de procureur. L'apathie affective et la peur de vivre font des bureaucrates.
E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 92. 9. On fabrique des philosophies qui déconsidèrent l'être spirituel et la pensée au profit de l'instinct et de la force, ou bien on en supprime physiquement les témoins, après les avoir avilis si possible, pour satisfaire le besoin de souiller ce qu'on n'a pu atteindre; en même temps, on leur oppose une apologie vengeresse du corps exalté dans les seuls prestiges de la sexualité et de l'agressivité. Les deux impuissances, érotisme et pruderie, brutalité et idéalisme, avec leurs nuances variées dans l'action et dans la pensée, se rejoignent dans le même désordre doublé du même contresens originel. Le monde moderne nous en présente le trouble et contradictoire mélange.
E. Mounier, Traité du caractère,1946p. 118. 10. Nous verrons que l'opposition agressive est un des traits les plus constants du pervers. Le défi, le cynisme trahissent des révoltes profondes. Il faut enfin placer ici toutes les agressivités passives, si l'on peut ainsi heurter les mots, les pseudo-agressivités de faiblesse, qui frappent de biais en refusant le combat et triomphent sans lutte en déconsidérant l'adversaire : manie de dénigrement, de l'injure à distance, de la récrimination interminable, et, à la pointe, manies morbides de la persécution, où le persécuteur s'affirme persécuté.
E. Mounier, Traité du caractère,1946p. 561. 11. Quand l'homme n'a pas atteint sa maturité d'adulte, il projette narcissiquement sa propre agressivité sur son Dieu. Son Dieu est alors un bourreau au lieu d'un Dieu d'amour.
M. Choisy, Qu'est-ce que la psychanalyse? 1950, p. 105. Prononc. : [agʀ
εsivite] ou [-e-]. Harrap's 1963 transcrit la 2esyllabe avec [ε] ouvert, Pt Rob. avec [e] fermé; d'apr. Warn. 1968, la prononc. en [ε] relève du lang. soutenu, la prononc. en [e] du lang. cour. Enq. : /agʀesivite1/. Étymol. ET HIST. − 1873 « caractère agressif » (E. et J. de Goncourt, supra); 1875 « id. » (Le Temps, 28 nov. 1875, 1rep., 5ecol. ds Littré Suppl. : On veut voir jusqu'où iront cette assurance imperturbable, cette agressivité pétulante).
Dér. de agressif*; suff. -ité*. STAT. − Fréq. abs. litt. : 112. BBG. − Barb.-Cad. 1963. − Bél. 1957. − Foulq.-St-Jean 1962. − Julia 1964. − Lafon 1963. − Lapl.-Pont. 1967. − Moor 1966. − Mots dans le vent. Vie Lang. 1969, no213, p. 690. − Mucch. Psychol. 1969. − Pamart (P.). Infiltrations ou invasions. Vie Lang. 1969, no207, p. 318. − Piéron 1963. − Porot 1960. − Psychol. 1969. − Sill. 1965. |