| AGAPE, subst. fém. A.− HIST. ECCL. Repas du soir pris en commun par les premiers chrétiens et au cours duquel était célébré le rite eucharistique. Les agapes des anciens chrétiens (Ac. 1798-1932) : 1. ... le christianisme est remonté vers sa source; il est revenu au temps de la cène et des agapes, et le Christ doit seul aujourd'hui présider à ces festins.
F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 3, 1848, p. 497. 2. Il était facile de prévoir (...) qu'un jour le repas (l'agape proprement dite) tomberait en désuétude, et qu'il ne resterait que la bouchée eucharistique, signe et mémorial de l'institution primitive.
E. Renan, Hist. des origines du Christianisme,Saint-Paul, 1869, p. 269. 3. L'agape, ou repas du soir en commun, non distingué d'abord de la cène, s'en séparait de plus en plus et dégénérait en abus. La cène, au contraire, devenait essentiellement un office du matin.
E. Renan, Hist. des origines du Christianisme,Marc-Aurèle et la fin du monde antique, 1881, p. 519. 4. Quelle différence entre chanter un bout de latin qu'on appelle l'épître et lire en société la correspondance des confrères, entre un morceau de pain bénit qui n'a plus de sens et l'agape des origines? La séance primitive, l'agape n'avait pas besoin d'être réglée, car elle était spontanée.
E. Renan, L'Avenir de la science,1890, pp. 427-428. 5. Ah! Mes frères, oserons-nous renouveler les naïfs transports des premiers chrétiens? Retrouverons-nous la ferveur des agapes, où, loin des froides perversités du siècle, tous les membres de la communauté, hommes et femmes, garçons et filles, possédés par un immense amour, en proie à l'esprit, se précipitaient dans les bras les uns des autres, ...
J. Romains, Les Copains,1913, p. 243. Rem. Le mot au sens propre est gén. au sing.; mais on trouve le plur. chez Chateaubriand (ex. 1) et peut-être chez Romains (ex. 5). B.− Repas qu'offraient aux pauvres les parents en l'honneur d'un défunt. − P. ext., fam. Repas entre convives unis par des liens de parenté, d'amitié, ou par des intérêts communs; banquet somptueux. 1. Gén. au plur. Agape(s) fraternelle(s); de somptueuses agapes (Ac. t. 1 1932) : 6. Madame de Coulanges nous offre un aperçu de ces fines agapes et de ces dégustations exquises : « J'attends aujourd'hui (24 juin 1695) une compagnie, qui ne vous déplairait pas, ma très-belle; c'est M. de Tréville qui vient lire à deux ou trois personnes un ouvrage qu'il a composé; ...
Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 4, 1859, p. 479. 7. ... vous m'aviez promis de m'envoyer ce matin un mot de votre illustre plume pour me dire si le dîner de lundi aurait lieu. Daudet attend de moi une réponse depuis mercredi. Pouvez-vous venir après-demain à ces fraternelles agapes? Et dois-je compter sur vous demain?
G. Flaubert, Correspondance,1875, p. 173. 8. Il croyait présider une de ces agapes fraternelles comme en tenaient les premiers Chrétiens. Et pour se conformer à l'usage des petites chrétientés primitives d'Éphèse, d'Antioche, de Pergame, qui avaient coutume de lire à haute voix les lettres de saint Paul, il se plaisait à communiquer à son auditoire quelque épître de Vintras, toute pleine de malédictions contre les princes de l'Église et d'effroyables prophéties.
M. Barrès, La Colline inspirée,1913, p. 163. 9. Presque tout le village était là, attiré par la cérémonie et par l'espoir du réveillon que, sous le nom d'agape exceptionnelle, Léopold promettait à ses fidèles depuis la première semaine de l'Avent. Dans les agapes ordinaires, chacun apportait sa part, la congrégation se bornant à offrir un gâteau bénit, dont chacun des assistants emportait un morceau pour sa famille.
M. Barrès, La Colline inspirée,1913p. 183. 10. ... je sais combien il est souvent difficile de trouver un parfait maître queux. Ce sont de véritables agapes auxquelles vous nous avez conviés là.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,À l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, p. 458. 11. ... je crois revoir Doasan jouant ses scènes de bouderie si mystérieuses pour moi, dans le wagon qui nous portait de la gare Saint-Lazare au Cœur-Volant, où se transportaient en été les agapes littéraires de Madame Aubernon, et durant nos retours de Louveciennes.
J.-É. Blanche, Mes modèles,1928, p. 102. 12. ... à droite de la colonnade s'alignent les hôtels dont le plus connu est le Ship, où jadis le Cabinet, en des agapes printanières, venait manger un dîner de poisson, dont le plat de résistance était cette blanchaille nommée whitebait, frai de harengs pêché à marée haute,...
P. Morand, Londres,1933, p. 315. 13. Le docteur Charles Guebel, (...) me faisait l'autre jour une relation enthousiaste des agapes qui, le 2 décembre dernier, marquèrent la réunion des « États généraux de la gastronomie ». (M. Tillier).
Dîner gastronomique au Citron-Club, Combat, 19-20 janv. 1952, p. 3, col. 2. 2. Plus rarement, au sing. : 14. Au fond, la table éclate avec la brusquerie De la clarté heurtant des blocs d'orfèvrerie; De beaux faisans tués par les traîtres faucons, Des viandes froides, force aiguières et flacons, Chargent la table où s'offre une opulente agape;
V. Hugo, La Légende des siècles,Éviradnus, t. 1, 1859, p. 343. 15. À sept heures, la cordialité aux lèvres et la poignée de main toute prête, il montait l'escalier de Lemardelay, où « l'association amicale » des anciens élèves de son collège donnait son banquet annuel. Au dessert, il prenait la parole, récitait le discours qu'il avait improvisé dans la journée à son cercle, parlait « d'agape fraternelle, de famille retrouvée, de lien entre le passé et l'avenir, d'assistance aux anciens camarades frappés de malheurs immérités... »
E. et J. de Goncourt, Renée Mauperin,1864, p. 193. 16. Ces mêmes vendangeurs dont j'ai chanté l'agape Défilèrent tenant d'un chapelet la grappe. Ils allaient vénérer la cendre de nos corps. La terre où ils allaient est la terre des morts.
F. Jammes, Les Géorgiques chrétiennes,Chants 1-2, 1911, p. 51. 17. Ils partagèrent l'agape, en se servant eux-mêmes, comme dans la cène mystique des tauroboliés et des mithriastes. Ils cassèrent du bois de menthe, sur le seuil, pour en parfumer le thé. Dans l'immense cheminée couronnée d'un chapelet de piment rouge, avec un roseau percé ils soufflèrent sur le feu vivant.
H. de Montherlant, Les Bestiaires,1926, p. 570. 18. Dès la seconde entrevue, il s'était mis en tête de nous convier à quelque repas. « Ce ne sera pas un festin, disait-il. Une simple agape fraternelle pour fêter mon entrée comme teneur de livres à la Petite Marinière.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Notaire du Havre, 1933, p. 87. Rem. Les ex. 8 et 17 constituent une transition entre le sens propre et l'ext. de ce sens. Ces banquets fraternels (ex. 7, 18) réunissent des pers. appartenant à une même profession (ex. 12, 16) ou une même communauté (ex. 9). Parfois le seul lien entre les convives est un goût commun pour la gastr. (ex. 6, 10, 13 et 14). Agape(s) devient alors synon. de festin somptueux, de plaisir de gourmets. Empl. au sing., le mot reprend parfois une coloration de ferveur mystique (ex. 16 et 17). − FRANC-MAÇONN. Banquet qui suit les travaux des fêtes de l'ordre, dans les ateliers supérieurs. Rem. Attesté ds Lar. 19e, Nouv. Lar. ill. − Au fig. Communion, relation intime, union mystique de deux âmes : 19. En dehors du toucher et de la vue du corps, il y a la fraternité des âmes, agape mystérieuse où l'on boit dans la même coupe la parole du Seigneur et les rayons de flamme de l'Esprit Saint.
A. Dumas(Lar. 19e). Rem. Attesté ds Lar. 19e, Nouv. Lar. ill., Pt Rob. Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [agap]. Enq. : /agap/. 2. Dér. et composés : agapé, agapémonites (cf. Lar. encyclop.), agapètes. 3. Forme graph. − Ac. t. 1 1932, Quillet 1965 et Dub. enregistrent la vedette au plur. (cf. pour le xixes. Ac. 1798 Suppl. 1825, Ac. 1798 Suppl. 1835, Boiste 1834, Land. 1834). Étymol. ET HIST. − 1574 hist. relig. « repas communautaire des premiers chrétiens » (Tigeou, St Cyprien, 30 ds Quem. t. 1 1959 : [ce banquet] est nommé agape).
Empr. au lat. chrét. agape (empr. au gr. chrét. α
̓
γ
α
́
π
η « affection », « amour divin » et « repas fraternel des premiers chrétiens », Clément d'Alexandrie, 1, 384, 1112, Migne, ds Bailly) « amour » Tert., Orat., 28 ds TLL s.v. 1266, 51; « repas fraternel, festin offert aux pauvres par des membres de l'Église », dep. Tert., Apol. 39; voir Théol. cath., t. 1, pp. 553-554; première allusion à cet usage : Paul I Cor., XI, 17-34 où l'apôtre reproche aux Corinthiens leur essai d'agape eucharistique; coutume en usage seulement jusqu'à fin iie-iiies. STAT. − Fréq. abs. litt. : 64. BBG. − Ac. Gastr. 1962. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Bible 1912. − Bible Suppl. t. 1 1928. − Boiss.8. − Bouyer 1963. − Dheilly 1964. − Dup. 1961. − Marcel 1938. − Mont. 1967. − Perraud 1963. − Prév. 1755. − Théol. cath. t. 1, 1 1909. − Thomas 1956. |