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ABSURDITÉ, subst. fém.
I.− Au sing. Caractère ou sentiment de ce qui est absurde, contraire à la raison.
A.− Emploi abs. avec l'art. déf., PHILOS. :
1. On passe bien des folies aux femmes et elles font passer bien des folies; mais, encore un coup, il y a un degré, même pour l'absurdité, et il est un point où la déraison n'a plus de sexe : c'est de l'extravagance pure... M. de Guérin, Correspondance,1839, p. 373.
2. ... l'absurdité est une passion, la plus déchirante de toutes. Mais savoir si l'on peut vivre avec ses passions, savoir si l'on peut accepter leur loi profonde qui est de brûler le cœur que dans le même temps elles exaltent, voilà toute la question. A. Camus, Le Mythe de Sisyphe,1942, p. 38.
3. ... l'absurdité naît d'une comparaison. Je suis donc fondé à dire que le sentiment de l'absurdité ne naît pas du simple examen d'un fait ou d'une impression mais qu'il jaillit de la comparaison entre un état de fait et une certaine réalité, entre une action et le monde qui la dépasse. A. Camus, Le Mythe de Sisyphe,1942p. 48.
B.− [En parlant d'un jugement, d'un comportement, d'un événement de la vie humaine] :
4. C'est là la perfection de la raison. Le délire et la folie proprement dite sont l'excès contraire. L'entraînement des passions et des affections est l'état intermédiaire et le plus commun. Je trouve enfin que l'on explique encore très bien par l'imperfection de nos souvenirs, l'incohérence et l'absurdité de nos idées dans les songes. A.-L.-C. Destutt de Tracy, Éléments d'idéologie, Logique, 1805, p. 321.
5. Et il m'a expliqué mon chemin, d'une voix qui s'entendait à l'autre bout du champ. Je sentais l'impossibilité absolue qu'il y avait, l'absurdité, le non-sens que c'eût été d'essayer de lui parler de ce qui s'était jadis passé là. J. Rivière, Alain-Fournier, Correspondance,lettre de A. F. à J. R., juill. 1911, p. 281.
6. Notre vie est impossibilité, absurdité. Chaque chose que nous voulons est contradictoire avec les conditions ou les conséquences qui y sont attachées, chaque affirmation que nous posons implique l'affirmation contraire, tous nos sentiments sont mélangés à leurs contraires. C'est que nous sommes contradiction, étant des créatures, étant Dieu et infiniment autres que Dieu. La contradiction seule fait la preuve que nous ne sommes pas tout. S. Weil, La Pesanteur et la grâce,1943, p. 99.
P. ext. [En parlant de pers. envisagées sous le rapport de leur comportement, de leur jugement] :
7. L'homme du Nord jugera ordinairement mieux que l'homme du Midi. Mais si cette supériorité de jugement ne tient qu'à l'absence de l'imagination, elle aura un champ trop borné. Ces personnes seront d'une absurdité parfaite toutes les fois qu'elles sortiront du cercle étroit de leurs idées. C.-V. Bonstetten, L'Homme du Midi et l'homme du Nord,1824, p. 85.
8. Il se méprisait horriblement. Si par malheur il se forçait à parler, il lui arrivait de dire les choses les plus ridicules. Pour comble de misère, il voyait et s'exagérait son absurdité;... Stendhal, Le Rouge et le Noir,1830, p. 42.
9. J'ai l'absurdité, la folie de Louise Michel. M. Barrès, Mes cahiers,1907, p. 138.
II.− Sens concret, souvent au plur. (cf. Gattel 1818).Chose (idée, raisonnement, parole, comportement, action) absurde, produit d'une intelligence ou d'une imagination absurde :
10. ... ce n'est point Dieu qui a fait l'homme à son image; c'est l'homme qui a figuré Dieu sur la sienne; il lui a donné son esprit, l'a revêtu de ses penchans, lui a prêté ses jugemens... et lorsqu'en ce mélange il s'est surpris contradictoire à ses propres principes, affectant une humilité hypocrite, il a taxé d'impuissance sa raison, et nommé mystères de Dieu, les absurdités de son entendement. C.-F. de Volney, Les Ruines,1791, p. 85.
11. ... tant d'absurdités et de folles idées réunies dans un ou deux chapitres de ce livre merveilleux, ne peuvent être admises comme histoire par l'homme qui n'a pas éteint entièrement le flambeau sacré de la raison dans la fange des préjugés. S'il était quelqu'un parmi nos lecteurs, dont la crédulité courageuse fût en état de les digérer, nous le prions bien franchement de ne pas continuer à nous lire, ... C.-F. Dupuis, Abrégé de l'origine de tous les cultes,1796, p. 311.
12. Je suis un pauvre homme bien simple et bien facile et bien homme, « tout ondoyant et divers », cousu de pièces et de morceaux, plein de contradictoires et d'absurdités. Si tu ne comprends rien à moi, je n'y comprends pas beaucoup plus moi-même. Tout cela est trop long à expliquer et trop ennuyeux; mais revenons à nous. G. Flaubert, Correspondance,1846, p. 405.
13. ... les absurdités d'un temps deviennent l'objet sérieux des études d'un autre temps; et comme on ne veut pas avoir l'air de s'appliquer gravement à des absurdités, on suppose à celles-ci des raisons secrètes et des lois profondes qui n'y furent jamais. On leur prête un grand sens qu'elles n'ont pas eu. C'est là un art, peut-être nécessaire, pour mettre quelque ordre dans le fouillis des opinions humaines; ... Ch.-A. Sainte-Beuve, Pensées et maximes,1868, p. 132.
14. Car vous entendez bien, mon fils, que ce qu'on appelle absurdités du sort et caprices de la fortune ne sont en réalité que les revanches que la sagesse divine prend... A. France, Les Opinions de M. Jérôme Coignard,1893, p. 191.
15. À la place du Dieu Pan, les chevaliers français installèrent en Arcadie leur déesse qui était l'honneur. Ce sont deux puissants dieux, l'un plus champêtre, l'autre plus social. On les aime l'un et l'autre jusque dans leurs absurdités, hypostases qu'il est interdit d'expliquer. Par une conjonction merveilleuse, ... M. Barrès, Le Voyage de Sparte,1906, p. 226.
16. J'abrite en moi avec une parfaite aisance en même temps deux sentiments contradictoires et cela, sans le chercher, naturellement... Oui, vraiment, je me partage en deux et de cela j'ai véritablement peur... Vous-même vous êtes intelligent et raisonnable et l'autre veut absolument commettre quelque absurdité. H. Massis, Jugements,t. 2, 1924, p. 45.
17. Que ma souffrance ait un sens, me rachète, est-ce que je l'espère encore? Si tout était encore une imposture? Une absurdité dont, une fois de plus, je serai victime? Si rien ne signifiait rien, ... Daniel-Rops, Mort, où est ta victoire?,1934, p. 251.
18. ... nous sommes enchantés d'autant plus que notre raison proteste. Si la vérité pourtant n'était pas conforme à la raison ni à la logique humaine? Si elle était vraiment cette folie qu'à dénoncée saint Paul, et après lui Tertullien, cette absurdité? Si la vérité errait voilée parmi les hommes, selon le mot de Pascal, et s'il la fallait ravir par une méthode ignorée de Descartes? F. Mauriac, Journal du temps de l'occupation,1944, p. 340.
19. La mort est ainsi privée de signification, et elle devient impénétrable à l'esprit. Deux mondes se dressent l'un contre l'autre. La mort est une absurdité, un non-sens! elle est donc rejetée dans le domaine des choses indifférentes, sur lesquelles nous n'avons pas de prise et qui ne nous regardent pas. J. Vuillemin, Essai sur la signification de la mort,1949, p. 304.
Rem. Le sing. peut avoir une valeur de coll. et signifier : « tout ce qui est absurde » :
20. Je rentrai, je fermai ma porte, épouvanté, Malade et morfondu, l'esprit fièvreux et trouble, Blessé par le mystère et par l'absurdité Ch. Baudelaire, Les Fleurs du Mal,Les Sept vieillards, 1857, p. 155.
21. Le spectacle de ce que furent les religions, et de ce que certaines sont encore, est bien humiliant pour l'intelligence humaine. Quel tissu d'aberrations! L'expérience a beau dire « c'est faux » et le raisonnement « c'est absurde », l'humanité ne s'en cramponne que davantage à l'absurdité et à l'erreur. H. Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion,1932, p. 105.
III.− Sens techn. Cf. styl.
Stylistique − L'emploi lat. comme terme d'acoustique (« dissonance », cf. étymol.) particulièrement usité en mus. et en poét., ne s'observe en fr. que dans 2 expr. : absurdité tonale (F.-J. Fétis, Traité d'harmonie, 1849, p. 17), absurdité d'instrumentation (H. Berlioz, À travers chants, 1862, p. 177). Le lat. a en revanche transmis au sens fig. du mot fr. la nuance péj. de absurditas. En fr., absurdité est attesté d'abord dans un cont. de controverse théol. (cf. étymol.); puis il s'applique à d'autres domaines, mais reste le propre d'un niveau de lang. élevé (en parlant d'un discours, d'un raisonnement, mais toujours dans un entourage de vocab. recherché). La nuance péj. du mot est souvent accentuée par recours à des moyens d'expr. intensifs ou expr. du type : grande absurdité, rare absurdité, molle absurdité, tant d'absurdité, le comble de l'absurdité, etc. ou de tours exclam. : Quelle absurdité!, etc. 22. Je ne répondrai point aux mille et une absurdités qu'on a débitées contre cet ouvrage : ... J.-H.-F. La Martelière, Robert, chef des brigands, préf., 1793, p. v. 23. Un traité de commerce avec l'Angleterre. Quelle absurdité! Quelle ingratitude! Quoi! Vous passez par un miracle du néant à la vie, ... Maine de Biran, Journal, 1814, p. 12. 24. Absurdité! Stupeur! Ça va être mis dans les journaux! Enfin ma vie est un rêve. P.-A.-M. de Villiers de L'Isle-Adam, Correspondance générale, 1869, p. 136. Au xxes., le mot connaît un regain de vitalité avec l'essor de la philos. existentielle, pour laquelle l'absurdité fournit une explication du monde; le mot perd alors une part de sa nuance péj. (cf. aussi l'ex. 18 avec un cont. relig. et allus. au célèbre credo quia absurdum) : 25. Le mot d'absurdité naît à présent sous ma plume : tout à l'heure, au jardin, je ne l'ai pas trouvé, mais je ne le cherchais pas non plus, je n'en avais pas besoin : je pensais sans mots sur les choses, avec les choses. L'absurdité, ce n'était pas une idée dans ma tête, ni un souffle de voix, mais ce long serpent mort à mes pieds, serpent de bois, serpent ou grille ou racine ou serre de vautour, peu importe. Et sans rien formuler nettement, je comprenais que j'avais trouvé la clé de l'existence, la clé de mes nausées, de ma propre vie. De fait, tout ce que j'ai pu saisir ensuite se ramène à cette absurdité fondamentale. J.-P. Sartre, La Nausée, 1938, p. 164.
Prononc. : [ab̭syʀdite]. Enq. : /apsyʀdite1/.
Étymol. − Corresp. rom. : prov. absurditat; ital. assurdità; esp. absurdidad; cat. absurditat; port. absurdidade. 1371-75 « acte ou affirmation contraire au sens commun » (dans trad. cont. relig.) (Raoul de Presles, Cité de Dieu, VIII, 20 [1531] ds Quem. : ceste erreur ou absurdité et indignité si grant); « id. » (ibid., XIV, 22 : contredire que masle et femelle n'ont pas esté ainsi creez en corps de divers sexes à ce qu'ilz creussent et fussent multipliez... c'est grant absurdité); 1541 « id. » (Calvin, Institution Chrétienne, éd. Pannier, chap. I, p. 65 : ces blasphemateurs... ne se soucyent pas de quelles absurditez ils s'envelopent). Empr. au lat. chrét. absurditas dep. St Augustin (au sens propre de « dissonance », terme de musicologie et de poétique, De Musica, 4, 16, 33) au sens fig. : cf. De civ. Dei, VIII, 21, éd. Dombart et Kalb, Coll. Corpus christ. Lat., XLVII : Sed nimirum tantae hujus absurditatis et indignitatis est magna necessitas; et ibid., XIV, 21 : apparet... masculum et feminam ita creatos ut prolem generando crescerent et multiplicarentur, magnae absurditatis est reluctari. HIST. − Comme pour l'adj. absurde (cf. absurde, hist.) c'est le sens fig. du lat. « ce qui est contraire au sens commun » qui devient sens premier en fr. (cf. étymol.). Le sens propre « dissonance (physique) » n'y est passé que dans 2 loc. du vocab. de la mus. (cf. styl.). Au fig., absurdité se présente sous 2 aspects : subst. concrétisé et subst. abstr.; contrairement à la logique de la lang., qui en soi conçoit d'abord la qualité abstr. puis la concrétise, c'est le subst. concrétisé qui est historiquement le premier attesté en discours. I.− Le subst. concrétisé. − A.− Au xvies. il est concurrencé par l'adj. substantivé avec l'article indéfini, un absurde (cf. absurde, hist. II A) : De toutes les absurdités, la plus absurde aux épicuriens est de désavouer la force et l'effet des sens. Montaigne, II, 12 (Littré). B.− Après le xvies. (cf. absurde, hist. II A) absurdité s'impose seul, et d'abord au plur. semble-t-il, et se maintient jusqu'au xxes. (cf. sém.) : 1. xviies. : Il s'ensuivrait de grandes absurdités d'une telle supposition. Fur. 1690. Les impies sont tombés dans toutes les absurdités. Bossuet, Hist. II, 13 (Littré). 2. xviiies. : Que ceux qui nous exhortent à faire ce qu'ils disent, et non ce qu'ils font, disent une grande absurdité. Rousseau, Julie, [1761], t. II, p. 84 (Rob.). II.− Le subst. abstrait. − A.− En emploi absolu, il apparaît au tout début du xviiies. : Ce qui est le comble de l'absurdité. Fénelon, Existence de Dieu, [1712], I, 3 (DG). B.− Suivi d'un complément, il est un peu postérieur : 1. Se rapportant à un inanimé désignant une activité hum. : L'absurdité d'un discours. Ac. 1762. 2. P. ext., se rapportant à l'animé hum. : On dit par extension, en parlant des personnes, Cet homme est d'une absurdité rare. Ac. 1798. − Rem. cf. dès 1757 : L'absurdité de ces gens-là. Voltaire, Lett. 7/8/1757 (DG).
STAT. − Fréq. abs. litt. : 757. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 1 240, b) 476; xxes. : a) 855, b) 1 391.
BBG. − Foulq.-St-Jean 1962. − Lafon 1963. − Lal. 1968. − Marwald (J. R.). Die Bedeutungsentwicklung von französisch absurde und absurdité (Diss. Bonn. 1962). − Miq. 1967. − Piguet 1960. − Porot 1960.