| ÉVENTRER, verbe trans. A.− [Le compl. désigne une pers., un animal] 1. Ouvrir le ventre pour le vider de son contenu. Éventrer un bœuf, un mouton; éventrer une carpe (Ac.). Il [Gilles de Rais] alla même, un jour que sa provision d'enfants était épuisée, jusqu'à éventrer une femme enceinte et à manier le fœtus! (Huysmans, Là-bas,t. 2, 1891, p. 15).Je tourne la tête vers la charcuterie aux châteaux de saindoux, aux vessies gonflées, aux porcs éventrés, sans entrailles (Arnoux, Chiffre,1926, p. 190). 2. P. ext. Déchirer, déchiqueter, ouvrir le ventre. Il m'apprenait comment on doit mettre le pouce sur la lame [d'un couteau] pour éventrer convenablement son homme sans se couper les doigts (Mérimée, Mosaïque,1833, p. 317).Un sanglier surgit et prend la fuite : un lévrier, le gagnant de vitesse, le saisit par l'oreille; mais l'animal furieux l'éventre d'un coup de boutoir (Faral, Vie temps st Louis,1942, p. 36): 1. ... avec leurs défenses, ils les éventraient, les lançaient en l'air, et de longues entrailles pendaient à leurs crocs d'ivoire comme des paquets de cordages à des mâts.
Flaub., Salammbô,t. 1, 1863, p. 170. − Emploi passif. Ce soldat fut éventré d'un coup de baïonnette (Ac.). Rem. 1. Au part. passé. Bête, cheval éventré(e). Des moutons éventrés avec leurs organes en pagaïe (Céline, Voyage, 1932, p. 28). 2. La docum. atteste un emploi subst. du part. passé. Une bombe a tué sept personnes (...) il [le petit roi d'Espagne] serait rentré en pleurant, sans regarder les éventrés (Bloy, Journal, 1907, p. 304). − Au fig. et p. exagér. Détruire, ruiner financièrement, moralement. Dans ces batailles de l'argent (...) où l'on éventre les faibles, sans bruit, il n'y a plus de liens, plus de parenté, plus d'amitié : c'est l'atroce loi des forts, ceux qui mangent pour ne pas être mangés (Zola, Argent,1891, p. 340). − Emploi pronom. a) Réfl. [Le suj. désigne une pers.] S'ouvrir le ventre. Le Japonais s'éventre par point d'honneur (Ac.). b) Réciproque. Se battre, s'entretuer. Quatre cent mille braves gens qui s'éventrent, sans comprendre (Péladan, Vice supr.,1884, p. 181). Rem. On rencontre ds la docum. un ex. au fig. et p. exagér. Il aut travailler pour Werdet qui s'éventre pour me donner l'argent nécessaire à (...) ma vie (Balzac, Lettre Étr., t. 1, 1850, p. 240). B.− P. anal. et p. métaph. [Le compl. désigne un inanimé concr., notamment un contenant] 1. [P. anal. avec A 1; avec l'idée d'atteindre, de s'emparer du contenu] Fendre, défoncer, ouvrir brutalement en causant des dommages. a) [Le compl. désigne un sac, un coffre, etc.] Éventrer un matelas pour y chercher un trésor (Rob.).Derrière une pile de linge, mes doigts se heurtent contre un coffret mystérieux, je le prends, je l'éventre (...) et je trouve trente-deux lettres d'amour (Labiche, Clou aux maris,1858, 8, p. 471).Certains vauriens (...) avaient pour spécialité d'éventrer les marchandises fraîchement débarquées et de dévaliser les marins dans les mauvais lieux (Morand, New-York,1930, p. 76): 2. Pendant huit heures consécutives, ils éventrèrent les paquetages, retournèrent les paillasses et scrutèrent planchers et plafonds (...) au terme de cette fouille géante, pas la moindre victuaille suspecte, pas le moindre objet prohibé...
Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 329. − Emploi pronom. passif. S'ouvrir en répandant son contenu. S'il ficelle un paquet, le nœud se défait et tout le paquet s'éventre (Renard, Journal,1906, p. 1043). b) [Le compl. désigne une nourriture ou qqc. contenant une nourriture, une boisson] Éventrer un pâté, un tonneau. Il éventra une boîte de « corned-beef » (Miomandre, Écrit sur eau,1908, p. 276).Le « pie » apparaît, dans sa faïence anglaise. Denise éventre la croûte, et une buée épicée de viande cuite vient jusqu'à André (Martin du G., Devenir,1909, p. 181). Rem. On rencontre ds la docum. des emplois de éventrer au sens de « entamer, découper brutalement, sans idée d'atteindre ce qui est contenu ». Ils se jetaient sur la viande et l'un après l'autre, à coups féroces, ils l'éventraient (Dorgelès, Croix de bois, 1919, p. 184). 2. [P. anal. avec A 2] a) [L'idée dominante est celle d'entailler, le contenu faisant éventuellement saillie]
α) [Le compl. désigne des tapisseries, des sacs, etc.] Fendre, découper, déchirer. Éventrer un carton, un colis. Ils défoncent les meubles, font voler les vitres en éclats, crèvent les chaises, éventrent les fauteuils (France, Étui nacre,Pt soldat plomb, 1892, p. 313).Les lettres répandues sur le ballast, hors des sacs éventrés (Tharaud, Dingley,1906, p. 75). Rem. On rencontre ds la docum. des emplois au part. passé au sens de « déchiré, entaillé par l'usure, le vieillissement ». Coussin, édredon, tabouret éventré. Livres de musique, à dos rongés, éventrés (Balzac, Fille Ève, 1839, p. 180). Mademoiselle de Reu (...) fut trouvée morte sur une paillasse éventrée et pourrie (France, Anneau améth., 1899, p. 93).
β) [Le compl. désigne une construction (p. méton. une agglomération), un navire, etc.] Pratiquer des brèches, endommager par de larges ouvertures. La trirème bondit (...) elle refoulait, éventrait les autres navires amarrés à des pieux (Flaub., Salammbô,t. 1, 1863, p. 116).La vision de Varsovie éventrée l'oblige à demeurer un long temps immobile (Mauriac, Journal 2,1937, p. 286). − Fréq. au part. passé. Chaumière, hangar, maison, tour éventré(e); navire éventré par un écueil. Tout l'effort humain réduit à soutenir pour quelques heures, à étayer au-dessus des têtes branlantes, les toits crevés, les plafonds éventrés (L. Febvre, Combats pour hist.,1946, p. 41). − Emploi pronom. passif. La voûte va s'éventrer comme un ventre trop plein et qui crève (Flaub., Smarh,1839, p. 84). b) [Le compl. désigne un élément naturel élevé, une haie, etc.] Pratiquer une ouverture béante, faire une trouée. Des tempêtes avaient ravagé les côtes, éventré des falaises (Zola, Joie de vivre,1884, p. 1107).La foule nous a suivies, mais trop serrée dans le chemin, elle a éventré les haies qui le bordent (Colette, Cl. école,1900, p. 290).La bête souple du feu a bondi d'entre les bruyères (...) ici elle éventre une chênaie (Giono, Colline,1929, p. 144). c) [Le compl. désigne un sol] Creuser profondément. On extrayait du sol le sable, la chaux et les moellons, on éventrait les champs (Arnoux, Juif Errant,1931, p. 130). − Emploi pronom. passif. Se creuser, s'ouvrir, se fendre. Ils [des milliers d'hommes] écoutaient la terre se fendre sous le choc des obus, s'éventrer tout autour d'eux (Romains, Hommes bonne vol.,1938, p. 23). Rem. La docum. atteste a) Éventrable, adj. Il [Marchenoir] avait parfois des colères muettes et blanches de séditieux comprimé, qui eussent donné la colique à un éventrable despote (Bloy, Désesp., 1886, p. 42). b) Éventrage, subst. masc. Les éventrages les plus traîtres, les plus affreuses déchirures, c'était les fois qu'il s'empalait sur un poteau télégraphique (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 455). Prononc. et Orth. : [evɑ
̃tʀe], (il) éventre [evɑ
̃:tʀ
̥]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. [1erquart xiiies. esventré « qui a le ventre vide » (Reclus de Molliens, Charité, 10, 11 ds T.-L. : Covoitise est toute esventree Adès, tant ne set enventrer) ex. isolé]; 1538 « ouvrir le ventre » (Est.). Dér. de ventre*; préf. é-*; suff. -é*; dés. -er. Fréq. abs. littér. : 398. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 247, b) 689; xxes. : a) 847, b) 599. |