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ÉVEIL, subst. masc.
A.− Vx ou littér. Action d'éveiller, de sortir de l'état de sommeil. (Quasi-)synon. réveil.Ce matin, à l'éveil, je suis assiégé de mille idées pessimistes (Amiel, Journal,1866, p. 467).Il est quantité de gens qui, dès l'éveil, se mettent au « garde à vous » et cherchent à remplir leur personnage (Gide, Ainsi soit-il,1951, p. 1239):
1. Du reste, quand je m'étais décidé à éveiller Albertine, j'avais pu le faire sans crainte, je savais que son éveil ne serait nullement en rapport avec la soirée que nous venions de passer, mais sortirait de son sommeil comme de la nuit sort le matin. Proust, Prisonn.,1922, p. 115.
[En parlant d'animaux] L'éveil d'une volière. Un long miaulement ennuyé annonce la fin du jour, l'éveil des chats, l'approche du dîner (Colette, Mais. Cl.,1922, p. 33).
Au plur. Moments d'éveil, périodes de veille. À ce souci qui est de règle, s'il s'ajoute une appréhension aussi obsédante (...) les nuits sont forcément coupées d'éveils (Bosco, Mas Théot.,1945, p. 142).
(Tenir) en éveil. (Tenir) en état de veille, éveillé. Toute la nuit le village fut en éveil (Flaub., MmeBovary,t. 2, 1857, p. 172).Je fus pris tout à coup de malaises bizarres et inexplicables. Ce fut d'abord une sorte d'inquiétude nerveuse qui me tenait en éveil des nuits entières (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Horla, 1886, p. 1088).Des chiens en éveil ont hurlé toute la nuit (Régnier, Sites,1887, p. 137).Mais je me rappelle que cette nuit-là je dormis fort mal, tenu en éveil par une conversation imaginaire avec le gouverneur de Virginie (Green, Journal,1939, p. 223).
B.− Au fig.
1. [En parlant des facultés, des sentiments, de la nature] Action d'apparaître, de (se) révéler. Pour se développer, ces dispositions à l'éveil avaient besoin de temps et de circonstances favorables (Renan, Souv. enf.,1883, p. 146):
2. Je repensai soudain à mon éveil religieux (...) à Laura et à cette école du dimanche où nous nous retrouvions, moniteurs tous deux, (...) discernant mal, dans cette ardeur qui consumait en nous tout l'impur, ce qui appartenait à l'autre et ce qui revenait à Dieu. Gide, Faux-monn.,1925, p. 1009.
a) [Avec un compl. prép. à] Action de s'ouvrir à (quelque chose). L'étonnement que l'éveil à la poésie provoqua chez l'homme de trente ans (Béguin, Âme romant.,1939, p. 189).Ce sentiment éprouvé à quinze ans a été mon véritable éveil à l'existence (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 250).Activités d'éveil.
Donner l'éveil à. Faire naître. Il n'était pas besoin de tant de circonstances excitantes pour donner l'éveil au génie philosophique et scientifique du jeune Blaise (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 2, 1842, p. 455).
b) Au plur., absol. Elle patientait, attendant qu'il grandît. À mesure qu'elle constatait certains éveils, elle se rassurait, elle pensait que l'âge en ferait un homme (Zola, Faute Abbé Mouret,1875, p. 1331).La vie d'un homme n'est qu'une longue suite d'éveils et de fixations; les deux mouvements peuvent longtemps se compenser (Ricœur, Philos. volonté,1949, p. 282):
3. Il n'est pas rare qu'un enfant, à l'heure des éveils, rencontre un jour ce condisciple ou cet aîné, pareil au magicien des contes arabes, dont les paroles fatidiques jettent un sort sur sa destinée. Un petit voisin de campagne a joué pour moi ce rôle. Martin du G., Souv. autobiogr.,1955, p. xlii.
c) [Avec un compl. prép. de] Éclosion, première manifestation (d'un sentiment, d'une quantité, d'une aspiration). L'éveil tardif de la puberté. J'aime à saisir le premier éveil d'une vocation, le déchiffrement de l'instinct (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 3, 1848, p. 519).Tout était en elle séduction, éveil de sensualité (Moselly, Terres lorr.,1907, p. 215).Je l'entendis confier à M. Simonnot (...) que personne, au soir de la vie, n'assistait sans émotion à l'éveil d'un talent (Sartre, Mots,1964, p. 128).
Au plur. Éveils de la chair. Je l'ai connu [Henry Descamps] dans le beau temps des poëtes naissants et des éveils d'esprits (Hugo, Corresp.,1856, p. 251).Éveils terribles du cœur et des sens, grandes révoltes, et puis retour à la vie ascétique du large, à la séquestration sur le couvent flottant (Loti, Mon frère Yves,1883, p. 3).
2. P. anal. [En parlant de groupes d'hommes, de collectivités] Éveil des masses, des multitudes. L'éveil des peuples économiquement retardés impose, comme fit celui des classes passives, d'inventer de nouveaux équilibres humains (Perroux, Écon. XXes.,1964, p. 19).
Donner l'éveil à. Donner une impulsion à, faire naître. Il [Boris] se plaisait à attirer les Allemands dans ses États pour donner l'éveil à l'industrie (Sainte-Beuve, Caus. lundi,t. 7, 1851-62, p. 374).
C.− Avertissement, alerte.
1. Donner l'éveil
a) Vieilli. Attirer l'attention (de quelqu'un sur une chose qui lui échappe). Je recevrai, j'espère, ces détails que vous m'avez promis : (...) après m'avoir donné l'éveil, pouvez-vous m'en faire attendre si longtemps l'explication? Ne devinez-vous pas mon inquiétude? (J.-J. Ampère, Corresp.,1825, p. 331).Une lettre qui lui donnait l'éveil sur la haine toujours vivante que le ministre de l'Intérieur avait pour lui (Stendhal, L. Leuwen,t. 3, 1835, p. 253).
b) Usuel. Donner l'alerte, mettre en garde, attirer l'attention. Elles devraient avoir un chien, quand ce ne serait que pour donner l'éveil (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Pierrot, 1882, p. 348).Un prisonnier allemand, resté par hasard dans la buanderie, les avait vus escalader le mur, et avait donné l'éveil (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 293).En attendant elles [les batteries allemandes] se garderaient bien de tirer dessus, même à titre d'essai, de peur de donner l'éveil (Romains, Hommes bonne vol.,1938, p. 31).
[Avec un compl. prép.] Il fallait expliquer la présence de Florent, en évitant de donner l'éveil à la police (Zola, Ventre Paris,1873, p. 658).
2. Vieilli. Avoir (l')éveil (de/sur qqc.). Avoir son attention dirigée sur quelque chose (surveiller quelque chose). Mais pour qu'il soit repris, il faut que la police ait l'éveil (Ponson du Terr., Rocambole,t. 1, 1859, p. 676).Yvan sortit de la porte cochère, et me dit : Je suis là pour vous prévenir. La police a l'éveil sur cette maison (Hugo, Hist. crime,1877, p. 42).Ces curiosités étaient au-dessus de ma raison, qui si elle en avait eu quelque éveil, aurait mis sa fierté à les écarter (Barrès, Amori,1902, p. 122).
3. En éveil
a) (Être) en éveil. (Être) attentif, sur ses gardes. (Quasi-)synon. épier, (être) aux aguets.
α) [En parlant de l'homme] Vous devez être particulièrement en éveil à l'égard de tels alliés qui seraient, peut-être, trop enclins à considérer la France libre comme quantité négligeable (De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 507).
Avoir l'œil en éveil. Il allait, l'œil en éveil, l'oreille tendue (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Père Milon, 1883, p. 215).
β) P. anal. [En parlant d'un sens, d'une faculté, d'une qualité, etc.] Dans un état d'excitation particulière. Avoir l'esprit en éveil; imagination en continuel éveil; désir toujours en éveil. La curiosité des petites villes, toujours en éveil (Zola, DrPascal,1893, p. 181):
4. ... ce que le lecteur découvre sous ces dialogues romanesques (...) est peu de chose auprès de ce qu'il peut lui-même découvrir quand (...) tous ses instincts de défense et d'attaque en éveil, excité et sur le qui-vive, il observe et écoute ses interlocuteurs. Sarraute, Ère soupçon,1956, p. 112.
b) Mettre en éveil. Avertir, mettre en état d'alerte. Rose Mignon, mise en éveil par la présence de Nana, comprit tout d'un coup (Zola, Nana,1880, p. 1330).Une grossièreté qui eût mis en éveil quelqu'un de plus fin que M. Jeannin (Rolland, J.-Chr.,Antoinette, 1908, p. 848):
5. La compagnie s'égaillera derrière eux en laissant des intervalles pour ne pas attirer l'attention. Un caillou a roulé et les guetteurs allemands, du haut du fort, mis en éveil, lancent des fusées et font feu. Bordeaux, Fort de Vaux,1916, p. 248.
P. anal. [En parlant d'un trait de caractère, d'une qualité] C'était une bêtise sans doute; seulement, l'idée le tourmentait, il se sentait attiré, son vice mis en éveil (Zola, Nana,1880p. 1153).Sa curiosité serait mise en éveil par le moindre bruit insolite (Bosco, Mas Théot.,1945, p. 264).
c) Tenir en éveil. Ils auront le devoir de se tenir en éveil, en constatant que nous les laissons en face de l'Allemagne unifiée (Joffre, Mém.,t. 2, 1931, p. 381).Tenir une fraction de nos forces toujours en éveil, prête à se déployer tout entière, à tout instant (De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 6).Cet âge juvénile où l'exaltation du tête-à-tête, l'intimité des confidences, tiennent les esprits indéfiniment en éveil (Martin du G., Souv. autobiogr.,1955, p. lxix).
Prononc. et Orth. : [evεj]. Ds Ac. 1762-1932. Étymol. et Hist. 1. 1165-70 estre an esvoil « être sur ses gardes, en état d'alerte » (Chr. de Troyes, Erec et Enide, éd. M. Roques, 3438); 2. av. 1760 « première manifestation d'une chose » (Mirabeau, Collect. V, p. 312 ds Littré, s.v. sentinelle : le premier éveil du patriotisme). Déverbal de éveiller*. Fréq. abs. littér. : 614. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 199, b) 928; xxes. : a) 1 385, b) 1 110. Bbg. Gohin 1903, p. 335.