| ÉPANCHER, verbe trans. A.− [L'obj. désigne un inanimé concr.] 1. Vx. [L'obj. désigne un liquide] Faire couler, (dé)verser. Synon. répandre.Comme un lait pur qu'un vase sombre épanche (Lamart., Chute,1838, p. 972).L'Oise dans la Seine épanche ses eaux bleues (Banville, Odes funamb.,1859, p. 108). − Emploi pronom. Couler, se déverser. S'épandre à flots. Nous vîmes s'épancher une source d'eau vive (M. de Guérin, Poésies,1839, p. 130).Une cuve, d'où le vin s'épanche par un robinet (Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 225). ♦ Au fig. Mes yeux s'épanchèrent en ruisseaux (Sainte-Beuve, Volupté,t. 2, 1834, p. 162).Les rois, les chevaliers, les armées entières s'épanchaient en pleurs sincères (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. 72). ♦ P. métaph. Les derniers flots de ma vie s'épanchaient dans cet adieu (Balzac, E. Grandet,1834, p. 64). 2. Emplois spéc. a) MÉD., emploi pronom. à sens passif. [Le suj. désigne gén. un liquide séreux ou sanguin] Se répandre dans un endroit inhabituel du corps. Synon. s'extravaser.La lymphe qui s'épanche entre les deux lèvres d'une plaie sous-cutanée (C. Bernard, Notes,1860, p. 58).Liquides épanchés dans les tissus (Carrel, L'Homme,1935, p. 240). b) VULCANOLOGIE. Répandre de la lave. D'innombrables orifices (...) ont épanché des coulées fluides de basalte (Vidal de La Bl., Tabl. géogr. Fr.,1908, p. 288). − Emploi pronom. Laves qui s'épanchèrent sur tous les revers du volcan (Verne, Île myst.,1874, p. 606). 3. P. anal. a) [L'obj. désigne une sensation auditive, olfactive, visuelle] Répandre généreusement. Les bois, sous leur ombre odorante, Épanchant un concert que rien ne peut tarir (Leconte de Lisle, Poèmes ant.,1852, p. 307).L'aube (...) épanchait une clarté laiteuse au haut des futaies (Pergaud, De Goupil,1910, p. 25).Un blanc magnolia (...) Épanche son parfum de neige et de melon (Noailles, Forces étern.,1920, p. 252). − P. métaph. : 1. Bianca, ton chaste nom, lorsqu'il flotte à la bouche, D'un charme toujours neuf vous remue et vous touche, Et comme le parfum nage autour de la fleur, Sur Venise il épanche une amoureuse odeur.
Barbier, Iambes et poèmes,Il pianto, 1840, p. 171. − Emploi pronom. à sens passif. La lumière s'épanchait magnifiquement dans la brume lointaine (La Varende, Centaure de Dieu,1938, p. 193). b) Emploi pronom. à sens passif. [Le suj. désigne une chevelure] Se répandre librement. Sa chevelure qui s'épanche Au gré du vent prend son essor (Lamart., Harm.,1830, p. 372).Sa douce chevelure s'épanche comme un flot de lumière immobile (Maeterlinck, Joyzelle,1903, p. 98). B.− Au fig. 1. [L'obj. désigne un sentiment ou le cœur comme siège des sentiments] Donner libre cours à un sentiment, le confier en toute liberté et sincérité. Épancher son cœur, sa joie. Un cœur où je pourrais épancher mes douleurs quand elles surabondent (Balzac, Lys,1836, p. 92): 2. Verse-la, cette tendresse qui t'emplit, et plus tu l'épancheras, plus elle surgira de toi inextinguible et tiède; répands ton cœur dans la méditation des souffrances de Jésus, dans la contemplation des merveilles créées, dans la dilection de tes frères; ...
Flaubert, La Tentation de St-Antoine,1849, p. 333. − Emploi pronom. à sens passif. Il faut que ma douleur s'épanche dans un cœur ami (Karr, Sous tilleuls,1832, p. 285).L'indignation et la douleur trop longtemps contenues s'épanchèrent (Sand, Hist. vie,t. 2, 1855, p. 464). − Épancher sa bile, son fiel. Donner libre cours à son amertume, à son indignation. Synon. déverser, exhaler.Il y a des jours où je brûle d'être journaliste, pour épancher ma bile (Flaub., Corresp.,1873, p. 80).Il dut se borner à épancher son fiel en un soliloque navré et imprécis (Courteline, Ronds-de-Cuir,1893, 2etabl., I, p. 60). 2. Emploi pronom. à valeur subjective a) [Le suj. désigne une pers.] Se confier, s'exprimer en toute liberté et sincérité. S'épancher dans le sein de qqn, besoin de s'épancher. Il avait besoin de s'épancher, de trouver quelqu'un à qui tout dire (Champfl., Avent. MlleMariette,1853, p. 177).Il s'épanche volontiers en confidences, en rires ou en pleurs (Mounier, Traité caract.,1946, p. 500). b) P. ext. [Le suj. désigne un sentiment] Se répandre abondamment. L'amour est inépuisable; il vit et renaît de lui-même, et plus il s'épanche, plus il surabonde (Lamennais, Paroles croyant,1834, p. 150). Rem. 1. Dans la plupart de ses emplois, le verbe appartient à la lang. poét. 2. On rencontre ds la docum. a) Épancher, employé par erreur pour son paron. étancher. Nous sommes la nature et la source éternelle Où toute soif s'épanche, où se lave toute aile (Hugo, Rayons et ombres, 1840, p. 1067). Une soif de l'ingénu, que tout le Paradis ne lui épancherait pas (Toulet, Almanach, 1920, p. 170). b) Épanchoir, subst. masc. Ouvrage d'art où se déverse le trop plein d'un canal ou d'un étang. Synon. usuel déversoir. P. métaph. Parlez de vous, de vos peines, de vos affaires toujours. Ne suis-je pas votre « épanchoir? » (E. de Guérin, Lettres, 1840, p. 350). Prononc. et Orth. : [epɑ
̃
ʃe], (j')épanche [epɑ
̃:ʃ]. Enq. : /epã
ʃ/ (il) épanche. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1200 « répandre » la cervele ... espancier (Beuve de Hantone, I, 2337 ds T.-L.); en partic. 1669 « verser abondamment un liquide » (Racine, Britannicus, V, 5); 1832 pronom. « (d'un liquide organique) se répandre dans une cavité qui n'est pas destinée à le recevoir » (Karr, Sous tilleuls, p. 297); 2. 1669 « exprimer, communiquer ses sentiments » ici pronom. (Racine, op. cit., V, 3). Empr. au lat. pop. * expandicare, lat. class. expandere, v. épandre. Fréq. abs. littér. : 553. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 060, b) 1 317; xxes. : a) 628, b) 361. Bbg. Gohin 1903, p. 245 (s.v. épanchoir). |