| ÉLÉMENT, subst. masc. I.− Substance (réputée) simple, entrant à titre privilégié dans la composition de ce qui se rencontre dans la nature. A.− [L'identification de la substance s'obtient par l'observation empirique ; par référence aux conceptions anciennes.] 1. [D'apr. le système de représentation de la philos. gréco-latine] a) Gén. au plur. Un des quatre principes (terre, air, eau, feu) associés à des signes astrologiques considérés par les savants anciens comme les constituants premiers fondamentaux de tous les corps. Dans Eschyle et Sophocle, on voit l'homme s'adresser aux éléments, comme à des êtres saints avec lesquels il est associé pour conduire le grand chœur de la vie (Taine, Philos. art,t. 2, 1865, p. 203).Chacun veut battre l'eau, fouler la terre, chacun veut inventer la science d'éveiller en plein air le feu, d'édifier un abri et d'amadouer quatre éléments (Colette, Belles saisons,1945, p. 18): 1. Cependant, la doctrine des quatre éléments, sympatique aux sens et soutenue par le respect dogmatique dû à l'École, aura longtemps force de préliminaire aux théories des chimistes. La mise en relation de cette doctrine avec les corps platoniciens l'insère dans une pseudo-rationalisation, l'essence des quatre éléments trouvant sa représentation et son fondement idéal dans la figure fascinante des quatre polyèdres réguliers...
Encyclop. univ.,t. 6, 1972, p. 88 a. ♦ [P. allus. à cette notion anc. et p. iron.] Le pape Boniface VIII avait surnommé les Florentins le cinquième élément (G. de La Tourette, Léonard de Vinci,1932, p. 5). − Au sing., littér. [Avec un adj. évoquant la nature spécifique du principe] Élément liquide, igné. Sur l'humide élément (Lamart., Harm.,1830, p. 324).Elle [l'huile] s'apparente à l'élément ardent caché dans les étoiles (Arnoux, Seigneur,1955, p. 31). b) En partic. et p. méton. − Au plur. Ensemble des conditions atmosphériques tenant à un certain état des composantes physiques qui les déterminent et qui sont conçues comme autant de forces naturelles auxquelles l'homme est exposé. Affronter les éléments. La colère des éléments déchaînée sur le toit de chaume (Musset, Confess. enf. s.,1836, p. 168).Jamais climat ne m'a convenu davantage. Je ne me plains ni des éléments ni des aliments (J. de Maistre, Corresp., t. 2, 1806-07, p. 593): 2. ... la pluie les [les vitraux] fouettait alors avec violence, et, pressé de jouir de l'altération soudaine du paysage que promettaient les éléments, il se hâta de remonter sur la terrasse. L'orage se déchaînait sur Storrvan.
Gracq, Au château d'Argol,1938, p. 33. − Au sing. [D'apr. la croyance relative à l'influence que les éléments exerceraient sur le tempérament des êtres humains nés sous leurs signes] Milieu naturel dans lequel les êtres se sentent à l'aise. Leur [des Grecs] élément, c'est la mer; ils y jouent comme l'enfant de nos hameaux sur les bruyères de nos montagnes (Lamart., Voy. orient, t. 1, 1835, p. 111).Scaphandrier hors de son élément (Saint-Exup., Courr. Sud,1928, p. 5). ♦ Au fig. Tout ce qui constitue un milieu dans lequel l'homme s'épanouit et qui favorise l'expansion de ses facultés naturelles. Le travail est mon élément; je suis né et construit pour le travail (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 2, 1823, p. 130).Enfin, je vais donc rentrer dans mon élément, mes chères belles-lettres (Zola, Argent,1891, p. 127): 3. La médisance, la calomnie, les insinuations, le mensonge, il y a des bougres qui vivent là-dedans comme le poisson dans l'eau. C'est leur élément naturel.
Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Combat contre les ombres, 1939, p. 230. Être (etc.) dans son élément. Elle [madame de La Baudraye] savait respirer l'air de ce milieu [à Paris] spirituel, animé, fécond, où les gens d'esprit se sentent dans leur élément et qu'ils ne peuvent plus quitter (Balzac, Muse départ.,1844, p. 205).2. En gén. Substance naturelle fondamentale qui entre dans la composition de l'univers physique. La surface du globe se partage entre trois sortes d'éléments : l'élément solide ou terre ferme, l'élément liquide ou océan, l'élément gazeux ou atmosphère (LapparentAbr. géol.,1886, p. 6).Celles-ci [les montagnes], ensuite, donnèrent naissance à des éléments plus différenciés, l'eau et les vents (Béguin, Âme romant.,1939, p. 103): 4. Sauf dans les avenues, personne ne touche à la neige; ici, la neige est un amical et noble élément : ce n'est pas de la crotte, comme pour les Parisiens qui l'enlèvent à la pelle.
Morand, Bucarest,1935, p. 120. − P. métaph. ou au fig. Toute force douée d'un pouvoir analogue à celui d'un élément naturel. Il y a des crises où la foule devient un élément qui dépasse notre pouvoir (Cocteau, Bacchus,1952, III, 4, p. 181). B.− [D'apr. les théories de la sc. mod., partic. chim. et phys. nucl.] Substance normalement indécomposable, caractérisée par son numéro atomique (c'est-à-dire le nombre de protons dont est constitué le noyau atomique), considérée comme naturelle si ce numéro est inférieur à 92, artificielle si ce numéro est supérieur à 92. Élément léger, lourd; classification des éléments. Ils [les Curie] décelèrent, sans l'isoler, un premier élément inconnu qu'ils nommèrent le polonium, et un deuxième, le radium (Goldschmidt, Avent. atom.,1962, p. 14).Pour la première fois un élément chimique, l'hélium, était obtenu à partir d'un autre élément, le radium (Hist. gén. sc.,t. 3, vol. 2, 1964, p. 337). C.− P. anal. 1. ANAT. Élément anatomique. ,,Chacune des structures élémentaires (cellules, noyaux, fibres, etc.) dont sont composés les tissus et organes`` (Méd. Biol. t. 2 1971). Sans lui [le milieu intérieur], les éléments anatomiques cesseraient d'exister (Carrel, L'Homme,1935, p. 89). 2. LING. Terme le plus général employé pour désigner la partie d'une représentation ou d'un énoncé qu'on peut isoler par l'analyse; on dit : un élément vocalique (...), thématique, radical, l'élément verbal, (...) un élément de formation, un élément affectif (Mar.Lex.1951, p. 74). II.− P. ext. A.− Partie concourant fonctionnellement à constituer un ensemble unitaire existant dans la nature, en dehors de l'homme ou dans l'homme. 1. [Sans autre nuance] a) GÉOGRAPHIE ♦ Élément climatique. ,,Toute propriété ou condition de l'atmosphère, dont l'ensemble définit l'état physique du temps ou du climat d'un lieu déterminé, pour un moment ou une période de temps donnés`` (Villen. 1974). ♦ Élément météorologique. ,,Variable ou phénomène atmosphérique qui permet de caractériser l'état du temps en un endroit déterminé et à un moment donné`` (Villen. 1974). Cf. Maurain, Météor., 1950, p. 209. b) Domaine des sentiments, notions, représentations mentales, conventions, etc.Tout ce qui entre à titre de partie constitutive dans la composition d'un ensemble conçu comme tel par l'esprit. Élément mystique, élément d'objectivité, d'idéologie. Tous les éléments de son être étaient en guerre les uns contre les autres (Sand, Lélia,1839, p. 362).Un peu inquiet de voir l'élément de folie qu'il y a dans la vie religieuse (Green, Journal,1955-58, p. 168): 5. L'intelligence seule n'est pas capable d'engendrer la science. Mais elle est un élément indispensable à sa création. La science fortifie l'intelligence dont elle n'est cependant qu'un aspect.
Carrel, L'Homme, cet inconnu,1935, p. 142. [Avec appos. désignant le contenu de l'élément] « Les deux Frères » [Un Ménage de garçon], (...) est un ouvrage fait sans l'élément amour, ce qui est d'un difficile!... (Balzac, Lettres Étr.,t. 2, 1850, p. 76).On décèle aisément la présence de l'élément « énergie » (GilsonEspr. philos.,1931, p. 61).− Spécialement ♦ DR. Élément d'infraction. Partie des conditions requises pour qu'un fait constitue une infraction (d'apr. CIDA 1973). ♦ PSYCHANAL. Élément manifeste. Donnée du contenu manifeste d'un rêve, c'est-à-dire des images de surface dont la signification symbolique profonde est révélée par l'analyse. Supposons (...) qu'un homme apporte l'élément manifeste suivant : − J'ai rêvé que je mangeais un chiffon rouge (Choisy, Psychanal.,1950, p. 166). ♦ PSYCHOL. Élément de comportement. ,,Série de mouvements ou d'expressions organiques isolées dans le comportement d'ensemble du sujet`` (Piéron 1973). ♦ SOCIOL. Élément de civilisation. ,,Terme générique qui, dans l'analyse de la civilisation, sert à désigner les unités, simples ou composées, que renferme une civilisation donnée`` (Willems 1970). 2. En partic. Principe générateur d'un apport utile ou nuisible à l'ensemble dont il fait partie ou dans lequel on l'insère. Échanges qui apportent aux tissus leurs éléments nutritifs et remportent les déchets inutiles ou nuisibles (Stocker, Sel,1949, p. 83). − Au fig. Élément de discorde, de progrès. (Quasi-) synon. facteur.Il [Birotteau] rédigea lui-même un prospectus dont la ridicule phraséologie fut un élément de succès (Balzac, C. Birotteau,1837, p. 46).Les vitraux sont à pleurer d'ennui, car il y a dans la laideur un puissant élément d'ennui (Green, Journal,1946, p. 61). B.− Partie concourant fonctionnellement à constituer un ensemble unitaire lié à une activité humaine. 1. [L'ensemble unitaire est de nature matérielle; l'élément est un objet fabriqué en vue de son intégration dans un ensemble fonctionnel] Élément constitutif, combinaison d'éléments. (Quasi-)synon. composante, partie (constitutive).Adeline choisit avec soin les éléments de sa toilette (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 278).J'ai vu des écussons employés comme des éléments décoratifs d'Orient (Barrès, Greco,1911, p. 88). 2. Spécialement a) AMEUBL. Chacune des parties mobiles et autonomes, en nombre variable, que l'on peut disposer au choix, dans un ordre quelconque, pour constituer un meuble. Meuble à éléments. Classique, traditionnel, ou contemporain, MD offre un choix unique de meubles, d'éléments et de structures qui s'harmonisent et qui permettent à chacun de modeler son propre espace (Art et Décoration, no199, mai-juin 1977, p. 47). b) ARCHIT. Éléments d'un appartement, d'un bâtiment. Les beaux éléments d'une construction m'intéressent moins que les précieux vestiges d'une démolition (Barrès, Cahiers,t. 13, 1921, p. 137). c) CUIS. Ce qui entre dans la composition d'un plat, d'un repas. Au retour de la halle, où Lisbeth était allée préparer les éléments d'un dîner fin (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 154). d) ÉLECTR. Éléments d'une batterie. ,,Chacune des paires d'électrodes qui constituent une batterie`` (Soé-Dup. 1906). [Si dans un recouvrement métallique, il y a discontinuité de la couche protectrice et,] Qu'un agent de corrosion se présente, les deux métaux exposés à son action formeront un élément voltaïque fonctionnant au détriment du métal le plus électropositif (Gasnier, Dépôts métall.,1927, p. 30). e) GÉOM. Partie constitutive d'une figure ou d'un corps géométrique. Élément de surface. Un élément de volume à six dimensions (L. de Broglie, Bases interpr. mécan. ondul.,1963, p. 75). f) MÉCAN. Élément mâle, femelle; élément d'une fusée. Les éléments de machines, classés dans un ordre logique, se présentent comme il suit : Les arbres, avec les paliers et leurs moyens de graissage (Gorgeu, Machines-outils,1928, p. 1). g) MUS. Élément rythmique, thématique. Joindre un élément de son au bruit, soit associer à l'élément de percussion l'élément mélodique (Schaeffer, Rech. mus. concr.,1952, p. 13). 3. [L'ensemble unitaire est de nature sociale; l'élément est une pers. ou un groupe de pers.] Toute fraction d'un ensemble constitué par l'association naturelle ou conventionnelle d'êtres humains. a) Au sing. ou au plur. Membre de tel ensemble donné. « Les huguenots français constituaient ici, comme dans toute l'Amérique, les meilleurs éléments de l'immigration » (Morand, New-York,1930, p. 11).L'empereur et le sire de Beyrouth (...) eurent l'élégance (...) de prendre congé l'un de l'autre avec une parfaite courtoisie. Seulement il ne fut pas possible de demander pareille tenue à la foule (...) tant les éléments guelfes étaient montés contre lui (Grousset, Croisades,1939, p. 338): 6. Parmi les éléments de notre expédition, que j'allai tous visiter dès que nous eûmes jeté l'ancre, aucun ne voulut me quitter.
De Gaulle, Mémoires de guerre,1954, p. 109. − Spécialement ♦ ARM., gén. au plur. Homme qui fait partie d'une unité ou groupe d'hommes. Or j'avais déjà prescrit à mon corps d'armée, dès le 31 juillet, d'établir ses éléments avancés sur une ligne située en avant de celle-là [fixée le 30 juillet] et couvrant des positions de première importance (Foch, Mém.,t. 1, 1929, p. 30).Une armée composée d'éléments actifs ne faisant que deux ans de service (Joffre, Mém.,t. 1, 1931, p. 79). ♦ ENSEIGN. Élève d'une classe. Bon élément. Éléments inaptes aux études secondaires (cf. désencombrer ex. 1). b) Au sing. [Avec valeur de collectif] La totalité des membres d'un groupe incorporé à un ensemble donné. L'élément anglais, français, juif; l'élément indigène; l'élément masculin. Ce qui me manque autour de moi, c'est l'élément jeune (Loti, Journal,t. 1, 1878-81, p. 112).J'aime me trouver dans la foule estudiantine, où l'élément exotique est bien plus nombreux que « de mon temps », et l'élément féminin aussi (Larbaud, Journal,1934, p. 291). 4. [L'ensemble unitaire est de nature intellectuelle] a) Donnée constitutive sur laquelle l'esprit se fonde pour former un jugement, établir une comparaison, construire un raisonnement. Élément de comparaison, les éléments d'une question. Pour être en possession de tous les éléments du problème (Verne, 500 millions,1879, p. 80).On devinera sans peine qu'un nouvel élément d'appréciation doit entrer ici en jeu (Bergson, Essai donn. imm.,1889, p. 43).Il y avait au moins un élément de pronostic favorable : la diarrhée cessait (Malègue, Augustin,t. 2, 1933, p. 151). b) Au plur. Données fondamentales dont la connaissance est la base de toute spécialisation dans un art, une science, une technique. Celui qui, ayant appris les éléments d'une science, voudrait y pénétrer plus avant (Condorcet, Esq. tabl. hist.,1794, p. 234).Il [Rimsky] était prêt à s'occuper de moi dès que j'aurais acquis les éléments nécessaires (Stravinsky, Chron. vie,1931, p. 37). − Spéc., DIDACT., PÉDAG. Connaissances à assimiler prioritairement en raison de leur importance fondamentale ou connaissances les plus simples et les plus aisées à assimiler. Ils apprenaient l'arithmétique tandis que j'étais à la trigonométrie et aux éléments d'algèbre (Stendhal, H. Brulard,t. 2, 1836, p. 327).J'enseignais les premiers éléments de la botanique à Mary-Ann (About, Roi mont.,1857, p. 189). − P. méton. Livre, manuel où sont exposés les éléments d'un art, d'une science ou d'une technique ou, plus spécialement, les éléments du premier ou du deuxième niveau. Les Éléments d'Euclide (Foulq.-St-Jean1962).Aristoxène de Tarente dans ses Éléments Harmoniques (Schaeffner, Orig. instrum. mus.,1936, p. 17). Rem. 1. Lar. 19e-20eattestent l'adj. élémenté, ée « composé d'éléments », avec l'ex. corps élémentés. On rencontre le mot, ds la docum., au sens de « qui a des fondements solides ». Aussi long-tems donc que ce premier fait et ce premier jugement ne sont point trouvés, la science n'est point élémentée, elle n'a point de commencement; elle n'est que l'art de tirer des conséquences d'un principe inconnu ou méconnu (Destutt de Tr., Idéol. 3, 1805, p. 183). 2. On rencontre, ds la docum., un ex. du verbe trans. élémenter, au sens de « simplifier, par décomposition, de manière à donner des notions élémentaires ». Dès que leur groupe fut constitué, Augustin dut le prendre à part, élémenter les questions [de philosophie] à son usage (Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 166). Prononc. et Orth. : [elemɑ
̃]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 881 « âme, forces, principe(s) constitutif(s) de l'être » (Ste Eulalie, éd. ds Henry Chrestomathie t. 2, vers 15); 1. a) 1119 « matière, substance de l'univers (sous quatre formes appelées les quatre éléments) » (Ph. de Thaon, Comput, 855 ds T.-L.); b) ca 1450 « id. » au plur. « les forces naturelles » (Mistère du Vieil Testament, éd. J. de Rothschild, XXII, 15252, II, 267 ds IGLF : faison tonner les elemens); c) 1588 « milieu naturel, approprié » (Montaigne, Essais, III, IX, éd. A. Thibaudet, p. 1105); 2. ca 1200 « partie constitutive d'un tout » d'où spéc., au plur. « principes de base dans un domaine de la connaissance » (Dialogue Grégoire, 185, 14 ds T.-L.). Empr. au lat. class.elementum « un des quatre éléments », ordinairement employé au plur. pour désigner des principes, des rudiments, notamment les lettres de l'alphabet et les quatre éléments de l'univers. Fréq. abs. littér. : 7 562. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 8 735, b) 8 065; xxes. : a) 8 446, b) 15 307. |