| ÉCLORE, verbe intrans. A.− [Le suj. désigne un animal ovipare, une nymphe] Sortir de l'œuf, du cocon. J'ai élevé des chenilles et fait éclore des papillons (Barrès, Cahiers,t. 1, 1896-98, p. 23).Aussi perplexe que la cane de la fable qui vit éclore un cygne, de l'œuf qu'elle avait couvé (Valéry, Variété V,1944, p. 140): 1. Le fait est que l'oiseau chante
Et, puisqu'il éclôt d'un œuf,
Est-ce une chose étonnante
Que le chant sorte tout neuf,
Avec l'oiseau, de cet œuf?
Jammes, De tout temps à jamais,Rhapsodie, 1935, p. 117. ♦ P. métaph. [Le suj. désigne un être hum.] Faire son apparition, naître. L'âne ne savait pas par quel chemin de palmes Un jour il porterait jusqu'en Jérusalem (...) L'enfant alors éclos aux murs de Bethléem (Péguy, Ève,1913, p. 833): 2. ... « étrange que, sur toutes les possibilités d'êtres différents que Jacques portait en lui, celui-là seul, − ce composé-là, Jean-Paul [son fils], et aucun autre − ait trouvé sa forme, ait éclos à la vie... »
Martin du Gard, Les Thibault,Épilogue, 1940, p. 835. − [Le suj. désigne un œuf, un cocon] Laisser sortir l'animal qu'il contient. N'importe quelle poule n'a pas la température d'aile suffisante pour faire bien éclore des œufs d'oie (Pesquidoux, Chez nous,1921, p. 45): 3. Je n'avais jamais encore vu d'œufs de lézard. On est venu m'en apporter six (...). Ils étaient près d'éclore, et, de l'un d'eux que nous crevâmes, sortit un petit lézard tout formé...
Gide, Journal,1941, p. 91. B.− P. ext. [Le suj. désigne une fleur en bouton, un bourgeon] S'ouvrir, se déplier. Une fleur fraîche éclose. La fleur de l'églantier sent ses bourgeons éclore. Le printemps naît ce soir (Musset, Nuit mai,1835, p. 59): 4. Les feuilles des marronniers profitent d'un moment où l'on ne faisait pas attention, pour éclore. Chaque année c'est la même surprise, le même ennui de s'être ainsi laissé surprendre. Le printemps vient à pas de loup, comme le Père Noël des enfants.
Gide, Journal,1932, p. 1123. ♦ Emploi pronom. réfl., rare. Des primevères s'étaient écloses sur les glacis de granit rougeâtre (Flaub., Champs et grèves,1848, p. 255). − P. méton. Commencer à fleurir. ♦ [Le suj. désigne une plante, un arbre] Les lilas allaient tous éclore. Aux arbres tardifs, les derniers bourgeons éclataient (Ramuz, A. Pache,1911, p. 192). ♦ Littér. [Le suj. désigne le printemps] Avril éclôt. La montée universelle de la sève s'opère (Pesquidoux, Livre raison,1928, p. 31).L'hiver le plus rude n'empêchait pas alentour le printemps d'éclore (Chardonne, Dest. sent.,Pauline, 1934, p. 89). − P. anal., littér. [Le suj. désigne une graine] Germer. Le grain sait quand il doit éclore, L'épi sait quand il faut mûrir! (Lamart., Harm.,1830, p. 453). C.− Au fig. littér. (cf. naître) 1. [Le suj. désigne une chose concr., un phénomène visible] Devenir visible, apparaître. Contempler la nuit qui se fond dans les airs, (...) voir les étoiles éclore (Lamart., Harm.,1830p. 333).Un phare à acétylène éclôt, aveuglant, et répand un dôme de jour (Barbusse, Feu,1916, p. 105): 5. L'isard recherche le côté du levant; il veut voir le soleil éclore. Fait curieux : car l'homme aussi se tourne et s'établit face à l'est, vers la lumière naissante.
Pesquidoux, Chez nous,1921, p. 33. 2. Commencer à exister. a) [Le suj. désigne une chose concr. ou perceptible par les sens] Cf. aérien1ex. 2.Un sourire aussitôt disparu qu'éclos (Dumas père, Monte-Cristo,t. 2, 1846, p. 464).Il essuyait parfois, du bout du doigt, une larme éclose au coin de l'œil (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Lit, 1884, p. 258): 6. ... il prenait son violon et se jouait (...) généralement de petites ariettes jaseuses, des airs de danses (...) qui éclosaient sous son archet...
Genevoix, Match à Vancouver,Laframboise et Bellehumeur, 1942, p. 34. b) [Le suj. désigne une chose abstr., en partic. une manifestation de l'esprit hum.] Les mots sublimes n'éclosent pas dans les petites caboches des jolies filles (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Mots amour, 1882, p. 603).La civilisation (...) est éclose, il y a trois mille ans, par une conjonction de circonstances (...) nommée le « miracle » grec (Benda, Trahis. clercs,1927, p. 237): 7. Les grandes inventions viennent à leur heure; elles demandent pour éclore d'être aidées par un climat favorable, par un appel. (...) elles ne surgissent qu'en réponse à une attente...
Huyghe, Dialogue avec le visible,1955, p. 13. c) [Le suj. désigne une pers. exerçant une activité gén. intellectuelle, artistique] Tout Arabe, et si pauvre soit-il, contient un Aladdin près d'éclore et qu'il suffit que le sort touche : le voici roi (Gide, Si le grain,1924, p. 597): 8. Si le Livonien avait rencontré MmeMarneffe, au lieu de rencontrer Lisbeth Fischer, (...) il n'aurait certes pas travaillé, l'artiste ne serait pas éclos.
Balzac, La Cousine Bette,1846, p. 59. Rem. 1. On rencontre ds la docum. a) Qq. ex. de l'emploi factitif trans., vx ou littér., avec le sens de « faire éclore ». Je rêve depuis trois mois à un drame symétrique, où les fantoches évolueraient réciproquement (...). Je viendrai l'éclore près de toi (Gide, Corresp. [avec Valéry], 1891, p. 141). Ô grande âme [du soleil], il est temps que tu formes un corps! Hâte-toi de choisir un jour digne d'éclore, Parmi tant d'autres feux, tes immortels trésors! (Valéry, Alb. vers anc., 1900, p. 91). b) Un ex. de l'emploi impers. Cf. aile ex. 111. 2. L'auxil. des temps composés est le plus souvent être, mais on trouve qq. ex. où l'auxil., p. anal. avec des verbes comme paraître, faire son apparition, est avoir. Cf. ex. 2. Prononc. et Orth. : [eklɔ:ʀ], (il, elle) éclot [eklo]. Ds Ac. 1694-1932. Noter que Ac. écrit éclot, enclot sans accent circonflexe, alors qu'elle met cet accent sur clôt. Conjug. Ne s'emploie qu'à l'inf. et aux formes suivantes : à l'ind. prés. il, elle éclot, ils, elles éclosent, les formes j'éclos, tu éclos, nous éclosons, vous éclosez étant rares; à l'ind. fut. il, elle éclora, ils, elles écloront; au cond. il(s), elle(s) éclorai(en)t; au subj. prés. qu'il(s), qu'elle(s) éclose(nt); au part. prés., rarement, éclosant; au part. passé éclos, éclose (cf. Grev. 1964 § 701). Étymol. et Hist. 1. Ca 1170 tant que lis matins est esclos (Chrétien de Troyes, Erec et Enide, éd. M. Roques, 4252); début xiiies. quant ses pulcinez a [le Pélican] esclos (Guillaume Le Clerc, Bestiaire, 543 ds T.-L.); ca 1393 se esclöent les œufs (Ménagier, II, 256, ibid.); id., les premiers espreviers [...] esclöent (ibid., 285); 2. 1240-80 au fig. on voit esclore (...) un grant mal (B. de Condé, Dits et contes, 66, 102, ibid.). Du lat. vulg. exclaudere*, réfection d'apr. claudere « fermer, clore » de excludere « exclure, chasser, rejeter » (v. Vään., § 205). Fréq. abs. littér. : 641. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 518, b) 1 079; xxes. : a) 749, b) 399. |