| ÉCARTELER, verbe trans. A.− 1. Vx. Déchirer, arracher les membres d'un supplicié en les soumettant généralement aux tractions contraires de quatre chevaux. [Colin de Puisieux] eut la tête tranchée avec cinq hommes qui furent condamnés comme ses complices. Son corps fut écartelé et ses membres exposés sur les principales portes de Paris (Barante, Hist. ducs Bourg.,t. 3, 1821-24, p. 247).Le peuple veut absolument le pendre [Rassi] ce serait un grand tort qu'on lui ferait, il mérite d'être écartelé (Stendhal, Chartreuse,1839, p. 391). − P. métaph. : Les électeurs épars, creusant chacun leur plaie,
Chacun de leur côté, couronnent qui les paie;
Et, comme un patient qui, sanglant, déchiré,
Meurt, par quatre chevaux lentement démembré,
D'Anvers à Ratisbonne, et de Lubeck à Spire,
Font par quatre empereurs écarteler l'empire!
Hugo, Les Burgraves,1843, p. 65. − P. anal. Certains [des riches marchands] avaient des corps de mygale, cette vélocité de l'araignée qui semble écartelée aux quatre coins de l'horizon par ses pattes, mais bondit en réalité en droite ligne vers la proie (Giono, Chron.,Noé, 1947, p. 195). 2. P. ext. Disloquer, briser. Courants plus forts que flux et reflux... qui écartèlent les navires (Giraudoux, Ondine,1939, I, 9, p. 74).Le souffle saccadé et court, écartelé par les ganglions (...) le concierge étouffait sous une pesée invisible (Camus, Peste,1947, p. 1232). − Emploi pronom. à sens réfl. Lise s'accroupit, s'écartela, adossée à une des chaises, la jambe droite contre la seconde, la gauche contre la troisième (...) sa jupe, rejetée sur sa gorge, découvrait son ventre monstrueux, ses cuisses grasses (Zola, Terre,1887, p. 262). ♦ P. métaph. Les désirs se sont tus, Et dans la bouche d'or, bâillements combattus, S'écartelèrent les mots que charmait le poète (Valéry, Alb. vers anc.,1900, p. 88). 3. Au fig., domaine intellectuel, mor.Diviser, tirailler entre plusieurs tendances contraires. Il a quitté l'armée, assailli de doutes, écartelé entre son éducation et l'irrésistible besoin d'affranchir sa pensée (Martin du G., J. Barois,1913, p. 319).Esprits puissamment synthétiques qui ont voulu jusqu'au bout essayer de souder des pensées que leur époque écartelait (Mounier, Traité caract.,1946, p. 678). − Emploi pronom. a) réfl. indir. Que gagnes-tu à t'écarteler un pied dans la lutte sociale, l'autre dans l'hermétisme? (Péladan, Vice supr.,1884, p. 328).Mon père il s'écartelait l'imagination à propos de mon avenir (Céline, Mort à crédit,1936, p. 170). b) réfl. dir. Parler, c'est se déchirer, remettre d'exister à plus tard, au bout du discours, s'écarteler entre un sujet, un verbe, un attribut (Sartre, Sit. I,1947, p. 146). B.− HÉRALDIQUE 1. Diviser, généralement en quatre parties, le champ d'un écu afin d'y faire figurer un certain nombre de symboles. Écartelé en sautoir se dit de l'écu divisé en quatre parties par la réunion du tranché et du taillé (L'Hist. et ses méth.,1961, p. 760). − Écarteler un écusson, des armes, etc. Modifier la partition d'un écusson, la disposition de ses symboles afin d'y faire figurer les symboles d'un autre écusson. Ses armes écartelaient celles de Guermantes au bas d'un vitrail de Saint-Hilaire (Proust, Guermantes 2,1921, p. 531). ♦ Écarteler avec, de (un autre écusson, d'autres armes). Julien, pour rien au monde, n'aurait consenti à se présenter dans les châteaux voisins si l'écusson des de Lamare n'avait été écartelé avec celui des Le Perthuis des Vauds (Maupass., Une Vie,1883, p. 92).[Louis IX] émancipa le jeune prince Bohémond VI qu'il arma chevalier et qui, depuis lors, écartela ses armes de celles de France (Grousset, Croisades,1939, p. 369). − Écarteler un symbole. Faire figurer un symbole sur un écu écartelé. ♦ Emploi pronom. à valeur passive. Fleurs de lis dont s'écartelait, depuis quatre cents ans, le blason de Georges IV (A. Dumas père, Barrière Clichy,1851, III, 9, p. 94). 2. P. anal. Celle-là [une des quatre voitures] (...) écartelée du nom de la maison sur chacune de ses faces, et surmontée en outre d'une pancarte où la mise en vente du jour était annoncée (Zola, Bonh. dames,1883, p. 470).Le drapeau bavarois était (...) d'un rouge violacé, écartelé de blanc, sur quoi se détachait, au milieu, l'aigle noir (Gide, Journal,1914, p. 471). 3. P. métaph. Enfin vous avez un blason! Mais nous préférons encore celui que la jeunesse donnait à votre beauté, qui, par vos yeux bleus et votre visage pâle, semblait écarteler d'azur sur champ de lis (Murger, Scènes vie boh.,1851, p. 248).Dos qu'écartelaient d'une croix de Saint-André deux bretelles roses (Huysmans, En mén.,1881, p. 99). Rem. On rencontre ds la docum. a) Écartelant, ante, en emploi adj. Qui écartèle. Affres écartelantes de son existence de Paris (Bloy, Désesp., 1886, p. 68). b) Écartelé, ée, adj. et subst. Qui est écartelé.
α) (Personne) qui est écartelé(e). Emploi subst. On n'entendra plus que le démembrement d'un monde qui s'en va comme un écartelé (Péguy, Ève, 1913, p. 754).
β) Hérald. Il ignorait la noble science du blason et ne pouvait comprendre toutes les beautés de cet écusson écartelé (Coppée, Vrais riches, 1891, p. 93). Emploi subst. à valeur de neutre. L'écartelé est de 4, 6, 8, 10, 12, 16 quartiers et plus encore (Adeline, Lex. termes art, 1884). c) Écartelure, subst. fém., hérald. Action d'écarteler un écu généralement en quatre parties; résultat de cette action (attesté ds Ac. 1835-1932 et ds la plupart des dict. gén. des xixeet xxes.). Prononc. et Orth. : [ekaʀtəle], (j')écartèle [ekaʀtεl]. ,,é-kar-te-lé : la syllabe te prend un accent grave quand la syllabe qui suit est muette : j'écartèle, j'écartèlerai`` (Littré). Ds Ac. dep. 1694, sauf Ac. 1740. Étymol. et Hist. 1. Ca 1165 « mettre en pièces » esquartelez (B. de Ste-Maure, Troie, 10.648 ds T.-L.); 2. ca 1280 hérald. (Escanor, 3976, ibid.); 3. 1422 « faire tirer par quatre chevaux le corps d'un condamné » (Journal d'un bourgeois de Paris, éd. Tuetey, 177). Dér. par dissimilation de l'-r intervocalique de l'a. fr. esquarterer « mettre en pièces », littér. « fendre par quartiers »; [1130, Gormont et Isembart, éd. A. Bayot, 503 : enquarteree, lire esquarteree]; ca 1175 (B. de Ste-Maure, Ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, 11681); dér. de quartier*, préf. é(s)-*, dés. -er. Fréq. abs. littér. : 53. |