| ÂPRETÉ, subst. fém. Qualité de ce qui est âpre*. A.− [En parlant de ce qui affecte les sens] 1. [En parlant de ce qui affecte la vue ou le toucher] L'âpreté d'un paysage, d'un climat, d'un visage : 1. « Plusieurs de ces rivières renferment des îles dont la végétation, la fraîcheur et la beauté constrastent merveilleusement avec la stérilité, la rudesse et l'âpreté des rivages. »
Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie,t. 2, 1801, p. 267. − P. anal. : 2. Détendu d'abord, relâché dans tous ses membres par la complaisance et la vanité des confidences, son visage [de Feuerstein] reprenait peu à peu sa solidité, se reconstruisait, rétablissait sa carrure imposante, l'âpreté de ses contours...
A. Arnoux, Le Chiffre,1926, p. 49. 2. [En parlant de ce qui affecte le goût ou l'odorat] L'âpreté d'un fruit, d'un alcool : 3. Une senteur forte s'était répandue, la senteur des simples dont sa robe se trouvait imprégnée, et qu'elle apportait dans sa chevelure grasse, défrisée toujours : le sucre fade des mauves, l'âpreté du sureau, l'amertume de la rhubarbe, mais surtout la flamme de la menthe poivrée, ...
Zola, L'Œuvre,1886, p. 73. 4. Donc ce vin m'a amusé par une alliance − un peu celle que j'avais déjà décelée dans le Barbera de Sainte-Réparate, mais ici elle était plus brusque et plus rustique − d'âpreté et de fruité; d'une âpreté qui tend au goût caillouteux et même calcaire; d'une fruité qui tend au goût de framboise.
Romains, Les Hommes de bonne volonté,La Douceur de la vie, 1939, p. 133. 3. [En parlant de ce qui affecte l'ouïe] L'âpreté des langues barbares : 5. Les Clarinettes (...) [instruments à anche simple] ont dans le médium une voix plus limpide, plus pleine, plus pure que celle des instruments à anche double dont le son n'est jamais exempt d'une certaine aigreur ou âpreté, plus ou moins dissimulées par le talent des exécutants.
Berlioz, Traité d'instrumentation,1844, p. 134. B.− Au fig. 1. [En parlant d'une pers. ou de son caractère, de son comportement] a) [Quant aux biens matériels ou moraux] L'âpreté au gain : 6. Quelle âpreté les hommes mettent dans leurs intérêts du moment! Comme leurs prétentions leur paraissent importantes! Comme leur amour-propre s'agite! Comme ils attachent du prix à cette vie si passagère et si tôt oubliée! La conversation de ces hommes m'a suggéré d'autres réflexions encore sur l'arrogance de la propriété; mais je n'ai pas la force de les écrire; ...
Constant, Journaux intimes,1805, p. 217. 7. ... elle [Françoise] ne resterait pas plus longtemps dans cette clinique, c'en était fini de ce détachement paisible; elle avait retrouvé toute son âpreté au bonheur.
S. de Beauvoir, L'Invitée,1943, p. 218. Rem. L'expr. âpreté au gain (cf. Ponson du Terrail, Rocambole, t. 2, Le Club des valets de cœur, 1859, p. 213), moins figée que l'expr. adj. corresp. âpre au gain, peut s'employer avec certaines var. âpreté de gain ou du gain (cf. Huysmans, À rebours, 1884, p. 286), pour le gain (cf. Delécluze, Journal, 1825, p. 80). b) [Envers soi-même ou autrui] :
8. ... elle avait restreint la dépense de l'intérieur, resserré sa maison, sa vie, celle de son enfant, avec la plus extrême parcimonie d'une avarice maniaque, et qui, venant d'elle, surprenait Honorine, ne pouvant y trouver d'autre explication qu'un caprice de malade et ne sachant ce que devenait l'argent de Madame. Cette âpreté, cette dureté impitoyable contre elle-même et les autres ne faisait que croître.
E. et J. de Goncourt, MmeGervaisais,1869, p. 283. 2. [En parlant d'une manière d'agir, de sentir ou de s'exprimer] L'âpreté d'un parti-pris; l'âpreté du ton : 9. ... elle [l'œuvre de Jean de Meung] a beau n'être, du point de vue de l'art, que fatras et pot pourri, elle n'en est pas moins le produit d'une verve agile, qui surprend non seulement par la vigueur d'un style énergique jusqu'à l'âpreté, roulant avec impétuosité sur un fond rocailleux des formules dures comme des blocs, mais aussi, quand on tient compte des temps, par la hardiesse inattendue des idées.
Faral, La Vie quotidienne au temps de st Louis,1942, p. 245. PARAD. 1. (Quasi-) synon. acharnement, âcreté, acrimonie, agressivité, ardeur, austérité, brutalité, cruauté, crudité, cupidité, énergie, fanatisme, férocité, fureur, injure, intransigeance, méchanceté, opiniâtreté, persévérance, persistance, rigueur, sauvagerie, ténacité, véhémence, voracité. 2. Anton. amabilité, aménité, apaisement, bienveillance, bonhomie, calme, charme, civilité, clémence, cordialité, courtoisie, désintéressement, douceur, fadeur, gentillesse, grâce, langueur, mollesse, sérénité, tendresse. Rem. 1. Âpreté s'emploie rarement à la forme plur. − qui tend à lui redonner une valeur concr. : il désigne alors moins une qualité que la manifestation extérieure de cette qualité; ainsi, au sens propre, il devient synon. de aspérité (cf. les âpretés de ces ravins [Hugo, La Légende des siècles, Le Petit roi de Galice, t. 1, 1859, p. 282]) et au sens fig., il peut désigner des manifestations de violence (cf. Barrès, Mes cahiers, t. 3, 1904, p. 232 : ,,que je m'explique certaines âpretés. Mon rire devant les duretés de la vie. On m'accuse de cruauté``). 2. On rencontre dans la docum. le néol. âpreur, subst. fém., synon. de âpreté (cf. Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 341) : ,,[une] fumée (...) dont l'âpreur vous raclait la gorge ...``). − Âpreur a pu s'employer aussi à propos d'un fruit (cf. J. Humbert, Nouv. gloss. genevois, 1852, p. 22). PRONONC. ET ORTH. : [apʀ
əte]. Les dict. de Fér. 1768 à Littré notent [ɑ:] post. long. Fér. Crit. t. 1 1787 rappelle ,,on écrivait autrefois aspreté``. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. 1190 aspreteit [ici, par métaph.] « qualité de ce qui est dur, pénible » (Sermons St Bernard, XII, 51, 5 ds Gdf. Compl. : Tu desires par aventure la santeit, mais tu redottes l'aspreteit de la medicine por ceu ke tu te sens et tenre et enfarm); 1237 aspreté (de la chaleur) (G. de Lorris et J. de Meung, Rose, éd. Fr. Michel, 1483 ds T.-L.); 2. fin xiies. fig. aspreteit « rudesse » (Dialogue Grégoire, éd. W. Foerster, Paris, 1876, 14, 14 : Dünkes icil del funz de sor cuer esgardanz sa aspreteit et sa durteit, la humiliteit et la suableteit de Libertin [asperitatem et duritiam suam]).
Du lat. asperitas au sens propre dep. Varron, voir aspérité; également au sens 1 (Ovide, fast. 4, 88 ds TLL s.v., 822, 3); au sens 2 (Cicéron, Lael. 87, ibid., 822, 66); cf. mot savant aspérité*. STAT. − Âpreté. Fréq. abs. littér. : 388. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 548, b) 627; xxes. : a) 671, b) 442. Âpreur. Fréq. abs. littér. : 1. BBG. − Littré-Robin 1865. − Noter-Léc. 1912. − Nysten 1824. |