| ÂCRETÉ, subst. fém. Qualité de ce qui est âcre. A.− [En parlant d'une sensation du goût ou de l'odorat, et p. ext. de l'ouïe ou de la vue] :
1. Or, cette mort, toute terrible qu'elle soit, n'arrive pas brusquement! ces hémorragies si étonnantes ne terminent pas seules le destin de tant d'infortunés! des vomissemens continuels ont une telle âcreté, qu'ils irritent violemment le gosier, la langue et les lèvres.
H. Latouche, L.-F. L'Héritier, Dernières lettres de deux amans de Barcelone,1821, p. 100. 2. J'ai parlé du tabac grec, qui est excellent. Il a plus de parfum et moins d'âcreté que le nôtre; il est d'ailleurs d'une couleur beaucoup plus appétissante.
E. About, La Grèce contemporaine,1854, p. 391. 3. Il suffit de voir les fourmis, maigres à ce point, brillantes et vernissées, pour supposer qu'elles sont les plus adustes, les plus brûlés de tous les êtres. Leur singulière âcreté est constatée par la chimie, qui a su tirer de leur corps le mordant acide formique.
J. Michelet, L'Insecte,1857, p. 260. 4. L'odeur vigoureuse du vin naissant tenait épaisse dans le local à haut plafond et s'augmentait d'âcreté au dernier coup de vis, à outrance, qui rendait la rebêche, le vin rose, sur, bu dans le pays.
P. Hamp, Vin de champagne,1909, p. 141. 5. ... l'air délavé du matin et du soir semblait y influencer jusqu'aux cordes des instruments. Morel avait beau jouer merveilleusement, les sons que rendait son violon me parurent singulièrement perçants, presque criards. Cette âcreté plaisait et, comme dans certaines voix, on y sentait une sorte de qualité morale et de supériorité intellectuelle.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,La Prisonnière, 1922, p. 257. 6. Malgré l'âcreté des humeurs qui la couperosaient, cette figure était assez prévenante, avec une pointe aigre qu'on retrouvait dans la voix.
H. Pourrat, Gaspard des Montagnes,À la belle bergère, 1925, p. 14. 7. « Et j'en connais qui cherchent la mer au pas lent de leur caravane et qui ont besoin de la mer. Et qui, lorsqu'ils arrivent sur le promontoire et dominent cette étendue pleine de silence et d'épaisseur et qui interdit à leurs regards ses provisions d'algues ou de coraux, respirent l'âcreté du sel et s'émerveillent d'un spectacle qui ne leur sert de rien dans l'instant, car on ne saisit point la mer. Mais ils sont lavés dans leur cœur de l'esclavage des petites choses... »
A. de Saint-Exupéry, Citadelle,1944, p. 572. Rem. 1. Syntagmes fréq. : Âcreté d'un parfum, d'une essence, de la poussière; du vin, de la fumée, d'un son. 2. On trouve, d'autre part, âcreté associé à acide (ex. 3) à pointe aigre (ex. 6), qui définissent en partie cette qualité. L'idée de sensation désagréable et de causticité est plus apparente dans l'alliance avec des verbes comme irriter (ex. 1) ou des adj. comme brûlé, mordant (ex. 3), sur (ex. 4), etc. B.− Au fig. [En parlant du caractère, de l'esprit d'une pers., de son humeur ou de ce qui la manifeste; de la pers. elle-même (ex. 10)] :
8. Lucien comprit l'air aigre qui glaçait cette figure envieuse l'âcreté des reparties que ce journaliste semait dans sa conversation, l'acerbité de sa phrase, toujours pointue et travaillée comme un stylet.
H. de Balzac, Les Illusions perdues,1843, p. 380. 9. ... Saint-Simon ne se put guérir de l'âcreté de son humeur dans une solitude où le petit fils du comte de Toulouse perfectionna sa vertu : le fiel et le miel se composent quelquefois sous les mêmes arbres.
F.-R. de Chateaubriand, Vie de Rancé,1844, p. 171. 10. Reprenons l'article de M. Langlois, puisque c'est notre document. Ni la méchanceté naturelle au plus éminent de nos bons maîtres, ni l'aigreur, ni la furie, ni la fureur ni l'âcreté ne suffisent à expliquer tout le ton de cet article.
Ch. Péguy, L'Argent,1913, p. 1152. 11. « Il a dû faire un peu de physique pour entrer à Saint-Cyr. Pour ce que ça lui sert!... »
Il avait proféré cette dernière petite phrase avec tant d'âcreté que la conversation tourna court. La jalousie lui mordait de nouveau le cœur.
P. Bourget, Le Sens de la mort,1915, p. 228. 12. Tandis que je restai avec les Alibert, sur les aires, je n'eus pas le loisir d'éprouver violemment cette amertume. Mon chagrin, lié à celui de mes compagnons de travail, en perdit son âcreté.
H. Bosco, Le Mas Théotime,1945, p. 171. − Au plur. Manifestations de l'âcreté, réactions d'amertume, de rancœur : 13. Ces feuillets sont mon exutoire, mon maillot Priessnitz, où se déposent toutes les âcretés engendrées par la vie. Leur aigreur fait mon assainissement.
H.-F. Amiel, Journal intime,26 févr. 1866, p. 162. 14. ... sa rupture providentielle (sataniquement providentielle) avec Rome − conséquence immédiate de la triple symbiose qu'on vient de voir − a porté l'A. F. sur un champ de bataille où ses humeurs belliqueuses, ses acides, ses âcretés, ont immédiatement retrouvé leur emploi.
J.-R. Bloch, Destin du siècle,1931, p. 25. Rem. 1. On rencontre fréquemment le tour avec âcreté (ex. 11), empl. surtout au fig., de préférence à âcrement*, plus proche du sens concr. 2. Assoc. paradigm. : acerbité (ex. 8), aigreur (ex. 13), amertume (ex. 12), acide (ex. 14), fiel (ex. 9), fureur, furie (ex. 10), rancœur, rancune, violence, etc. Prononc. : [ɑkʀ
əte]. Fouché Prononc. 1959, p. 89 note pour la 1resyllabe de ce mot une hésitation entre [ɑ] post. et [a] ant. (cf. aussi Warn. 1968, qui donne les 2 possibilités). Enq. : /akʀ
əte1/. Étymol. ET HIST. − 1. Sens propre, av. 1590 « caractère de ce qui est âcre » (B. Palissy,
Œuvres, 30 ds DG : A cause de son acreté [du sel]); 2. au fig. 1762 « caractère d'un homme qui a qqc. de piquant dans l'expression, de rude dans les manières » (Ac. : Il a de l'âcreté dans l'humeur).
Dér. de âcre* sens propre et fig. Lat. acritas, attesté en lat. class. seulement (hapax?) chez Accius au sens de « force pénétrante » emploi fig. (Trag., 467 ds TLL s.v. : vis veritatis atque acritas), le subst. correspondant à acer au propre et au fig. étant acritudo (cf. Aulu-Gelle, 13, 2, 2 ds TLL s.v. acritudo : nihil quicquam interest...dicas...acritudo an, quod Accius in Neoptolemo scripsit acritas); acritas très peu attesté en lat. médiév. (ds Mittellat. W. s.v., 1 ex. au sens propre et 3 ex. d'emploi fig., synon. de ferox). STAT. − Fréq. abs. litt. : 112. BBG. − Bailly (R.) 1969. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Fér. 1768. − Gramm. t. 1 1789. − Guizot 1864. − Laf. 1878. − Littré-Robin 1865. − Nysten 1814-20. − Privat-Foc. 1870. − Sardou 1877. − Synon. 1818. |