VOGUER, verbe
Étymol. et Hist. I. Intrans. mar.
1. ca 1208 « naviguer, faire avancer un navire » (
Geoffroi de Villehardouin,
Conquête de Constantinople, éd. E. Faral, 469, t. 2, p. 284); spéc. 1278 « tirer sur les rames pour faire avancer un navire » (doc. ds A.
Boüard,
Actes et lettres de Charles Ier, roi de Sicile, 97, 102 ds
Fennis Stolon., p. 535); 1461 loc. fig.
vaugue la galee! (
Les Menus propos ds
Rec. gén. des Sotties, éd. E. Picot, t. 1, p. 111, 561); 1552
Vogue la gualere (
Rabelais,
Quart Livre, éd. R. Marichal, chap. 23, p. 123, 54);
2. ca 1425 p. métaph.
vauguer (comme nef qui perist) « être entraîné dans des hasards dangereux (d'une personne) » (A.
Chartier,
Le Livre de l'Esperance, éd. Fr. Rouy, p. 8, 117);
3. 1560
id. « avoir cours » (E.
Pasquier,
Rech., I, 12 ds
Gdf.); 1583-84 « être en vogue » (
Brantôme,
Des Dames ds
Œuvres, éd. L. Lalanne, t. 9, p. 339);
4. 1769
id. voguer « avancer sur l'eau (d'animaux aquatiques) » (
Delisle de Sales,
De la Philosophie de la nature, p. 489).
II. Trans. pot. 1765 (
Encyclop.:
Voquer, ce mot n'est pas françois, quoiqu'il se lise dans le Trévoux [
cf. Trév. 1704-1752]; c'est
voguer que disent les Potiers de terre et autres ouvriers. Voyez
voguer [le terme de pot. n'est pas mentionné
s.v. voguer]); 1771 (
Trév.:
Voquer v.a. Terme de Potier [...] On prétend qu'il faut dire
voguer: et il paroît qu'on a raison). I est d'orig. controversée. Pour
Vidos Tecn., pp. 165-168, suivi par
FEW t. 17, pp. 606-607 et
Bl.-W.
3-5, s'appuyant sur un lat. médiév.
vogatium « droit de navigation » att. en 1049 (Bulle de Léon IX adressée aux Bénédictins de l'abbaye de Stavelot et relative à la Loire, citée ds
Du Cange d'apr.
Mabillon) qu'il croit être une latinisation de
vogage dér. de
voguer,
voguer est empr. à l'a. b. all. *
wogon « balancer », altér. de
wagen «
id. », et l'ital.
vogare est empr. au fr. Cette hyp. se heurte à plusieurs difficultés: un terme de mar. empr. par l'ital. au fr. qui lui-même l'aurait empr. à l'a. b. all. est inhabituel, et l'on trouve en Italie du Sud des formes dial. en
-c- qui ne peuvent s'expliquer par l'empr. au fr.; de plus, le lat. médiév.
vogatium est dû à une mauvaise lecture de Mabillon; c'est
vogatio qui est att. ds le texte original et on peut l'interpréter comme une altér. de
(ad) vocatio « domaine » (
cf. H. et R.
Kahane,
infra). C'est pourquoi les étymologistes ital. (
Prati,
DEI, suivis par
Hope, p. 52,
Cor.-
Pasc. et
Fennis Stolon., pp. 536-537) voient dans
voguer un empr. à l'ital.
vogare, att. dès le
xiiies. (
Novellino et sirventes pisan d'apr.
Cort.-
Zolli; lat. médiév.
vogare en 1214 à Gênes ds
Jal1), lui-même issu du lat.
vocare « appeler » qui aurait pris le sens de « crier pour donner le rythme aux rameurs », puis celui de « ramer »; mais cette hyp. se heurte au fait que le lat.
vocare n'a pas laissé de descendant pop. en ital.; le passage de l'empl. trans. à l'empl. intrans. fait également difficulté. Aussi, plus récemment, H. et R.
Kahane (ds
Mél. Hubschmid (J.), pp. 249-254;
cf. Cort.-
Zolli), pour qui le fr. est aussi empr. à l'ital., ont émis l'hyp. (déjà entrevue par G.
Rohlfs ds
Lexicon Graecanicum Italiae Inferioris, p. 83) que l'ital.
vogare serait issu p. métaph. du gr. *β
α
υ
κ
α
́
ω « bercer, balancer », dér., comme la forme élargie β
α
υ
κ
α
λ
α
́
ω « bercer », β
α
υ
κ
α
́
λ
η « berceau », d'une racine pop. anc.
bauk- « bercement, balancement ». Cette hyp. a le mérite d'expliquer les formes dial. de l'Italie du Sud issues, soit de la forme longue (
voculiare, vuoculiare « balancer, basculer »,
vócula, vócola « berceau, bascule »), soit de la forme courte (
vúka, vóka « bercer »,
vocare, vocari, vucare « voguer, ramer »,
voca-voca « bascule »). II représente une altér. par fausse étymol. de
voquer (dep. 1680,
Rich.), à l'orig. forme dial. pic.-norm. ou occ. issue du lat. *
volvicare « tourner », dér. de
volvere «
id. » (
FEW t. 14, p. 624b et p. 625b, note 2), plutôt qu'une métaph. à partir de I avec d'abord une désonorisation inexpliquée (
FEW t. 17, p. 606b et p. 607b, note 2).