VISAGE, subst. masc.
Étymol. et Hist. A. 1. a) Ca 1100 « partie antérieure de la tête de l'homme » (
Roland, éd. J. Bédier, 283: vairs out les oilz e mult fier lu
visage);
b) 1636 expr. (J.
Auvray,
Banquet des muses, p. 199: il n'y paroit non plus qu'un nez en un
visage); 1690 (
Fur.: il y paroist comme le nez au
visage); 1718 (
Ac.,
s.v. nez: cela paroist [...] comme le nez au milieu du
visage);
c) α) 1580
en visage descouvert fig. « ouvertement » (
Montaigne,
Essais, II, 12, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 545); 1651
à visage découvert (
Corneille,
Nicomède, Avis au lecteur, classiques Bordas, p. 31);
β) 1700
à visage découvert « sans masque, sans voile » (
Dangeau,
Journal, éd. Soulié, Dussieux, de Chennevières, t. 7, p. 240);
2. ca 1330
faux visage « masque » (
Guillaume de Digulleville,
Pélerinage vie hum., éd. J. J. Stürzinger, 8373: hors en sacha Ceste boiste et [ce] fauz
visage).
B. 1. a) Fin
xiies. expr.
faire lait visage à (
Moniage Guillaume, éd. W. Cloetta, 2
eréd., 2620: Lors li rekigne si li fait lait
visage), attest. isolée; à nouv. fin
xves.
faire bon/mauvais visage à (
Philippe de Commynes,
Mém., éd. J. Calmette, V, 4, t. 2, p. 127: il [...] luy fist très bon
visaige; VII, 10, t. 3, p. 61: que tout homme luy fit mauvais
visaige);
b) 1388 expr.
faire visage de bois (Arch. du Nord, B 1681, f
o47 ds
IGLF Moy. Âge: je en viens et m'y a l'on fait
visage de bos); fin
xves.
trouver visage de bois (
Jean Molinet,
Chron., éd. G. Doutrepont et O. Jodogne, t. 2, p. 100: ilz trouverent
visaige de boix);
c) 1538 expr.
changer de visage (
Est.: Mutare vultum,
changer de visage); 1549 (
Est.:
Ung homme qui change de visage quand il veult, Vertumni facies);
d) 1900 expr. (
Moréas,
Iphigénie, I, 4, p. 31: ... cet homme soumis S'est montré tout à coup avec son vrai
visage); 1927
montrer son vrai visage (
Du Bos,
Journal, p. 142);
2. déb.
xves. « expression des traits de la face » (
Christine de Pisan,
Mutation de fortune, éd. S. Solente, t. 3, p. 184, 18646: a
visages desconfortez).
C. 1. a) 1342
(à) deux visages, pour exprimer la tromperie, la duplicité (
Renart le Contrefait, éd. G. Raynaud et H. Lemaître, t. 2, p. 74, 29656: paroles qui ont deux
visages); fin
xives. (
Froissart,
Chron., éd. G. Raynaud, t. 9, p. 204: une paix à deux
visages);
b) 1862
le vrai visage de qqc./qqn « ce qu'il est en réalité » (
Hugo,
Misér., t. 2, p. 664: mon vrai
visage, je l'aurais caché); 1869 (
Id.,
Corresp., p. 217: vous avez rendu à
l'Homme qui Rit son vrai
visage); 1894 (
France,
Lys rouge, p. 50: le vrai
visage de Napoléon);
c) 1864 expr.
sans visage « dont le véritable caractère est inconnu » (
Barb. d'Aurev.,
Memor. pour l'A... B..., p. 424: une foule sans
visage dans l'église);
d) 1968
à visage humain (à propos des événements du printemps 1968 en Tchécoslovaquie)
(Le Monde, 22 août, p. 1, col. 4: à Prague, un leader communiste parle de donner au socialisme « un
visage humain »); 1968 (
L'Aurore, 28 août, p. 6, col. 1: le socialisme au
visage humain); 1971 p. ext. (M.
Wandruszka,
Pour une linguistique à visage humain ds
Fr. mod. t. 39, p. 3) [
cf. en 1904,
Noailles,
Visage émerv., p. 57: tout cela [les péchés, les fautes] a un
visage humain];
2. 1580 « aspect (d'une chose) » (
Montaigne,
op. cit., I, 38, p. 235: nostre ame [...] se la represente [la chose] par un autre
visage).
D. 1. a) 1560 p. méton. « la personne elle-même » (
Ronsard,
Œuvres compl., éd. P. Laumonier, t. 7, p. 131, 3 [var.]: pour aimer sottement un
visage trop beau); 1627 (Ch.
Sorel,
Le Berger extravagant, t. 1, p. 826: Combien y a t'il que vous n'avez veu ce
visage? ce
visage m'a voulu quereller. C'est un fort plaisant
visage);
b) ca 1629 expr.
épouser un visage (
Corneille,
Mélite, I, 1, vers 110: j'espouse un
visage);
2. 1855
visages pâles « les Blancs, pour les Indiens d'Amérique » (
Mérimée,
Mél. hist. et littér., p. 56). Dér. de l'a. fr.
vis « visage » (
cf. vis-à-vis); suff.
-age*. Au sens D 2,
cf. l'angl.
pale-face (1822 ds
NED).
Visage a concurrencé, puis supplanté
vis, usuel jusqu'au
xves. (
cf. vis-à-vis) et
chère*, usuel jusqu'au
xvies. À partir de cette époque,
visage se trouve en concurrence avec
face, mais l'emporte largement en fréq. sur ce dernier, jusqu'à nos jours, et ne voit son hégémonie éclipsée que temporairement au
xixes. par
figure, dont le sens de « visage » est apparu au
xviiies. (v.
Renson, pp. 664-681).