USINE, subst. fém.
Étymol. et Hist. 1. xiiies., Nord,
occhevine « bâtiment destiné à l'exercice d'une activité artisanale, construit près d'un cours d'eau, dans lequel on utilise la force hydraulique pour mouvoir des rouages [atelier de foulon, de brasseur, de fondeur, tanneur; moulin; pressoir...] » (
Coutume des Bourgeois de Cambrai ds
Tailliar,
Rec. d'actes des XII-XIIIes. en langue rom.-wallonne) att. surtout avec la forme pic.
œ(u)chine, euchine (v.
Gdf.,
s.v. œuchine et
FEW t. 7, p. 334b); 1274
wisine (
Charte des Comtes de Lille ds
Du Cange s.v. usina; v. aussi
Gdf. s.v. usine); figure dans la lexicogr. dep.
Trév.1771 (qui cite un édit de 1749), au
xviiies. également dans des doc. officiels (v.
Brunot t. 6, 1, pp. 382-383), ds
Encyclop. t. 7,
s.v. forge [mais pas en vedette] et au déb. du
xixes., désignant prob. une réalité intermédiaire entre 1 et 2 a, liée à l'évol. des techn. et des conceptions du travail, dans la première étape du développement industr., celui des grandes manufactures;
2. « établissement industriel conçu pour la fabrication en série de produits ou la génération de sources d'énergie, dans lequel les ouvriers utilisent des machines mues par différentes sources d'énergie »
a) α) 1832 (
Say,
Écon. pol., p. 108: des portions du capital qui durent plusieurs années comme les bâtiments des
usines, les machines et certains outils);
β) 1839
usine à sucre (
Balzac,
Corresp., p. 677);
γ) 1842
usine à gaz (
Reybaud,
J. Paturot, p. 29);
δ) 1851
usines métallurgiques (
Cournot,
Fond. connaiss., p. 508);
ε) 1879
usine modèle (
Verne,
500 millions, p. 66);
b) empl. métaph.
α) 1852 (
Hugo,
Corresp., p. 98: cette librairie serait l'
usine intellectuelle du monde entier);
β) 1870 (
Goncourt,
Journal, p. 619: se bousculant à l'entrée ou à la sortie de la gigantesque
usine à manger de nos soldats). Mot dial. du Nord et de l'Est (
cf. lat. médiév.
usina att. en 922, Franche-Comté pour désigner un moulin, v.
Nierm., une autre attest. en 1149, Champagne ds
Du Cange), issu (selon une évol. phonét. propre aux parlers de ces régions, v.
Thomas (A.)
Essais, pp. 395-396) du lat.
officina « atelier, fabrique » (v. aussi
officine). Jusqu'au
xviiies. le mot est, d'une part, localisé géographiquement, et d'autre part, empl. comme terme générique pour désigner un bâtiment dans lequel on pratiquait une activité utilisant des machines, des rouages mus par la force hydraulique. Au
xviiies. l'usage du mot se répand, il apparaît dans des doc. officiels, mais comme un mot nouv. dont le sens a besoin d'être précisé,
cf. Brunot,
loc. cit. qui cite la déf. de l'
Encyclop. méthod. (fin
xviiies.), celle du
Dictionnaire-Vocabulaire de Magnien et Deu (1809), et qui fait réf. à un mém. de Condorcet fournissant ,,toute une doctrine sur l'usine, établissement marchant à l'eau``. À partir des années 1830-40, le mot devient d'usage cour. pour désigner l'ensemble de l'établissement industr., des machines qui y sont implantées (quelle que soit la source d'énergie) et de l'activité que l'on y pratique dans le cont. de l'industrialisation en plein essor (transformation du monde du travail à la fois au plan des nouv. techn. et à celui des nouv. conceptions d'organ. du travail). La prédominance de
usine s'explique: d'une part, par son statut de mot « nouveau » non marqué, comme
manufacture* ou
fabrique* par l'appartenance au concept du travail des
xves.,
xvies.,
xviies. (de plus ces deux mots signifient originellement « fabrication, production (de biens) » et non « endroit où s'exerce une activité »); d'autre part, et p. oppos. à
atelier*,
boutique*,
ouvroir*, officine* (qui désignent des lieux de taille réduite, où pouvaient se trouver réunies l'activité de production artis. et la vente) son sens originel de « endroit où l'on effectue un travail à l'aide de machines » l'a rendu partic. apte à désigner la réalité nouv. de l'étape industr. Pour des éléments sur l'hist. des mots cités ci-dessus, v.
Goug. Mots t. 1, pp. 228-231;
Brunot t. 6 et t. 9; K.
Baldinger ds
Mél. Brunner (O.), pp. 318-335;
Gemmingen Arbeit.