TRAVAILLER, verbe
Étymol. et Hist. I. Trans.
A. 1. « tourmenter, faire souffrir moralement »
a) ca 1100 d'une personne (
Roland, éd. J. Bédier, 380);
b) ca 1176 d'un inanimé abstr. (
Chrétien de Troyes,
Cligès, éd. A. Micha, 4527: Ensi
travaille Amors Fenice, Mes cist travauz li est delice, Qu'ele ne puet estre lassee);
2. ca 1176 « soumettre physiquement à une action pénible, fatiguer » (
Id.,
ibid., 3323: Molt fu la poisons bien confite Qui si le
travaille et demainne);
3. ca 1180
traveillier « torturer, martyriser » (
Hist. Joseph, 1007 ds T.-L.);
4. 1397
travaillier « dresser, exercer » ici, un chien (
Gace de La Buigne,
Deduis, éd. Å. Blomqvist, 6735);
5. 1792 arg.
travailler le casaquin « rouer de coups » ici, p. métaph. ([Le Père Duchêne de la rue Pavée]
Billet doux du Père Duchêne, p. 1 ds
Quem. DDL t. 32,
s.v. pisse-froid); 1793
travailler les côtelettes «
id. » au propre (
Lombard de Langres ds
Larch. 1872,
s.v. casaquin).
B. Ca 1165 pronom. réfl. « se donner de la peine, s'efforcer » (
Grant mal fist Adam, éd. W. Suchier, 87, 5).
C. 1. Ca 1200 « soumettre une matière, une chose, à une action destinée à en modifier la forme ou les propriétés » (
Poème moral, éd. A. Bayot, 1246: Bien savoit Ke lo lin, dont home vult cansil faire, Covient mut
travilhier, batre, trieleir et traire);
2. 1599 « soumettre à un travail de remaniement, de correction, pour améliorer ou atteindre l'effet souhaité » ici, au part. passé (
Amyot,
Vies des hommes illustres, Timoléon, 47 ds
Littré [t. 1, p. 561 ds l'éd. G. Walter]: La poésie d'Antimachus et la peinture de Dyonisius sont bien pleines de nerfs et de vigueur; mais on voit incontinent, que ce sont choses
travaillées et faittes avec peine et labeur);
3. 1847 « soumettre à l'exercice (une partie du corps) pour améliorer son efficacité » (
Balzac,
Splend. et mis., p. 235: Le chanteur
travaille son larynx);
4. 1875 « essayer d'acquérir une connaissance par l'étude » (
Zola,
Faute Abbé Mouret, p. 1302).
D. Trans. indir.
1. xiiies.
travaillier à + inf. « s'efforcer de » (
Villehardouin,
Conquête de Constantinople, éd. E. Faral, 90, var. mss CD);
2. 1384-85
travailler à qqc. « pratiquer son métier sur quelque chose » (
Dehaisnes,
Doc. [
...]
concernant l'hist. de l'art dans la Flandre, t. 2, p. 604 ds
Gemmingen Arbeit, p. 112).
II. Intrans.
1. 1
remoit.
xiies. « être en peine, s'épuiser » (
Psautier Cambridge, 6, 6 ds T.-L.);
2. ca 1165 « être dans les douleurs de l'enfantement » (
Guillaume d'Angleterre, éd. A. J. Holden, 454);
3. ca 1200 « exercer une activité qui demande un effort » (
Poème moral, 235);
xiiies.
travailler en une vigne (
Sermons poit., 42 ds T.-L.); 1534 « exercer une activité assurant la subsistance » (doc. ds H.
Hauser,
Ouvriers du temps passé, XVe-XVIes., p. 63 ds
Gemmingen Arbeit, p. 115); 1581
faire travailler « embaucher, employer » (doc. ds R.
de Lespinasse,
Les métiers et corporations de la ville de Paris, t. 3, p. 377,
ibid., p. 114);
4. 1675 « produire des revenus » (de l'argent) (M
mede Sévigné, lettre 13 nov. ds
Corresp., éd. R. Duchêne, t. 2, p. 159);
5. 1690 « subir une force, une action » (d'un objet, d'une matière, d'une substance) (
Fur.);
6. 1721 au fig. « être en effervescence » (
Montesquieu,
Lettres persanes, p. 98: Mon esprit
travaille depuis deux jours). D'un lat. vulg. *
tripaliare « torturer », dér. de
tripalium (
travail2*). Contrairement à l'évol. de
travail1*, le passage de « se donner de la peine » à « exercer une activité utile, en partic. un métier » s'est fait très progressivement, sans rupture et a été facilité par l'homon. partielle d'
ouvrer* avec
ouvrir*, ce qui a entraîné à partir du
xviies. la disparition d'
ouvrer* dans ce sens au profit de
travailler. FEW t. 13, 2, p. 291;
Gemmingen Arbeit, pp. 112-119.