TRANCHER, verbe
Étymol. et Hist. A. 1. a) Ca 1100 trans. « couper en séparant »
faire trecher les testes (
Roland, éd. J. Bédier, 57; 732: La destre oreille al premer uer
trenchat);
b) id. « fendre, couper en 2 parties par le milieu » (
ibid., 1543:
Trenchet la teste e la broine et le cors; 3617:
Tranchet la teste pur la cervele espandre); 1581 p. ext. hérald. part. passé adj. [écu, blason]
tranché (
De Bara,
Blason des armoiries d'apr.
FEW t. 13, 2, p. 280a); 1690
escu tranché (
Fur.);
c) α) ca 1100 intrans. « (d'une lame) être tranchant » (
Roland, 1339: Tient Durandal, ki ben
trenchet e taillet);
id. part. prés. adj.
espiet trenchant (
ibid., 867);
ca 1180
id. p. anal. « qui semble coupant; sec » (
Hist. de Joseph, 954 ds T.-L.: les 7 vaches maigres [...]
tranchanz); 1376
id. cynégét. « (des côtés du pied du cerf) qui n'est pas usé » (
Roi Modus, Gloss., p. 414,
ibid.);
β) déb.
xiies.
id. subst. « partie coupante d'une arme » (
Benedeit,
St Brendan, 1720,
ibid.); 1756 empl. par image
glaive à deux trenchants « qui blesse des deux côtés » (
Voltaire,
Essai sur les mœurs, chap. 191, éd. R. Pomeau, t. 2, 1963, p. 753: Ce pouvoir était entre les mains du sultan un glaive à deux
trenchants);
2. ca 1170 intrans. « se déchirer, se rompre; craquer » (
Chrétien de Troyes,
Erec, éd. M. Roques, 974; 4555); 1205-50 p. anal. (
Renart, éd. E. Martin, XIII, 1174: De fein m'en
trencent li boiel);
3. 1174-87 empl. abs. « découper (à table) » (
Chrétien de Troyes,
Perceval, éd. F. Lecoy, 3273); 1530 spéc.
escuier trenchant (
Palsgr., p. 235 b [
cf. 1280,
Philippe de Beaumanoir,
Jehan et Blonde, 196 ds T.-L.: un escuier, Qui sache devant li
trenchier]);
ca 1393 part. passé adj.
piece [
noyau du beuf]
tranchee (
Menagier, éd. G. E. Brereton et B. Smalley, II, V, 25, p. 196, 18);
4. a) 1315 trans. « creuser, pratiquer une tranchée dans » (Arch. nat., K 7223 ds
Gdf. Compl.);
b) 1176-81 part. passé adj.
roche tranchiee contre val « taillée à pic » (
Chrétien de Troyes,
Chevalier de la charrette, éd. M. Roques, 427);
ca 1210 (
Raoul de Houdenc,
Meraugis, éd. M. Friedwagner, 4270: riche trenchiee Dont la falise estoit
trenchiee Plus de cent toises en parfont).
B. 1. a) Av. 1188 trans. « réduire à néant, supprimer » (
Partanopeus de Blois, éd. J. Gildea, 7272 Quant vuelt Parthonopeunomer, Li dent li
trainchent le parler);
ca 1220 (
Gui de Cambrai,
Barlaam et Josaphat, 438 ds T.-L.: la joie de la naissanche De son fil [...] Li
trencha molt de sa dolor);
b) ca 1460
trancher le chemin « barrer le chemin, empêcher l'accès vers un lieu » (
Mystère du siège d'Orléans, éd. Fr. Guessard et E. de Certain, 20119); 1561
id. fig. (
Calvin,
Comm. s. l'harm. evang., p. 2 ds
Gdf. Compl.);
c) 1576 « couper, réduire, abréger »
trancher court son discours (J.
Bodin,
République, préf., éd. Chr. Frémont et M. D. Couzinet, t. 1, 1986, p. 11: Platon et Aristote ont
tranché si court leurs discours Politiques, qu'ils ont plustost laissé en appetit que rassasié ceux qui les ont leus); 1616 « interrompre, couper court » (D'
Aubigné,
Tragiques, II, 1058, éd. A. Garnier et J. Plattard, t. 2, p. 77: Triste, je
trancherai ce tragique discours);
2. a) ca 1220 part. prés. adj. « qui parle, se prononce hardiment, de manière péremptoire » en mauvaise part (
Henri de Valenciennes,
Hist. empereur Henri de Constantinople ds
Geoffroi de Villehardouin,
Conquête de Constantinople, éd. N. de Wailly, § 689: Trahitres et faus [...] et
trençans); fin
xiiies. en bonne part (
Vieille truande, 26 ds A.
de Montaiglon et G.
Raynaud,
Rec. gén. fabliaux, t. 5, p. 172: si cortois et si sachanz E de parole si
trenchanz); 1306 empl. abs. « déclarer de manière sûre, autorisée » (
Guillaume Guiart,
Royaux lignages, I, 6813 ds T.-L.: si com l'escriture
tranche); 1538 part. prés. subst. « caractère tranchant (de paroles, d'une personne) » (
Est.,
s.v. acies [
orationis]: la poincte ou le
trenchant);
b)1565
trancher et couper de « décider, résoudre une question de manière autoritaire » (E.
Pasquier,
Recherches, II, 6 ds
Œuvres, t. 1, Amsterdam, Libraires associéz, 1723, p. 85b);
3. 1488
trenchier du gros bis [a. fr.
grobis « important »
cf. Väänänen,
Recherches et Récréations latines, pp. 275-288] « faire l'important » (
Rec. Trepperel,
Sotties, éd. E. Droz, VIII, 249);
4. a) 1667 « (en parlant de deux couleurs) faire contraste » part. prés. adj. (S.
Bourdon,
Conf., Jouin, p. 131 ds
Brunot t. 5, p. 740, note 10); 1690
couleurs qui trenchent (
Fur.); 1770-83 part. passé adj.
noir bien tranché (
Buffon,
Oiseaux, t. 4, p. 136 ds
Littré);
b) 1718 fig. part. prés. adj. « (dans un discours, un écrit) être de caractère différent du contexte » (
Ac.); av. 1770 part. passé adj.
divisions tranchées (
Bonnet,
Paling. phil., III, 3 ds
Littré). Orig. incertaine. L'a. fr.
trenchier, l'a. prov.
trencar (1180,
Girart de Roussillon, éd. W. M. Hackett, 4450:
vines trencar); l'a. cat.
id. (
xiies. fig. « détruire »; 1283 sens propre
Ramon Lull,
Blanquerna ds
Alc.-
Moll) sont peut-être issus d'un lat. vulg.
*trι
̄nicare propr. « couper en trois parts » (formé à partir du distributif
trι
̄ni « à chacun trois; trois à trois » sur le modèle de
duplicare « doubler »), altéré en
trĭ- soit d'apr. le cardinal lat.
trēs « trois », soit par croisement avec un gaul. *
trĭncare « couper [la tête] » (que l'on peut déduire du subst. plur.
trinci, qui, dans une inscription de Sardes de
ca 177 désigne des gladiateurs (ceux-ci devant prob. combattre jusqu'à la décollation) et pourrait être rapproché du rad. *
trenk-, lat.
truncus (A.
Pigagnol ds
R. Ét. anc. t. 22 1920, p. 283-290)); v. aussi J.
Vendryes ds
R. celt. t. 39 1922, p. 404). L'a. prov.
trinca (1355 [copie 1435]
camis trinquats Coutumes de Rouergue ds
Levy (E.)
Prov., p. 435 b;
cf. les dér.
trincada xives.
Hist. anon. guerre albig.,
ibid., p. 432 a;
trincament xives. trad.
Gesta Karoli, ibid., p. 433 b) est soit directement issu de *
trι
̄nicare, soit, étant donné sa date tardive et sa rareté par rapport au type
trencar, de même orig. que ce dernier avec fermeture de ȩ à
i devant
n en syll. fermée (
Ronjat, § 81); dans l'hyp. de cette évol. phon., les deux types
trencar-trenchier et
trinca pourraient être issus du gaul. *
trι
̄ncare; v.
FEW t. 13, 2, p. 284a et 285a, note 34.