TANT, adv. et nom.
Étymol. et Hist. I. A. Adv. de degré
1. a) modifie un adv. 2
emoit.
xes. « très, beaucoup » (
St Léger, éd. J. Linskill, 21: Il lo reciut [l'évêque de Poitiers; St Léger],
tam ben en fist [v. note sur
tam p. 21]); fin
xes. (
Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 106:
Tan dulcement pres a parler [Jesus]; 130);
b) ca 1100 « tellement, si » fréq. dans les exclam. (
Roland, éd. J. Bédier, 2946: Ceste dolor ne demenez
tant fort!);
c) α) fin
xes. corrél. de
que introd. une conséc. « tellement ... que » (
Passion, 73: Los sos talant
ta fort mostred [Jesus] Que grant pavors pres als Judeus);
β) ca 1100 terme d'appel, suivi d'une conséq. en parataxe « id. » (
Roland, 1601: Li quens le fiert
tant vertuusement Tres qu'al nasel tut le elme li fent);
d) ca 1170 loc. adv.
tant seulement « seulement » (
Chrétien de Troyes,
Erec, éd. M. Roques, 104);
e) α) tant pis loc. adv. [
xvies.
Bl.-W.
1-5] 1663 (
Molière,
Crit. Ecole des femmes, I, 1:
Tant pis pour ceux [...] qui se tuent tout le jour à parler ce jargon obscur [...]
Tant pis encore de prendre peine à dire des sottises); av. 1664
tant pis pour lui (Ablancourt d'apr.
Rich. 1680); 1668
Médecin Tant pis [...]
son confrère Tant mieux noms plaisants (
La Fontaine,
Fables, V, 12);
β) tant mieux [
id.] marque la satisfaction devant un résultat heureux 1690 (
Fur.); 1694
tant mieux pour lui (
Ac.); 1718
tant pis, tant mieux marque que l'on ne se soucie guère de la chose dont on parle (
Ac.);
2. modifie un adj.
a) 2
emoit.
xes. « très, beaucoup » (
St Léger, 160: Ewruins, qui
tan fud miels);
b) α) id. terme d'appel annonçant une conséc. en parataxe « tellement [+ adj.] que » (
ibid., 153: Li perfides [Ebroïn]
tam fud cruels, Li ols del cap li fai crever);
β) 1130-40 corrél. de
que introd. une conséc. « id. » (
Wace,
Conception N.-D., éd. W. R. Ashford, 1561; 1564);
c) ca 1100
tant par [+ adj.]
cume [+ subst.] marque une compar. « autant que, comme » (
Roland, 3162: le chef recercelet [de Baligant]
Tant par ert blancs cum flur en estet);
d) ca 1215
tant plus loc. adv. exprimant l'intensité « d'autant plus » (
Aimeri de Narbonne, 2459 ds T.-L., 85, 26:
tant sui ge
plus marrie);
3. modifie un verbe
a) ca 1050 « tellement, si bien » (
St Alexis, 7; 334);
b) id. spéc. « si longtemps »
tant durer (
ibid., 445);
c) α) id. corrél. de
que introd. une conséc. (
ibid. 26; 34);
β) id. la conséc. est en parataxe (
ibid. 320:
Tant l'as celet [la présence d'Alexis sous l'escalier], mult i as grant pechet);
d) ca 1150
tant [...]
plus que « bien plus que » (
Charroi de Nîmes, éd. D. McMillan, 189: Passai avant,
tant fis plus que estot);
e) ca 1200
tant [...]
plus [...]
que « d'autant plus [...] que » (
Poème moral, éd. A. Bayot, 3624:
Tant hairat plus Deu que plus de mal arat).
B. 1. Servant à exprimer une compar.
a) expr. de l'égalité
α) 2
emoit.
xes.
tan [
de ...]
quant « autant de [...] que » (
St Léger, 135: Por quant il pot,
tan fai de miel); 1160-74
tant por [...]
tant por « autant pour [...] que pour; soit pour ... soit pour » (
Wace,
Rou, éd. A. J. Holden, II, 1392:
Tant por un,
tant por el moult le cuilli en hé);
β) ca 1100
tant cum « autant que » mode ind. (
Roland, 76:
tant cum vos en vuldrez; 2110); 1
remoit.
xiiietant que « id. » (
Aucassin et Nicolette, éd. M. Roques, XIV, 18);
b) expr. de la variation proportionnelle
α) ca 1150
quant plus [...]
tant plus (
Wace,
St Nicolas, éd. E. Ronsjö, 1449: Quant il plus l'estreisnt et covri,
Tant corut plus et espandi);
β) ca 1200
tant plus [...]
tant plus « plus [...] plus » (
Poème moral, 118-119);
c) α) 1370-72
en tant comme [+ subst.] « en qualité de, comme » (
Nicole Oresme,
Ethiques, éd. A. D. Menut, III, 10, p. 194, note 2: c'est impossible que mal en
tant comme mal soit bien); 1690
en tant que (
Fur.);
β) en tant que loc. conj. « pour autant que, dans mesure où » + ind. (
Palsgr., p. 865 b);
2. corrél. d'un terme introd. une conséc.
supra I A 1 c, I A 2 b β, I A 3 c β;
3. corrél. d'une conj. introd. une temp.
a) coïncidence de 2 durées
α) loc. conj.
tant cum « aussi longtemps que »
ca 1050 + ind. [la durée envisagée a des limites déterminées, probables;
Moignet, p. 235] (
St Alexis, 165: N'en volt turner [Alexis; de sa pauvreté]
tant cum il ad a vivre);
ca 1100 (
Roland, 1802);
id. + subj. [les limites de la durée semblent imprécises;
Moignet,
loc. cit.; fréq. lorsque le verbe de la princ. est de forme nég.] (
ibid., 544);
β) ca 1200
tant que « id. » + ind. (
Poème moral, 2959:
tant que la luxure suet l'omme emprisoneir, Vers l'amor Deu ne puet son coraige esleveir);
b) situation par rapport à un procès postérieur
ca 1100
tant [
...]
que « jusqu'à ce que » + ind. [le procès est prévu comme probable ou posé comme effectif] (
Roland, 1829:
Tant le guardent quel rendent a Charlun);
ca 1135 (
Couronnement de Louis, éd. Y. G. Lepage, réd. AB, 1981: Puis s'en alerent
tant qu'il sont a Poitiers); 1225-30 + subj. [mode subj. procès pensé comme possible] (
Guillaume de Lorris,
Rose, éd. F. Lecoy, 2410: Ja fin ne prendra ceste guerre,
Tant que j'en veille la pes querre);
4. sert à exprimer la cause
a) ca 1100
tant introduit une causale [issu de l'empl. conséc.] + ind. (
Roland, 2880: Sur lui se pasmet,
tant par est anguisseus); 1230-35 (
Mort le roi Artu, éd. J. Frappier, 53, 10);
b) ca 1165
en tant que loc. conj. « étant donné que » (
Benoît de Ste-
Maure,
Troie, éd. L. Constans, 25041);
5. ca 1135 introd. une adversative (implique une notion de degré) + subj. (
Couronnemment de Louis, réd. AB, 1647: Gardez n'en isse nus hom [...]
tant saiche bien proier, Que il n'en ait toz les membres tranchiez);
6. ca 1165
se tant est que loc. conj. exprimant la condition restr. « à supposer que, en admettant que » + subj. (
Benoît de Ste-
Maure,
op. cit., 22083: se
tant est que estre puisse; 29697: se
tant est que faire le puisse).
C. La loc.
tant de (tant pron. indéf. relié à un subst. par la prép.
de) [
cf. ce tant de « autant de » 1
erquart
xiiies.
Courtois d'Arras, éd. E. Faral, 72]
1. le subst. désigne un inanimé
a) ca 1050 « autant de »
tant de [
...]
dunt (
St Alexis, 99: Tant an retint [de l'aumône] dunt ses cors puet guarir; 252); 1119
en tant De tens (
Philippe de Thaon,
Comput, 1965 ds T.-L., 83, 6);
b) ca 1100 « tellement, une si grande quantité de »
id. (
Roland, 132:
Tant i avrat de besanz esmerez Dunt bien purrez vos soldeiers luer);
2. le subst. désigne une pers.
ca 1100
tant de « un si grand nombre » +
que introd. une conséc. (
ibid., 1035:
Tant en i a [des corps d'armée] que mesure n'en set).
D. a) Ca 1240
en tant com de + subst. « en ce qui concerne, quant à » (
Jean de Thuin,
Jules César, 76, 2 ds T.-L., 92, 6); 1288
tant que (
Jean de Journi,
Dîme de pénitence, 2414,
ibid., 93, 43);
ca 1349
tant qu'a (
Dial fr. fl., F I b,
ibid., 93, 40);
b) 1395
tant qu'est a parler de (
Voyage à Jérusalem du seigneur d'Anglure, 251,
ibid., 93, 51);
c) 1905
tant qu'à + inf. avec valeur concess. (
Gide,
Journal, p. 155:
tant qu'à m'ennuyer, je préfère...).
II. A. 1. Adj. indéf. accordé avec le subst. qualifié
a) plur.
α) masc. « si nombreux »
ca 1050 cas régime (
St Alexis, 471:
tanz jurs t'ai desirret);
ca 1100 cas suj. (
Roland, 1401:
Tant bon Franceis i perdent lor juvente!);
β) fém.
ca 1050 (
St Alexis, 397; 473);
b) sing.; le subst. a valeur coll. de plur.
α) ca 1100 masc. (
Roland, 570 [conséc. en parataxe]: L'empereür
tant li dunez aveir N'i ait Franceis ki tot ne s'en merveilt; 1623);
β) id. fém. (
ibid. 2922:
tante gent adverse);
2. adj. invar. [
cf. I C]
id. (
ibid., 3979 [conséc. en parataxe]:
Tant a oït e sermuns e essamples Creire voelt Deu); 1160-74 (
Wace,
Rou, III, 120:
Tant eurent terres); 1176-81 [la conséc. annoncée par
tant est introd. par
que] (
Chrétien de Troyes,
Chevalier de la charrette, éd. M. Roques, 1016).
B. 1. Ca 1100
tant « si nombreux » annonce une conséc.,
supra II A 1, 2;
2. id. tant corrél. de
com introd. une compar. d'égalité « autant de...que » (
Roland, 2378; 3631: Cascuns i fiert
tanz granz colps cum il poet).
III. Pron. indéf.
1. neutre
a) α) ca 1100 « autant que ceci, cela; ceci, cela précisément; ceci, cela » (
ibid. 2098: Ki
tant ne set...);
ca 1165 (
Benoît de Ste-
Maure,
op. cit., 29893:
Tant me disent, ne plus ne meins);
β) id. corrél. annonçant une complétive introd. par
que (
Id.,
op. cit., 13562; 19936); v. aussi
pourtant et
partant2adv.;
b) ca 1120-1150 précédé du dém.
cel « ce [que, qui] » (
Grant mal fist Adam, I, 35 ds T.-L., 82, 24; avrai dit Cel
tant que jeo sai);
ca 1160 (
Eneas, 3038,
ibid., 82, 85);
2. masc. plur. 1160-74 empl. abs. (
Wace,
Rou, III, 340: Se ele ne fust de
tanz seüe [l'aventure]);
ca 1165
tant de (
Benoit de Ste-
Maure,
op. cit., 12268: en raduisit
tanz [de combattants]);
id. tant de +
que conséc. (
Id.,
op. cit., 15666: e des Menelau i ot
tanz Que ...).
IV. Subst.
1. plur. précédé d'un numéral qui le multiplie « fois [autant] » déb.
xiies.
cent milie tant (
Benedeit,
St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 1797);
2. 1370-72 désigne une quantité que l'on n'exprime pas (
Nicole Oresme,
op. cit., V, 10, p. 292, note 4: la loi de souffrir
tant pour
tant n'est pas juste [
cf. p. 291, note 1: Tele chose est appelee [...]
pena talionis]); 1530
ung tant (
Palsgr., p. 848 a: il est plus hault que vous d'ung
tant); 1668 désigne une somme d'argent, un revenu déterminés (
La Fontaine,
Fables, VI, 4: rendre
tant [de la concession d'une ferme]); 1882
un tant pour cent [sur les ventes] (
Zola,
Au bonheur des dames, II ds
Gil Blas, 21 déc., col. 5 d'apr.
Quem. DDL t. 16).
Tant indéf. fonctionnant comme adj., pron., subst., décliné sur le parad. de la 1
reclasse des adj. (sing. masc.
tanz [
tans],
tant; fém.
tante; neutre
tant. Plur. masc.
tant, tanz [
tant]; fém.
tantes) est issu de l'adj. lat.
tantus « de cette quantité, de cette grandeur, aussi grand » (
urbes tantas; tanta vitia;
sescenta tanta reddere « six cents fois autant »); fréq. empl. en corrél., notamment
tantus ... quantus, tantus ... quam. Dès l'époque imp. (Properce, Manilius, Lucain, Stace,
Lat. Gramm. 2
Syntax und Stilistik, p. 206), l'évol. s'amplifiant à basse époque,
tanti plur. est empl. comme synon. de
tot « tant de; de si nombreux », le caractère bref de ce dernier adv. expliquant en partie son déclin (déb.
iiies. Tertullien ds
Blaise Lat. chrét.;
cf. fin
ives.
Peregr. Aether., V, 8:
quae quidem omnia singulatim scribere satis fuit, quia nec retineri poterant tanta, v.
Löfstedt, p. 147). L'acc. neutre sing.
tantum est relevé avec valeur nom. au sens de « cette grandeur, cette quantité, autant » (
tantum debuit, Plaute;
tantum dabis, Cicéron); il peut également être pris avec valeur adv.: empl. avec le génitif d'espèce sing. (
tantum belli, Tite-Live;
tantum licentiae, Cicéron) ou plur. (
tantum civium, Cicéron), en corrél. avec
quantum (
tantum verborum est quantum necesse est, Cicéron) ou avec
ut conséc.
(tantum animi ut..., id.). Dès l'époque class.,
tantum adv. s'emploie comme synon. de l'adv.
tam « si, tellement » pour modifier un adj. (Virgile, Horace).