SOIN, subst. masc.
Étymol. et Hist. A. Sing.
1. a) ca 1100
n'aveir soign de « n'avoir cure de » (
Roland, éd. J. Bédier, 3250);
b) α) xiiies. [ms.]
n'estre en soing « n'avoir pas de souci, n'être préoccupé de rien » (
Chrétien de Troyes, Perceval, éd. A. Hilka, var. du v. 1944);
β) 1460-66
venir à soing « se faire du souci, être en peine » (
Martial d'Auvergne, Arrêts d'amour, éd. J. Rychner, XL, 80);
γ) 1661 « effort, mal qu'on se donne pour éviter ou obtenir quelque chose » (
Molière, École des maris, I, 2 ds
Œuvres, éd. E. Despois, t. 2, p. 369, 167);
c) α) ca 1480
prendre soing de (suiv. de l'inf.) « veiller à faire en sorte que, s'efforcer de » (
Myst. du V. Testament, éd. J. de Rothschild, 40861);
β) 1536
avoir soing de (suivi de l'inf.) «
id. » (
R. de Collerye, Rondeaux, LXXXXIIII ds
Œuvres, éd. Ch. d'Héricault, p. 238);
2. 1480 « exactitude qu'on apporte à faire quelque chose » (
Myst. du V. Testament, 42769);
3. 1538 « charge, fonction, devoir de veiller à quelque chose » (
Est. d'apr.
FEW t. 17, p. 272a);
4. a) 1538
avoir, prendre soin de qqc. « veiller à ce qu'une chose se conserve, à ce qu'elle prospère » (
ibid.; aussi
avoir le soin à qqc. en 1503,
Eglise de S. Omer, I, 69 ds
IGLF);
b) 1538
avoir soin de qqn « pourvoir aux besoins de » (
Est. d'apr.
FEW loc. cit.).
B. Plur.
1. a) 1655 « assiduités galantes, marques de dévouement à la personne aimée » (
Molière, L'Étourdi, I, 4, 149 ds
Œuvres, éd. E. Despois, t. 1, p. 115);
b) α) 1662
petits soins « attentions délicates, petits services de la galanterie, de l'amour » (
Id., École des Femmes, I, 4, 313,
ibid., t. 3, p. 184); on note en 1654 « Petits soins » comme lieu de la
Carte du Tendre ds la
Clélie de M. de Scudéry, v.
Molière,
Œuvres, t. 2, p. 64;
β) 1798
en être aux petits soins avec qqn « avoir pour quelqu'un les attentions les plus délicates » (
Ac.); 1842
être aux petits soins pour qqn «
id. » (
Balzac, Mém. jeunes mariées, p. 283);
2. 1671 « actions par lesquelles on conserve ou on rétablit la santé » (M
mede Sévigné, Corresp., lettre du 7 juin, éd. R. Duchêne, t. 1, p. 265; on note ds
Est. 1538
avoir soins de malades « soigner », v.
FEW t. 17, p. 272a);
3. a) 1672 « actes par lesquels on soigne quelque chose ou quelqu'un » (M
mede Sévigné, op. cit., lettre du 3 juill., t. 1, p. 545);
b) 1909
aux bons soins de (
M. Leblanc, loc. cit.). Étymol. incertaine. On note à côté du subst. masc.
soing, bien qu'à une époque un peu plus récente, le subst. fém.
soigne « souci, peine » (
ca 1180,
Proverbe au vilain, 100a ds T.-L.) et le verbe
soigner* que l'on rapproche respectivement du lat. médiév.
sunnis, fém. « excuse légitime ou empêchement de comparaître » (
vies.,
Lex Sal., tit. 1, § 2 ds
Nierm.; ailleurs
sunnia, sonia, somnis, etc.) et du lat. médiév.
soniare « procurer le nécessaire, donner ou recevoir l'hospitalité » (fin
viies.,
Formulae Andecavenses, n
o58,
Form., p. 25,
ibid., s.v. sonniare) dans lesquels on a voulu voir un empr au frq.: d'une part au subst. fém. *
sunnia « souci », d'autre part au verbe *
sun(n)jôn « s'occuper de, se soucier de ».
Diez 1853 (
s.v. sogna) rattache le subst. frq. à l'a. nord.
syn, fém. « démenti », corresp. au got.
sunja « vérité », a. sax.
sunnea « excuse », a. h. all.
sunne « cas de force majeure » et le verbe frq. à l'a. nord.
synja « dénier, refuser, acquitter », got.
sunjôn « excuser, justifier ».
Wartburg écarte, en raison de la différence de genre, la possibilité d'un empr. dir. du fr.
soin, masc. à l'a. b. frq. *
sunnia, fém. et souligne que la chronol. s'oppose à faire de
soin un déverbal de
soigner; il se rallie à l'hyp. de V. Günther selon laquelle le b. lat.
sonium, neutre « souci » (
ves.,
FEW t. 17, p. 279b), auquel il convient de rattacher
soin, ne peut s'expliquer, de même que le lat.
soniari « se faire du souci » (
vies.,
FEW t. 17, p. 280a), que comme un empr. à un mot germ. neutre et plus précisément au subst. neutre a. b. frq. *
sun(n)i « souci, peine », d'un adj. a. b. frq. *
sun(n)i « soucieux » (forme non fléchie de *
sunnia), d'apr. l'adj. got.
sunjis « véritable, véridique »; v.
FEW t. 17, pp. 279b-280b. Cette hyp. d'un empr. au germ. que la complexité phonét. et morphol. rend difficile à admettre, se heurte essentiellement à des difficultés d'ordre sém.: on ne voit pas très bien quel est le lien qui unit le fr.
soin, soigner à des mots germ. tels que le got.
sunja « vérité »,
sunjôn « excuser, justifier » ou l'a. nord.
syn « démenti »,
synja « dénier, refuser » et l'affirmation de Wartburg (
FEW t. 17, p. 279b) selon laquelle
soigner serait la survivance, en tant qu'expression du souci quotidien, du frq. *
sun(n)jôn (corresp. à l'a. nord.
synja, got.
sunjôn) paraît peu sûre. D'apr.
U. Joppich-
Hagemann (
Rom. Forsch. t. 90 1978, pp. 35-47)
songer et
soigner remonteraient au même étymon lat.
somniare « rêver, avoir un songe, voir en rêve, rêver que » (v.
songer),qui a pu donner aussi bien
songier (v.
songer) que
songnier (écrit tantôt
-gn-, -ign-, -ng-, -ingn-) et
soin, à côté de
songe*, s'expliquerait comme étant directement issu du lat.
so(m)nium « songe, rêve ». L'examen du passage sém. de « rêver » à « penser » du verbe
songer, est à l'orig. de cette étymol. et du postulat selon lequel
penser/soigner/songer s'inscrivent dans une relation ternaire où
soigner joue le rôle d'intermédiaire entre
penser, dont il est le quasi-synon. et
songer dont il est l'équivalent phonét. Une ét. approfondie du sémantisme de
songer/soigner, songe/soin et de leurs dér. et comp. a ensuite amené U. Joppich-Hagemann à énoncer l'hyp. que le sens de « penser » peut être à l'orig. des concepts de « souci » d'une part et de « tristesse », « crainte » d'autre part; hyp. qui semble renforcée par le parallélisme sém. des mots de la famille de
cogitare et
pensare qui ont pour sens de base celui de « penser » et dont les sens second., représentant les notions de « souci », « chagrin, tristesse », « crainte », sont ceux de la famille de
songer/soigner.