ABSTENIR (S'), verbe pronom.
Étymol. − Corresp. rom. : a. prov.
abstener, abstenir, estener; n. prov.
(s')asteni; esp., roum.
abstener; cat.
abstiner; ital.
astenére;
I.− Réfl. − A.− 1. Mil.
xies.
sei astenir de + inf. « se retenir de (+ inf.) » (
St Alexis, éd. Paris et Pannier, 45 b ds T.-L. : Plorent si oil, ne
s'en pot
astenir);
2. 1160-70
sei astenir de + subst. « se retenir de commettre (qqc.) » (
Rou, éd. Andresen, II, 1723 ds
Keller,
Ét. vocab. Wace, 150 b : Les pechiez que faiz ai voldreie espaneïr, Kar hom ki vit el siecle ne
se puet
astenir De pechiez).
B.− Emploi sans compl. 1204 « se priver volontairement des biens de ce monde » (
Renclus,
Carité, éd. van Hamel, 214, 16 : Vous, rike home, ki alaitiés Les Deliches et les daintiés,
Astenés si com Job
s'astint).
II.− Non réfl. − Emploi absolu, 1204, voir
sup.; 2
emoitié
xiiie« se priver volontairement des plaisirs de la chair » (
Rutebeuf, éd. Jubinal, II, 376 ds T.-L. : C'est grans enuis en verité D'
astenir en vo joventé. Por coi n'usés vos des pucelles).
Empr. au lat.
abstinere, dep. Plaute dans emploi I A 1 (+ subst.) :
Amphitr., 926 ds
TLL s.v., 194, 26 : quando factis me impudicis abstini (à noter que constr. avec inf. n'a lieu qu'avec
abstinere intrans. :
Plaute,
Curcul., 180
ibid., 197, 29 : dum mi abstineant invidere). Emploi I B dep.
Varron,
Res rusticae, 2, 9, 10
ibid., 194, 55 au sens « se priver de nourriture »; lat. médiév. ds
Capit. reg. Franc., 16, 2 ds
Mittellat. W. s.v., 59, 34 au sens de « se priver des plaisirs de la chair ». Emploi II dep.
Celse, 1, 3 ds
TLL, 197, 50 au sens de « se priver de nourriture »; lat. médiév. ds
Capit. reg. Franc. ds
Mittellat. W. s.v., 59, 65 au sens de « se priver des plaisirs de la chair ».
Astenir, forme semi-sav.,
abstenir (1
erquart
xives.
Perce-forest), réfection étymol., les 2 formes ayant subi influence de
tenir (voir ce mot); désinence région.
-oir, Rom. d'Alex., 306, 15 ds T.-L.
Cf. dér. préf. de
tenir :
soi atenir (
xii-xiiies.) « s'abstenir se retenir ».
HIST. − Mot porteur d'une not. fondamentale du vocab. stoïcien
(sustine et abstine) et chrét. dont le contenu sém. s'est réparti entre les 2 subst. correspondants
abstention et
abstinence. Par delà une multiplicité d'emplois déjà anc. et une multiplicité de constr. elle aussi anc. mais qui s'est réduite à 2 constr. actuelles (réfl. avec régime ou réfl. pris abs.) la valeur originelle de « (se) tenir à l'écart » se retrouve partout.
I.− Disparitions av. 1789. − Elles touchent plus à la constr. gramm. qu'au sens.
A.− Empl. trans.
1. « Tenir éloigné », 1
reet unique attest. au
xvies. : Mais plaindre ce beau poil qu'au lieu de le retordre Elle laisse empestrer sans ornement, sans ordre, Sans presque en
abstenir les sacrilèges mains.
Jodelle,
Didon, IV (Hug.).
2. « Retenir, contenir » 1
reattest.
xvies. : [Mon pere] A peine scent
abstenir son courage Que de ses mains ne fist sur moy outrage.
O. de St Gelays et
Ch. Fontaine, trad. des
Heroïdes d'Ovide, 11 (Hug.).
B.− Emploi absolu.
1. Dans l'expr.
sans astenir « sans cesser » : Chis Gilbert, conte de Duras, avoit adont desier de Saint Tron degasteir et honeir, et l'avoit gueroieit lonc temps
sens abstenir. J. d'Outremeuse, IV, 342 (Gdf.).
2. « Se priver volontairement de certains plaisirs », unique attest. en 1204 (
cf. étymol. II). Il s'agit d'un cas partic. à rapprocher du cas gén. étudié
inf. sous II.
II.− Hist. des sens et emplois attestés apr. 1789. − A.− Sém. IB (régime inf.)
− 1
reattest. mil.
xies. (
cf. étymol. I A 1).
− Début
xiies. : Carles se pasmet, ne
s'en pout
astenir. Rol., 2891 (Gdf.).
− xiiies. : Adonc [il] plore et gamente [« lamente »], ne
s'en puet
astenir.
Chanson d'Antioche V, 450 (Littré et Gdf.
s.v. gaimenter).
− xive,
xves. : Aucuns soulent
soi abstenir de mal faire.
Gerson,
Plainte au parlem. (Constans,
Chrestom., lxvii, II, 41).
− xvies. : Ains t'enjoincts pour ta penitence que par trois vendredis consecutifs, si tu n'as de la chair, tu
t'astienne d'en manger.
Larivey, trad. des
Facetieuses Nuicts de Straparole, XIII, 1 (Hug.).
− xviies. : Ils doivent
s'abstenir de pêcher.
Pascal,
Lettres 4 (Rich.).
− xviiies. : Voilà par quel motif injurieux peut-être, je
me suis devant elle
abstenu de paraître.
Ducis,
Lear, II, 4 [1783], (Littré).
B.− Sém. I A (régime subst.)
− 1
reattest. 1160-70 (
cf. étymol. I A 2)
− xiiies. : Cil qui a moins de XIIII anz
se doit
attenir des communs offices.
Ordin. Tancrei, ms. Salis, f
o2
a (Gdf.).
− xives. : C'est plus fort de soustenir tristeces ou choses tristes que n'est
soy abstenir de choses delettables.
Oresme,
Eth., 89 (Littré).
− xves. : Comment il [le roi d'Angleterre] avait si ardemment enaimé par amour la belle et la noble dame Alips, comtesse de Salebrin, qu'il ne
s'en pouvait
abstenir.
Froissart, I, I 191 (Littré).
− xvies. : Que tout juge
s'abstienne de vin sur le point d'exécuter sa charge.
Montaigne, II, 19 (Littré).
− xviies. : Quiconque n'avait pas eu soin de se purifier et ne
s'était pas
abstenu des plaisirs les plus légitimes.
Bourdaloue,
Pensées, t. III, p. 355 (Littré).
− xviiies. : Avare de mon sang, quand je versais le sien, Aux dépens de ses jours [il]
s'est abstenu du mien.
Crébillon,
Rhadamiste et Zénobie, V, 6 (Littré).
C.− Sém. II, attesté pour la 1
refois ds
Ac. 1740 : On le dit quelquefois absolument.
Il est plus aisé de s'abstenir, que de se contenir. D.− Sém. III A, attesté pour la 1
refois ds
Fur. 1701 : Se dit aussi en matière de recusation de Juges : et quand la cour la trouve bien fondée, elle dit, pour adoucir l'expression, que le Juge
s'abstiendra, c'est-à-dire, de rapporter le procès, ou d'y opiner.
Cf. aussi
Trév. 1771 : Se dit aussi d'un juge qui se désiste de la connaissance et du jugement d'une affaire, à cause de la parenté ou de l'alliance au degré prohibé, qui est entre l'une des parties et lui.
E.− Sém. III B, attesté pour la 1
refois ds
Trév. 1752 : Se dit aussi d'un héritier en ligne collatérale, qui déclare par acte passé au greffe, ou pardevant notaires, qu'il
s'abstient et n'entend point prendre la qualité d'héritier du défunt.