RIME, subst. fém.
Étymol. et Hist. 1. Ca 1165 versif. ([
Chrétien de Troyes],
Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 3);
2. fin
xiiie-déb.
xives. [ms. du
xves.]
n'y regarder ne rime ne raison « abandonner toute considération de convenance et de bon sens » (
L'Art d'Amours, éd. Br. Roy, 3669);
ca 1400
n'y avoir ryme ne raison « n'y avoir ni logique ni cohérence » (
Eustache Deschamps,
Œuvres, éd. Queux de Saint-Hilaire, t. 7, p. 351, 113); 1405
sans rime et sans raison (
Gerson,
Œuvres, éd. P. Glorieux, t. 7, p. 1159); 1784
sans rime ni raison (
Diderot,
Jacques le Fataliste, p. 642). Étymol. incertaine. On a proposé le lat.
rhythmus, v.
rythme et l'a. b. frq., a. h. all.
rim « série, nombre ». Ces 2 hyp. posent le probl. du genre,
rhythmus et
rim étant masc. tandis que le fr.
rime est fém. L'a. prov.
rim, masc. considéré jusqu'ici comme la forme primitive à côté du fr.
rime et de l'a. prov.
rima supposés de formation plus récente, est en fait un doublet de la région toulousaine et langued. du fém.
rima (v. P.
Zumthor ds
Trav. Ling. Litt. Strasbourg t. 2 n
o1 1964, p. 188 qui nous montre par ailleurs que l'hyp. du
EWFS où
rime est présenté comme un déverbal de
rimer « faire des rimes », d'un gallo-rom. *
rimare « disposer sur un rang », repose sur une forte part de probab.,
ibid., p. 192). L'étymon
rhythmus pour lequel on a suggéré l'évol. à partir du sens « vers non métrique » à « vers rimé » puis « rime », se heurte à des difficultés d'ordre phonét. et sém. Les formes *
rimmo, *
remmo attendues en ital. et les formes intermédiaires *
ritme, *
ridme attendues en fr. ne sont pas att. et il est difficile de comprendre comment
rhythmus qui désigne en b. lat. le vers non métrique simpl. accentué dont le caractère fondamental est la cadence, a pu prendre le sens de « rime », la rime n'y ayant qu'un caractère secondaire. L'a. b. frq. *
rim, d'apr. l'a. h. all.
rim « série, nombre », phonét. plausible, semble convenir pour le sens (du sens de « suite » on a facilement pu passer à celui de « série de fins de vers semblables » puis « rime »), mais
rime serait le seul mot de l'anc. terminol. littér. à provenir du germ. (v. P.
Zumthor,
op. cit., p. 189). L'orig. de l'expr.
sans rime ni raison fait elle aussi difficulté, on peut difficilement retenir l'hyp. retenue par
Bl.-
W.1-5, qui y voit une formule issue du lat. médiév.: ,,metrum est ratio cum modulatione,
rhythmus est modulatio sine ratione``, cette citat. qui omet après
ratione l'adj.
metrica, étant habilement tronquée; la solution proposée par
Rey-
Chantr. Expr., qui repose sur une oppos. de la forme poét. (la rime) et du contenu conceptuel ou narratif (la raison) semble plus vraisemblable. V.
FEW t. 16, pp. 716b-719b; N.
Törnqvist,
Zur Geschichte des Wortes Reim, Lund, 1935; P.
Zumthor,
op. cit., pp. 187-204 et
M. Fr. fasc. 14-15, 1984, pp. 419-436.