RENDRE, verbe
Étymol. et Hist. A. « Donner en retour (une chose reçue ou prise, son équivalent, ou ce qui est dû) »
1. a) 2
emoit.
xes. « donner à nouveau » (
St Léger, éd. J. Linskill, 26: Et cum il l'aut doit de ciel'art,
Rende.
l qui lui lo commandat);
b) fin
xes. (
Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 11: La sua morz
vida nos rend);
c) ca 1050 (
Alexis, éd. Chr. Storey, 100: Se lui'n remaint [de l'aumosne], sil
rent as poverins);
2. a) fin
xes. « donner quelque chose de semblable » (
Passion, 161: Jesús li bons
ben red per mal);
b) ca 1100
rendre colps, rendre cest asalt (
Roland, éd. J. Bédier, 1397, 2142);
c) ca 1140 (
Voyage de Charlemagne, éd. G. Favatti, 166: Karlemaignes l'en
rent saluz et amistez);
d) ca 1590
rendre la pareille (
Montaigne,
Essais, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 533);
e) 1690 part. passé subst. (
Fur.: Ce n'est pas un presté, c'est
un rendu);
3. a) fin
xes. « donner en retour ce qui est dû » (
Passion, 472: [Jesus] qui venra toz judicar
A toz rendra e ben e mal);
b) fin
xes. (
ibid., 513: Te posche
retdrae graciae);
c) ca 1100
rendre malvais servis « servir mal » (
Roland, 1406); 1585 (N.
Du Fail,
Contes d'Eutrapel, éd. J. Assézat, t. 1, p. 307:
rendre quelque autre
service signalé);
d) ca 1100 (
Roland, 3784: Ben set parler e
dreite raisun rendre);
e) ca 1120 (
St Brendan, éd. I. Short et B. Merrilees, 1028: Cil en
rendent Deu la glorie);
f) ca 1130 (
Lois de Guillaume, éd. J. E. Matzke, § 1:
rendist ceo qu'il aveit pris);
g) 1150 (
Wace,
St Nicolas, éd. E. Ronsjö, 1360: E
grant loënge a Deu rendirent);
h) 1155
rendre cunte de (
Id.,
Brut, éd. I. Arnold, 6626);
i) ca 1170 (
Marie de France,
Lais, éd. J. Rychner, Lanval, 543: Puis ad tuz ses baruns mandez, Que li
jugemenz seit renduz);
ca 1288
rendre sentence (J.
de Journi,
Dîme de penitence, 251 ds T.-L.);
j) ca 1170 (
Chrétien de Troyes,
Erec, éd. M. Roques, 2036:
lor droit rendent a chascun manbre);
k) 1176-81
rendre la promesse « exécuter » (
Id.,
Chevalier Charrette, éd. M. Roques, 1154);
l) ca 1240
rendre sa perte (à qqn) « dédommager » (
Mort Aymeri, 2634 ds T.-L.);
4. a) 2
emoit.
xes. « produire, rapporter » (
St Léger, 215:
Rendet ciel fruit esperitiel);
b) 1174-80 (
Chrétien de Troyes,
Perceval, éd. F. Lecoy, 4: Qui petit seme petit quialt, Et qui auques recoillir vialt, An tel leu sa semance espande Que fruit a cent dobles li
rande);
5. a) ca 1200
rendre (un message) « répéter, rapporter » (
Aiol, éd. Foerster, 5267); 1269-78
rendre par queur « répéter de mémoire (une leçon) » (
Jean de Meun,
Rose, éd. F. Lecoy, 4336);
b) mil.
xvies. « rapporter (un fait) » (
Marguerite de Navarre,
Nouv., XXI ds
Littré).
B. « Laisser échapper, redonner ce qu'on ne peut garder, céder, livrer »
1. a) ca 1100 (
Roland, 2849: Li reis se drece, si
ad rendet ses armes);
b) ca 1160
se rendre « capituler » (
Eneas, éd. J. J. Salverda de Grave, 5459);
c) déb.
xiiies.
renduz « fatigué » (
Jean Renart,
Galeran, éd. L. Foulet, 5800);
d) ca 1240 fig. (
Deux Coll. angl. norm. mir. Vierge, 14, 41, p. 68 ds T.-L.: Dame (Ste Marie), sëez moy socurs,
Jeo me renc en ta duçurs);
e) 1580 (
Montaigne,
Essais, p. 551: Il faut que nostre belle sagesse
se rende en cet endroit et quitte les armes);
f) 1588 (
Id.,
ibid., p. 853:
se rendre aux efforts de l'amour; p. 328: Tantost c'est le corps qui
se rend le premier
à la vieillesse);
2. a) 1130-40 (
Wace,
Vie Sainte Marguerite, éd. E. A. Francis, ms. A, 708: iluec chaï Les la virge
l'ame rendi);
b) 1306 (
Joinville,
Vie St Louis, éd. N. L. Corbett, p. 239: le saint Roy [...]
rendi a Nostre Createur son esperit);
3. a) ca 1165 « vomir » (
Benoît de Sainte-
Maure,
Troie, éd. L. Constans, 29291);
b) ca 1210 (
Herbert de Dammartin,
Folque de Candie, éd. Schultz-Gora, 11480: Guichart [...] parmi le nes
rent sanc, qui li cuevre le vis);
4. a) ca 1170 « émettre » (
Chrétien de Troyes,
Erec, 433: Si oel si
grant clarté randoient Que deus estoiles ressanbloient);
b) ca 1220 (
Gautier de Coinci,
Mir., éd. V. F. Koenig, II
Mir 21, 149: quel
son que
rende la vïele);
c) 1694 (
Ac.: cette orange
rend bien
du jus).
C. Empl. comme verbe d'état, avec compl. d'obj. et attribut du compl.
1. a) ca 1100 (
Roland, 2198: La meie mort
me rend si anguissus);
b) ca 1180 (
Marie de France,
Fables, éd. K. Warnke, 68, 42: de vostre mal vus
rendra sain);
2. 1174-78 spéc.
se rendre a moine « entrer en religion » (
Étienne de Fougères,
Manières, éd. R. A. Lodge, 260) également trans., surtout att. aux
xiiie-
xives., v. T.-L. −
xvies., v.
Hug. D. « Remettre à destination »
a) 1176-81 « mener » (
Chrétien de Troyes,
Chevalier Charrette, 855: point li uns ancontre l'autre Tant con
cheval lor poerent
randre);
b) ca 1200 pronom. (
Chanson de Guillaume, éd. Duncan Mac Millan, 291:
Jo me rendrai al dolerus peril);
c) 1283 en parlant de marchandises (
Philippe de Beaumanoir,
Coutumes de Beauvaisis, éd. A. Salmon, t. 1, p. 384: .X. muis de blé
rendus a Clermont).
E. Domaine intellectuel ou esthét. « présenter (après interprétation) »
1. a) 1549 (
Du Bellay,
Deffense et Illustration, éd. H. Chamard, p. 160: je veux aussi que tu t'eforces de
rendre, au plus pres du naturel que tu pouras, la phrase et maniere de parler Latine);
b) 1579
rendu mot pour mot (en traduction) (H.
Estienne,
Precellence, éd. E. Huguet, p. 41);
2. a) 1733 (
Dubos,
Réflexions crit., t. 1, p. 81: Ce que Cornelie dit à César [...] ne peut
être rendu par un peintre; t. 3, p. 232: Roscius
rendoit donc
par un jeu muet le sens de la phrase que Ciceron venoit de composer);
b) 1740 (
Ac. Add.: Une glace qui
rend nettement les objets);
c) 1745 (
Bosse,
Manière de graver, p. 129: On dirigera la gravûre de façon que le blanc du papier, comme on l'a dit,
rende le luisans du tableau);
d) 1754 (
Bonnet,
Essai psychol., p. 146: des
couleurs mal rendues). Du lat. pop.
*rendere, altér., sous l'infl. de
prendere « prendre » (v. ce mot), du class.
reddere « donner en retour; s'acquitter de; restituer; traduire; répéter; émettre; transmettre; ramener à un état antérieur, amener d'un état à un autre; faire sortir » (comp. de
re-, red- marquant un retour en arrière, un retour à un état antérieur et
dare « donner »).