POUR, prép.
Étymol. et Hist. 1. Cause
A. 1. 842 « en considération, au nom de » (
Serments de Strasbourg ds
Henry Chrestomathie, p. 2, 3 :
Pro Deo amur);
ca 1050 (
St Alexis, éd. Chr. Storey, 223 :
Por amor Deu; 461);
2. « à cause de, en raison de, par le fait de »
a) 2
emoit.
xes. d'un fait, d'une chose (
St Léger, éd. J. Linskill, 65, 144, 209 :
Por ciels signes que vidrent tels, Deu presdrent mult a conlauder);
ca 1100 (
Roland, éd. J. Bédier, 686, 957, 1377 :
Por itels colps nos eimet li emperere; 2507 :
Pur ceste honur e
pur ceste bontet, Li nums Joiuse l'espee fut dunet);
id. suivi de l'inf. prés. (
ibid., 1092 :
Pur ben ferir l'emperere plus nos aimet), plus souvent suivi, à l'époque mod., de l'inf. passé : 1664 (
Molière,
Tartuffe, préf. : comme on ne s'avise point de défendre la médecine
pour avoir été bannie de Rome [...] on ne doit point aussi vouloir interdire la comédie
pour avoir été censurée en de certains temps);
b) ca 1050 d'une personne (
St Alexis, 397 : Tantes dolurs ad
pur tei andurede[s]).
B. Loc.
1. a) 881
por o avec valeur de rel. de liaison « c'est pourquoi » (
Ste Eulalie ds
Henry Chrestomathie, p. 3, 11, 18, 20 : Enz enl fou la getterent com arde tost : Elle colpes non auret,
por o no's coist); 937-952
poro (
Jonas, éd. G. de Poerck, 24, 201),
cf. T.-L.,
s.v. poruec;
b) ca 1100
por ço «
id. » (
Roland, 1479);
c) id. pur que «
id. » (
ibid., 3759);
2. a) 937-952
por qe, porqet « parce que » (
Jonas, 148 : dunc fut Jonas mult letus co dicit.
por qe Deus cel edre li donat a sun souev et a sun repausement; 166);
ca 1050
pur que (
St Alexis, 439);
b) 2
emoit.
xes.
por cio que «
id. » (
St Léger, 53 : Cio controverent baron franc,
Por cio que fud de bona fiet, De Chielperig fesissent rei);
ca 1100
por ço que (
Roland, 2102 : Rumput est li temples,
por ço que il cornat [Rollant]), empl. encore en us. au
xviies.,
cf. [1634]
Voiture,
Lettre à Mellede Rambouillet, LIII ds
Œuvres, éd. Paris, J. Clousier, t. 1, 1734, p. 130 : Je ne sçai pour quel intérêt ils tâchent d'ôter à
Car, ce qui lui appartient pour le donner à
Pour ce que; ni pourquoi ils veulent dire avec trois mots, ce qu'ils peuvent dire avec trois lettres;
Trév. 1704-71 note que cet empl. ,,vieillit, et ne se dit plus que dans le Comique``.
II. But. Direction. Intention
A. 1. « dans l'intérêt de, pour le bien de, en faveur de » 842 (
Serments de Strasbourg, p. 2, 3 : et
pro christian poblo et nostro commun salvament); 881 (
Ste Eulalie, p. 3, 26 : Tuit oram que
por nos degnet preier Qued auuisset de nos Christus mercit); 2
emoit.
xes. (
St Léger, 240 : Il nos aiud [Lethgiers] ob ciel Senior
Por cui sustinc tels passïons!); empl. subst. av. 1654
le pour et le contre (
Guez de Balzac, liv. I, lett. 3 ds
Littré [le texte n'a pu être retrouvé dans l'éd. de 1665 indiquée dans les sources de
Littré, ni dans celles de 1633 ou de 1642]); 1656
id. (
Pascal,
Provinciales, VI, Paris, 1966, p. 93);
2. « (d'une chose) fait à l'intention de, destiné à »
ca 1050 (
St Alexis, 587 : D'or e de gemmes fut li sarqueus parez
Pur cel saint cors qu'il i deivent poser);
ca 1100 (
Roland, 154 : Enz en voz bainz, que Deus
pur vos i fist, La vuldrat il chrestiens devenir);
3. « à l'égard de, à l'endroit de (quelqu'un) »
ca 1100 (
ibid., 842 : .C. milie Francs
pur lui [Carle] unt grant tendrur);
4. 1385 « favorable à, du parti de (quelqu'un) »
estre pour le Roy (
Pièces inédites relatives au règne de Charles VI, éd. L. Douët d'Arcq. t. 1, p. 68).
B. 1. But dans l'espace
a) ca 1050
guarder an luing por [
aucun] « regarder au loin pour voir l'arrivée d'une personne attendue » (
St Alexis, 473 : Sire Alexis, tanz jurz t'ai desirrét [...] Et tantes feiz
pur tei an luinz guardét); après certains verbes de mouvement,
por suivi d'un n. de pers., évoque l'idée que la pers. en cause est recherchée, mandée (
Moignet, p. 319);
ca 1100
aler pur (
Roland, 2859 : Kar mei meïsme estoet avant aler
Pur mun nevold que vuldreie truver);
ca 1165
corre por (
Benoît de Ste-Maure,
Troie, 15462 ds T.-L.);
ca 1170
enveier pur (
Rois, I, XI, 7, éd. E. R. Curtius, p. 81);
b) 1791 « dans la direction de »
partir pour (Ch.
P. Duclos,
Œuvres, éd. Paris, Colnet et Fain. 1806, t. 7, p. 105);
2. durée, terme dans le temps
a) 1419, mai « pendant la durée de »
pour l'absence des aultres exécuteurs [testamentaires] (
Inventaire des biens meubles de N. de Baye ds
N. de Baye,
Journal, éd. A. Tuetey, t. 2, 1888, p. XLIX); déb.
xves.
pour suivi d'une indication chronol. chiffrée
pour ung an... (
Quinze joies de mariage, éd. J. Rychner, VII, 15, p. 57);
b) terme dans le temps 1606 introd. l'indication de l'époque pour laquelle une action a été prévue
pour aujourd'huy (
Nicot).
C. Finalité
1. a) ca 1050
por suivi de l'inf.; le régime de cet inf. est régulièrement placé entre la prép. et l'inf. (
St Alexis, 254 : De la viande ki del herberc li vint, [...] N'en fait musgode
pur sun cors engraisser);
ca 1100 (
Roland, 26),
cf. 1647,
Vaug., p. 63 : Cette preposition ne doit rien avoir entre elle et l'infinitif qui les sépare, si ce n'est quelque particule d'une ou deux syllabes [...]; [...] d'y mettre plusieurs syllabes [...], il n'y a rien de si rude;
b) ca 1100
por suivi d'un subst. abstr. ou d'un pron. (
Roland, 3397, 3620 : ,,Munjoie!`` escriet [Carles]
pur la reconuisance);
2. loc.
a) ca 1100
por ço que suivi du subj. « afin que » (
Roland, 1004 : Sunent mil grailles
por ço que plus bel seit);
b) 1244, juin
pour que suivi du subj. (
Trésor des chartes du comté de Rethel, éd. G. Saige et H. Lacaille, t. 1, p. 154).
D. Intention
1. 1456
estre pour suivi de l'inf. « être sur le point de » (
Antoine de La Sale,
Jehan de Saintré, éd. J. Misrahi et Ch. A. Knudson, p. 105, 12);
2. 1549
estre pour id. « être disposé à, avoir l'intention de » (
Du Bellay,
Olive, 2
epréf. ds
Hug.).
III. Échange. Équivalence. Comparaison. Relation
A. Échange, compensation
1. introd. un subst. exprimant une valeur « au prix de, moyennant »
a) sans indication de valeur précise 881 en prop. nég. (
Ste Eulalie, p. 3, 7 : Elle no'nt eskoltet les mals conselliers Qu'elle Deo raneiet chi maent sus en ciel, Ne
por or ned argent ne paramenz);
ca 1050 (
St Alexis, 163 :
Pur amistét ne d'ami ne d'amie, Ne
pur honurs ki l'en fussent tramise[s], N'en volt turner, tant cum il ad a vivre);
ca 1100 (
Roland, 888 :
Pur tut l'or Deu ne volt estre cuard);
id. en prop. affirm. (
ibid., 3756 : Les .XII. pers ad traït
por aveir);
b) introd. un subst. exprimant une valeur précise 1174-76 (
Guernes de Pont-Ste-Maxence,
St Thomas, éd. E. Walberg, 2092 : un cheval unt
pur uit deniers lué);
2. ca 1100 introd. un subst. désignant un dommage, un préjudice demandant dédommagement, compensation (
Roland, 2809 : Li reis Marsilie enqui sera venget :
Pur sun poign destre l'en liverai le chef);
3. 1176-81 introd. un subst. désignant un service pouvant entraîner une rémunération (
Chrétien de Troyes,
Chevalier à la Charrette, éd. M. Roques, 109 : sachiez bien Que je n'ai en cest monde rien Que je
por votre demorance Ne vos doigne sanz porloignance).
B. Remplacement, substitution
1. d'une personne
a) ca 1100 agissant à la place d'une autre « en prenant la place de » (
Roland, 295, 296 : ,,Si li reis voelt, prez sui
por vus le face!`` Guenes respunt : ,,
Pur mei n'iras tu mie!``);
b) ca 1200 notion de préférence (
Guiot de Provins,
Bible, 1071 ds
Œuvres, éd. J. Orr, p. 43 : Je donroie bien, per Saint Peire, Doze freires
por un ami!);
2. d'une chose
a) déb.
xiies. notion de choix, de préférence (
Benedeit,
St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 28 : Pur oc guerpit cist reials eirs Les fals honurs
pur iceals veirs);
b) fin
xiies. notion de tromperie
loge por cortine (
Béroul,
Tristan, éd. E. Muret
4, 2180);
ca 1200
vecies por lanterne (
Guiot de Provins,
op. cit., 2628, p. 91).
C. Équivalence, comparaison
1. a) ca 1050 introd. un attribut qu'il met en rapport avec l'obj. de verbes signifiant « tenir, estimer, considérer » (
St Alexis, 266 : Tuz l'escarnissent [Alexis], sil tenent
pur bricun);
ca 1100
tenir [
aucun]
pur seignur; por fol (
Roland, 364, 2294);
b) ca 1150
pur veir « en vérité » (
Wace,
St Nicolas, éd. E. Ronsjö, 561);
c) ca 1165
por morz [attribut du suj.];
por morte [attribut du compl.] (
Benoît de Ste-Maure,
op. cit., 20076, 26191);
2. empl. avec un terme redoublé, exprime
a) 1188 une réciprocité (
Aimon de Varennes,
Florimont, éd. A. Hilka, 3068 : A armes en chanp par mesure Li wel requerre ma droiture, Se li dites que je li mant Gent contre gent, a tant
por quant; 3072 : Del tot soit a s'aliction Gent
por gent ou mon cors a son);
b) 1280-83 une équivalence [dr. anc. équivalence entre le délit et la peine]
mort pour mort, membre pour membre (
Livre Roisin, éd. R. Monier, § 154);
c) 1552 une correspondance exacte
mot pour mot (
Est.); 1689, 3 juill.
jour pour jour (
Sévigné,
Lettres, éd. É. Gérard-Gailly, t. 3, p. 474);
d) av. 1592 possibilité d'un choix entre deux choses équivalentes ou présentées comme telles (
M. de Castelnau,
Mém., V, XI ds
Mém. relatifs à l'Hist. de France, t. 33, Paris, 1823, p. 346 : et que, grandeur
pour grandeur, si le prince d'Espagne...); 1694 (
La Fontaine,
Fables, XII, 1 : scélérat
pour scélérat, Il vaut mieux être un loup qu'un homme).
D. Relation. Placé en tête de la phrase, met en évidence
a) 1160-74 le suj. (
Wace,
Rou, éd. A. J. Holden, 427 : E
pur l'estrif, que il remaine); 1640
pour moi (
Corneille,
Horace, II, 3 :
Pour moi, je l'ose dire);
b) 1676, 1
erjuin, l'attribut (
Sévigné,
op. cit., t. 2, p. 110 : J'ai à vous dire que vous faites tort à ces eaux de les croire noires :
pour noires, non;
pour chaudes, oui);
c) 1666 le compl. (
Molière,
Misanthrope, III, 1 :
Pour de l'esprit, j'en ai).
E. Rapport, proportion
ca 1208 expression de la proportion entre deux nombres (
Geoffroi de Villehardouin,
Constantinople, éd. E. Faral, § 164 : e fu mult grant merveille que
por un qu'il estoient en l'ost estoient il .CC. en la ville).
IV. Conséquence.
Por introd. un inf.
A. 1. en parlant d'une pers.; la princ. est nég.
a) ca 1100
tel [...]
por « capable de » (
Roland, 2256, 2889 : Unques nuls hom
tel chevaler ne vit
Por granz batailles juster e defenir);
b) ca 1140
si [...]
pur «
id. » (
Voyage de Charlemagne, éd. G. Favati, 29);
2. ca 1100 « assez pour; de manière à; au point de » (
Roland, 26 : Prozdom i out
pur sun seignur aider; 514 : Jo vos ai fait alques de legerie, Quant
por ferir vus demustrai grant ire; 3617 : Trenchet la teste
pur la cervele espandre); fin
xves.
estre gens pour « capable de » (
Commynes,
Mém., V, XIII, éd. J. Calmette, t. 2, p. 170);
3. ca 1225 « (en parlant d'une chose) capable de, de nature à » (
Péan Gatineau,
St Martin, 2177 ds T.-L.).
B. Ca 1210 exprime la conséquence prévisible d'un procès « ayant toutes chances de » (
Robert de Clari,
Constantinople, éd. Ph. Lauer, XXXIII, 15, p. 32 : Miex nous vient il [...] que nous conquestons viande et avoir par raisnaule acoison, que nous i aillons
pour morir de fain).
V. Concession, opposition
A. 1. dans une phrase nég.,
ca 1100
pur [
aucune rien] « malgré, en dépit de » (
Roland, 810; 2990 : Joiuse, Ki
pur soleill sa clartet nen escunset; 3417 : Cumunement l'en prametent lor feiz Ne li faldrunt
pur mort ne
pur destreit);
2. id. la princ. étant nég.,
pur introd. un inf. « même s'il s'agit de, au risque de » (
ibid., 1048 : Ja
pur murir ne vus en faldrat uns; 1909);
3. a) id. loc.
pur poi [...]
ne introd. une concess. au mode ind.; exprime un procès qui a failli se réaliser « il s'en faut de peu que... » (
ibid., 304 : Dunc ad tel doel
pur poi d'ire
ne fent);
b) id. por poi que [...]
ne (
ibid., 3608 : Carles cancelet,
por poi qu'il
n'est caüt);
4. a) ca 1165 la princ. étant nég.,
por suivi d'un subst. et de
que introd. une rel. au mode subj. « quelque... que » (
Benoît de Ste-Maure,
op. cit., 489); 1176 (
Chretien de Troyes,
Cligès, éd. A. Micha, 1490 : Mes
por esmai que il en aient N'ont nul talant que il se randent);
b) 1394
por + subst. précédé d'un adj. +
que «
id. » (
Hardouin de Fontaine-Guérin,
Trésor de Vénerie, 1766 ds T.-L. :
Pour estrange estat
qu'il prëist);
5. 1593 la princ. étant nég.,
pour introd. un inf. « bien que, quoique » (
Satyre Ménippée, Harangue de M. d'Aubray pour le Tiers-Etat, éd. Ch. Read, p. 276 : Les Roys
pour estre Roys ne laissent pas d'estre hommes).
B. 1. 1444
pour suivi d'un adj. +
que introd. une concess. au mode subj. « quelque... que; si... que » (
Antoine de La Sale,
La Salade, éd. F. Desonay, prol., p. 10, 122 et 11, 141);
2. 1599
pour si suivi d'un adj. +
que «
id. » (
Du Vair,
Médit., Ps. 36 ds
Hug.).
VI. Condition restr. 1135
por ce que suivi du subj. « pourvu que, dans la mesure où » (
Wace,
Ste Marguerite, éd. E. A. Francis, 165 [ms. A]);
ca 1165
por que «
id. » (
Benoît de Ste-Maure,
op. cit., 25415). Du lat.
pro « pour » (de même que le logoudorien
pro, l'esp. et le port.
por, l'a. prov.
por, ca 1143 avec une indication de prix « au delà de, plus de » ds
Brunel, n
o41, 17, 18, t. 1, p. 48;
cf. FEW t. 9, p. 402b, note 8; le lat.
pro ayant été supplanté par
per dans les autres lang. rom. y compris le prov.), devenu
por à basse époque (
E. Diehl,
Inscriptiones lat. christ. veteres, Berlin, 1961, t. 1, n
o2490 A :
si d[
eu]
s por nobis), peut-être par infl. de
per (
par1*),
REW3, § 6762. Du sens « en avant (dans l'espace) » est issu celui de « en faveur de » [II A]; de celui-ci est dér. à basse époque le sens final (
iiies. ds
Blaise Lat. chrét.) [II C]. De là, en a. fr., les notions de but dans l'espace et de durée dans le temps [II B 1, 2], d'intention, d'imminence [II D] et de conséquence [IV A, B]. Les sens « en échange de, pour le prix de, en retour de » [III B]; « en qualité de, en tant que, comme » (
pro occiso relictus, Cicéron) [III C]; « en proportion de, dans la mesure de, selon » [III E; la notion de relation. III D, étant issue de celle de proportion], sont directement issus du lat. class. Le sens causal [I A, B] est dér. de
pro « à la mesure de, selon » (
poenae pro delicto, Tacite;
pro tua clementia, Tite-Live); il est tout à fait clair à basse époque (
Peregrinatio Aetheriae, 5, 10 et 25, 12, v.
Blaise Lat. chrét. et
Löfstedt, p. 156) : en raison de l'empl. causal de
par1* et de
por, ces deux prép. ont parfois été confondues au Moy. Âge, notamment dans certaines formules d'invocation, peut-être en raison de la double interprétation possible du
dans les mss (v.
Moignet, p. 319;
Ménard Synt., § 335, rem.). Du sens causal de
por est dér. le sens concess. [V A], résultat de l'opposition entre le verbe à la forme nég. et l'élém. introd. par
por qui représente une cause inopérante, c.-à-d. une oppos., une concession. L'empl. concess. V B [
pour + adj. +
que] est dér. de V A 4 [
por + subst. précédé d'un adj. +
que]. La condition restr. [VI] « dans la mesure où, pourvu que » est issue du sens « pour le prix de » [III A];
FEW t. 9, p. 401b.