PORTER1, verbe
Étymol. et Hist.I. Trans.
A. Supporter le poids de
1. a) fin
xes. «produire en soi (d'une mère)» (
Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 354: si
portet lui); 1174-78 absol. (
Étienne de Fougères,
Manières, éd. R. A. Lodge, 1181: la dome conceit et
porte);
ca 1485 fig. (
Mistere Viel Testament, éd. J. de Rothschild, 71:
Portant en toy [Lucifer] la clarté);
b) ca 1145 «produire» (
Wace,
Conception ND, éd. W. R. Ashford, 1018: fruit
porta); 1188 fig. (
Aimon de Varennes,
Florimont, éd. A. Hilka, 4345 ds T.-L. 7, 1595, 29: largesce
portet bone flor); 1557 (
O. de Magny,
Souspirs, éd. E. Courbet, p.11: [le cauteleux espoir] ne
porte jamais fruict);
2. a) ca 1050 «tenir quelque chose qui pèse» (
Alexis, éd. Chr. Storey, 558: se funt
porter);
b) fin
xiiies.
porter sa croix (dans le Nouveau Testament) (M. von
Orelli,
Der altfranzösische Bibelwortschatz des Neuen Testamentes im Berner Cod. 28, p.165: cil qui ne
porte sa croiz [Lc 14, 27]); 1690 fig. (
Fur.: chacun
porte sa croix en ce monde [...] chacun a son affliction);
c) 1812 milit.
portez les armes! (
Mozin-
Biber); 1879
portez, armes! (
A. Daudet,
Rois en exil, p.289);
3. a) ca 1050 «avoir sur soi (vêtement, ornement, équipement...)» (
Alexis, 411: helme e brunie a
porter);
ca 1100 fig.
porter couronne «être roi» (
Roland, éd. J. Bédier, 3538: el chef
portez corone);
ca 1165 fig.
armes porter «être en guerre» (
Troie, éd. L. Constans, 5371); 1946 fig.
porter le chapeau «avoir une responsabilité» (
Trignol,
Pantruche, p.159, v.
chapeau);
b) ca 1130 «tenir (une partie du corps) de telle ou telle manière» (
Gormont et Isembart, éd. A. Bayot, 311: le cheval
porta haut le chef);
c) 1174-76
porter le nom (
Guernes de Pont-
Ste-
Maxence,
St Thomas, éd. E. Walberg, 1237:
portent le nun);
d) 1376 «avoir sur soi (du fait de la nature)» (
Modus et Ratio, éd. G. Tilander, chap.5, 50: [le cerf] a [...]
porté dis cors); 1585 fig.
porter les cornes, symbole de cocuage (
Cholières,
Matinées, VI, éd. E. Tricotel, p.233: les cornes ne se
portent qu'à la teste);
e) ca 1500
porter le deuil (
Jardin de Plaisance, éd. E. Droz et A. Piaget, f
o238 v
o:
porter dueil);
4. ca 1140 abstr. «subir, supporter» (
Voyage Charlemagne, éd. G. Favati, 35: juïse a
porter);
5. 1219 «contenir (en parlant d'un écrit)» (doc., éd. M. Gysseling ds
Scriptorium t.3 1949, p.197 ds
Drüppel Afr. Urk. 1984, p.94: si com lois
portera);
6. a) 1505
porter dans son coeur «avoir de l'affection pour» (
Gringore,
Folles entreprises ds
OEuvres compl., éd. d'Héricault-Montaiglon, t.1, p.113: je deusse estre
portée En voz cueurs);
b) 1538 p.ext. en parlant d'une chose (
Est.,
s.v. fero: Ita tempus ferebat, le temps le
portoit ainsy).
B. Déplacer, transporter
1. a) fin
xes. «prendre pour emporter; apporter» (
Passion, 392: molt cars
portavent unguemenz);
b) 1368
porter en terre «enterrer» (
Miracles ND par personnages, éd. G. Paris et U. Robert, t.4, p.196, 485: pour ce corps en terre
porter);
2. a) fin
xes. «donner, apporter (sentiment, aide, etc.)» (
St Léger, éd. W. Foerster et E. Koschwitz, 2: a sos sancz honor
porter);
b) 1666
porter un jugement (
Bossuet,
Sermons, Honneur, Préambule ds
Littré,
s.v. jugement, § 8: l'honneur est un jugement que les hommes
portent);
3. a) ca 1100 «orienter, diriger» (
Roland, 260: n'i
porterez les piez);
b) 1540 fig.
porter l'effort (
Amadis, éd. H. Vaganay, p.189);
4. a) 1174-77 «porter témoignage» (
Renart, éd. E. Martin, br. V, vers 548:
porter teimoing);
ca 1225 (
G. de Coinci,
Miracles [II Mir 18, 448], éd. V. F. Koenig, t.4, p.128: te
port bon tesmongnage);
b) 1540
porter un/des coup(s) (
Amadis, p.227:
portirent leurs coups [de hache]); 1611 fig. (
Cotgr.:
porter coup à la foy);
c) 1578 (
H. Estienne,
Dialogues, éd. P. Ristelhuber, t.2, p.124: je vous
porte ce verre de vin); 1640 (
Oudin Curiositez: le
porter: boire à quelqu'un); 1665 (
Molière,
Dom Juan, IV, 8: je te la [la santé]
porte); 1812
porter un toste (
Mozin-
Biber,
s.v. toste);
d) 1604
porter atteinte (
Montchrestien,
Hector ds
Tragédies, éd. L. Petit de Julleville, p.50: les coups [...] n'y
portent point d'atainte [à l'honneur]);
e) 1658
porter plainte (
Pascal,
Factum pour les curés de Paris ds
OEuvres compl., éd. L. Lafuma, p.471a:
porter nos plaintes à tous les tribunaux);
f) 1835
porter conseil (
Stendhal,
L. Leuwen, t.3, p.330: la nuit eût
porté conseil);
5. a) xves. [ms.]
pourter «induire, pousser» (
Complainte de Nostre Dame, ms. BN fr. 1300, éd. G. Tilander ds
Neuphilol. Mitt. 1933, p.199: jonesse, qui me
pourte);
b) 1604
être porté à «être naturellement poussé à» (
Montchrestien,
Épistre ds
Tragédies, p.[LIII]);
c) 1677
être porté d'affection envers (
Miege); 1689
(être) porté pour «avoir de l'affection pour» (M
mede Sévigné,
Corresp., 30 avr., éd. R. Duchêne, t.3, p.587: je me sens
portée pour elle);
d) 1866
être porté sur (
Delvau: être
porté sur sa bouche); 1873 (
Corbière,
Amours jaunes, p.197: t'es
porté sur la chose?);
6. a) 1656
porter à «amener à, faire arriver à» (
Molière,
Dépit amoureux, II, 1, 395: il vous veut
porter au mariage);
b) 1830
porter à la connaissance de (
Chantelauze ds
Rec. textes hist., p.195);
c) 1899
porter à la scène (
P. Lalo,
Mus., p.229); 1921
porter à l'écran (
Cinémagazine, 18 nov., 18/1 ds
Giraud 1956, p.153);
7. a) 1675 «mettre par écrit» (
J. Savary,
Parfait négociant, p.355: celuy qui
porte [...] des marchandises et dettes actives);
b) α) 1869
se porter malade (
Erckm.-
Chatr.,
Hist. paysan, t.2, p.196); 1918
se faire porter malade (
Bourget,
Némésis, p.99);
β) 1900
se faire porter pâle (d'apr.
Esn.,
s.v. pâle); 1915 (
Benjamin,
Gaspard, p.40).
II. Intrans.
1. [1172-90 hérald. (
Chrétien de Troyes,
Perceval, éd. F. Lecoy, 8055:
porte un escu de cartiers)] fin
xives. prob. p.ell.
porter de hérald. (
Froissart,
Chroniques, éd. G. Raynaud, l. 2, § 31, t.9, p.43: uns chevaliers [...] qui [...]
porte d'argent à un fier de molin de gheules);
2. a) 1465 artill. «avoir une portée» (
J. de Roye,
Chron. scandaleuse, éd. B. de Mandrot, t.1, p.96: l'artillerie du roy
portoit de Paris jusques en ladicte Granche);
b) ca 1500 p.ext. (
Philippe de Commynes,
Mém., éd. J. Calmette, t.1, p.47: autant que la veue povoit
porter);
c) 1585 «toucher le but» (
N. Du Fail,
Contes et discours d'Eutrapel, éd. J. Assézat, t.1, p.324: les coups
portent quelques fois);
d) 1640 fig. «avoir de l'effet» (
Oudin Curiositez, p.441: le coup a
porté.
l'affaire a eu de l'effet);
3. a) ca 1470
porter sur «avoir pour objet» (
Georges Chastellain,
Chron., éd. Kervyn de Lettenhove, t.3, p.60: ceste créance, combien que elle
portast sur tous les deux); 1671 (
Pomey: son discours
portoit sur cela);
b) 1594 «frapper, heurter» (
Lettres miss. de Henri IV, t.4, p.286 ds
Gdf. Compl.: le coup [...] ne m'a
porté que dans la face); 1694 (
Ac., p.277b: la teste a
porté);
c) 1596
porter à faux archit. (
E. Drot,
Minutes notaires Yonne, p.188: les fillières qui
portent à faux);
d) 1762 fig. «reposer, être soutenu» (
Rousseau,
Émile, IV ds
OEuvres compl., Pléiade, t.4, p.539: la confiance [...] doit
porter sur l'autorité de la raison);
e) ca 1770 expr.
porter à la tête (
Id.,
Confessions, X,
ibid., t.1, p.527: que la vapeur de cet encens m'ait
porté à la tête);
f) 1817 expr.
porter sur les nerfs (
Jouy,
L'Hermite de la Guiane, 29 janv. ds
Quem. DDL t.3);
4. mil.
xvies. mar. «se diriger, faire route» (
Navigation faite par Jacques Cartier en 1535 et 1536, Tross, p.245 ds
Gdf. Compl.).
III. Pronom.
1. ca 1180 «se comporter» (
Jean le Nevelon,
Vengeance Alexandre, éd. E. B. Ham, 717: Tant com li dui cheval se
porterent courant); 1269-78 (
Jean de Meun,
Rose, éd. F. Lecoy, 10629: qui si bien s'est vers moi
portez);
2. ca 1342 «se diriger (vers)» (
Renart contrefait, éd. Raynaud-Lemaître, 1836: Tant c'est par journées
portés);
3. ca 1350 «être candidat au titre de» (
Gilles li Muisis,
Poésies, éd. Kervyn de Lettenhove, t.1, p.319: li Baviers empereur
se portoit); 1376 (
Bail, Arch. Nat. MM 30, f
o52 r
ods
Gdf. Compl.:
se [...]
porter pour heritier);
4. fin
xives. «être dans tel ou tel état, ou situation» (
Froissart,
Chroniques, éd. L. Mirot, l. 3, § 58, t.12, p.205: je
me porte assez bien); fin
xives. (
Manière de lang., 390 ds T.-L. 7, 1600, 4: comment vous avez
vous portee?);
5. 1634
se porter à «se laisser aller à» (
Corneille,
Galerie du Palais, V, 4, 1586);
6. a) 1857 «être porté (vêtement, parure)» (
Fromentin,
Été Sahara, p.146); 1844
très bien porté «à la mode» (
A. Dumas père,
Laird de Dumbiky, I, 12, p.33); 1851 fig.
c'est très bien porté «c'est de bon ton» (
Id.,
Villefort, II, 4, p.198).
IV. Inf. subst. 1835 «effet produit par un vêtement que l'on porte» (
Balzac,
Goriot, p.159: d'un joli
porter). Du lat.
portare «transporter; porter; apporter; au fig. porter (secours, espérances, nouvelles, gloire, etc.)», lat. chrét. «supporter, soutenir; endurer, subir; apporter, procurer; porter en soi, avoir en soi».
Portare a supplanté, dès la fin de l'époque impériale, le verbe
ferre, plus littér. et de conjug. plus difficile (
cf. Ern.-
Meillet;
FEW t.9, p.220 et
Vään. 1967, p.78).